Sa lettre adressée aux Français en janvier dernier en avait braqué plus d’un du côté de la Haute Assemblée. « Quel rôle nos assemblées, dont le Sénat et le Conseil Économique, Social et Environnemental, doivent-elles jouer pour représenter nos territoires et la société civile ? Faut-il les transformer et comment ? » s’était interrogé Emmanuel Macron.
En mars, la décision du Bureau du Sénat de transmettre à la justice les déclarations sous serment de trois proches du chef de l’État devant la commission d’enquête sur l’affaire Benalla, avait également laissé planer le doute sur de possibles représailles institutionnelles (voir notre article). Jeudi soir, lors de la première conférence de presse, Emmanuel Macron a tout d’abord indiqué de pas vouloir remettre en cause la démocratie représentative.
« Si c’est pour faire une régionalisation du scrutin, c’est niet »
Mais en ce qui concerne sa promesse de campagne, d’une baisse de 30% du nombre de parlementaire et d’une part de proportionnelle aux législatives (20%), « le diable est dans les détails » note Hervé Marseille, président du groupe centriste, qui peine à voir comment le Sénat peut aller au-delà du seuil de proportionnel existant. En effet, si le chef de l’État pourrait envisager de faire un geste en direction du Sénat, ramenant la baisse à 25%, il a également souhaité « accroître » la part de proportionnelle aux élections sénatoriales. « Je ne vois pas comment on peut augmenter la proportionnelle et baisser le nombre de sénateurs. Si c’est pour faire un scrutin par région, c’est la fin de l’enracinement des sénateurs » s’inquiète le sénateur LR, François Grosdidier. « Il faut qu’on m’explique en quoi réduire le nombre de parlementaires améliorera la démocratie. C’est plutôt une volonté d’Emmanuel Macron de présenter le scalp des parlementaires aux Français. Si en plus vous doublez ça avec une augmentation de la proportionnelle, on va se retrouver avec des circonscriptions de 500 000 habitants. On peut convenir d’une base minimum et garder le département comme circonscription. Mais si c’est pour faire une régionalisation du scrutin, c’est niet » prévient Patrick Kanner, président du groupe PS du Sénat.
Actuellement, les départements élisant 1 ou 2 sénateurs sont au mode de scrutin majoritaire à deux tours. Dans les départements, les plus peuplés, élisant 3 sénateurs et plus, c’est le scrutin proportionnel qui est appliqué. 73% des sénateurs sont élus à la proportionnelle (255 sièges contre 93 au scrutin majoritaire). Et comme nous l’expliquions l’année dernière, une baisse de 30% du nombre de parlementaires ferait passer le nombre de sénateurs de 348 à 244. En gardant la même part de proportionnelle et en baissant le nombre de 30%, 47 départements n’auraient alors plus qu’un sénateur contre seulement 7 actuellement. Le président du Sénat, Gérard Larcher a toujours plaidé pour « une juste représentation de tous les territoires tout en conduisant une réduction raisonnée du nombre de Parlementaires » soit une « fourchette de 265/270 sénateurs ». Comment ne pas dépasser ces « lignes rouges » avec les mesures annoncées hier soir ?
C’est le patron des sénateurs LREM, François Patriat qui donnait la solution l’année dernière en préconisant une proportionnelle intégrale régionale. Ce mode de scrutin impliquerait que la circonscription pour élire les sénateurs serait, non plus le département, mais la région. Une proposition soutenue par le président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand.
Le RIP assoupli : une demande du Sénat
On attendait sa réponse sur le RIC (référendum d’initiative citoyenne) demande principale des gilets jaunes, et comme prévu Emmanuel Macron ne l’a pas retenu arguant qu’il ne croyait pas « à la République du référendum permanent ». Toutefois, le chef de l’État a indiqué vouloir donner « plus de place « à la voie référendaire ». C’est donc vers un assouplissement des conditions de mise en place du référendum d’initiative partagée (RIP) que se dirige l’exécutif. Inscrit dans la Constitution depuis 2008, le RIP nécessite le soutien de 20% des parlementaires (185 députés ou sénateurs sur 925) et de 10% du corps électoral soit 4,5 millions de personnes. La prochaine réforme constitutionnelle, soumise au Parlement dès cet été, pourrait alors voir un RIP déclenché à « l’initiative » d’une pétition signée par un million de citoyens. La proposition passerait a priori ensuite par le filtre d’un cinquième des parlementaires. « Si elle n’était pas examinée par les Assemblées », elle pourrait être soumise à référendum a-t-il expliqué. Un groupe de travail du Sénat avait déjà planché sur un assouplissement du RIP, préconisant un seuil de signatures nécessaires à 2 millions de Français (voir notre article).
150 citoyens tirés au sort au CESE : « Une mesure gadget »
L’annonce du tirage au sort, dès le mois de juin, de 150 citoyens qui viendront « compléter » les effectifs du Conseil économique social et environnemental (CESE), n’a pas vraiment levé les foules du côté de la Haute assemblée. « Une mesure gadget » pour François Grosdidier avant d’ajouter : Le CESE fait de très bons rapports. Le seul problème, c’est qu’ils ne sont jamais repris par le gouvernement ». Emmanuel Macron s’est aussi engagé à soumettre « sans filtre » les propositions de la convention citoyenne rassemblant ces 150 citoyens « soit au vote du Parlement, soit à un référendum, soit à application réglementaire directe ». « On ne peut pas d’un côté dire que les élus sont légitimes et ne pas prendre en considération les corps intermédiaires qui désignent les membres du CESE » regrette Patrick Kanner.
Renforcement de la démocratie directe au niveau local
Si le chef de l’État a tiré un trait sur le RIC au niveau national, il ouvre la porte à « un renforcement droit de pétition local » qui pourrait consister en une « forme de droit d’interpellation des élus au-delà d’un certain seuil, qui sera à définir ». Pour le président du groupe LR du Sénat, Bruno Retailleau, interrogé par le journal Le Monde, Emmanuel Macron « se débarrasse sur le dos des maires » du référendum d’initiative citoyenne.