Au cours d’une conférence de presse organisée à Amsterdam le 9 juin, la présidente de la Banque Centrale européenne (BCE) Christine Lagarde, a annoncé une hausse des taux directeurs à partir du mois de juillet, un virage à 180° degrés de la politique monétaire commune. Seule raison expliquant cet ajustement des taux, la hausse des prix constatée sur le vieux continent ces derniers mois. D’après Eurostat, l’office statistique de l’Union européenne, l’inflation atteint 8,1 % en mai 2022 dans les pays de la zone euro. Principale composante de ce phénomène, l’énergie connaît un taux d’inflation annuel de 39,2 % en mai.
Face à une inflation galopante accélérée par la situation sanitaire et la guerre en Ukraine, la BCE a décidé de changer de cap pour contrer un phénomène hors de contrôle. Cette hausse des taux directeurs de la Banque centrale est un fait inédit depuis 2011. A l’époque, à la surprise générale, Mario Draghi avait annoncé une baisse du principal taux directeur de l’institution afin de redonner un souffle à la consommation des ménages et soutenir la reprise de l’activité économique sur fond de crise des dettes souveraines.
« La BCE a le choix entre la peste et le choléra »
Pour l’ancien ministre des Finances grec, Yánis Varoufákis, l’approche prônée par la BCE d’une hausse progressive des taux directeurs en deux temps n’est pas la bonne. La présidente de la BCE a dévoilé l’agenda du relèvement des taux, une première hausse de 0,25 point en juillet et une deuxième augmentation de 0,5 point en septembre 2022. « L’augmentation graduelle des taux, c’est comme administrer une lente torture à un prisonnier », a-t-il indiqué au quotidien helvète, Le Temps. L’ex-ministre, désormais député au Parlement grec depuis les dernières élections législatives, préconise une augmentation brutale à 3 % des taux par l’institution basée à Francfort.
Pour Baptiste Massenot, professeur d’économie à la Toulouse Business School, la BCE fait face à un dilemme entre deux objectifs définis dans ses statuts : soutenir la reprise de la croissance encore timide et fragile dans la zone euro ou maintenir la stabilité des prix au détriment de la reprise économique. La BCE fixe un plafond à 2 % d’inflation. « La BCE a le choix entre maintenir une inflation élevée et soutenir l’activité économique ou lutter contre l’inflation et mettre en péril la croissance », précise-t-il. Pour l’économiste, l’équation est compliquée à résoudre : « la BCE a le choix entre la peste et le choléra. » « L’économie européenne est confrontée à un choc d’offre [diminution temporaire de l’offre des biens et services ; ndlr] du fait de la situation sanitaire et de la guerre en Ukraine, les décisions de la BCE n’auront pas d’impact sur ces phénomènes conjoncturels », souligne-t-il.
Cette politique adoptée par Christine Lagarde risquerait d’affaiblir les perspectives de croissance à court terme, notamment pour les ménages et les entreprises « Nous allons assister à une augmentation du coût de l’emprunt dans les banques commerciales. Il sera plus difficile pour les ménages de contracter un prêt immobilier ou un crédit auto. » Déjà touché par la pénurie des matériaux de construction, le secteur du BTP risquerait également de tourner au ralenti. Les effets attendus de cette politique monétaire ne seront « pas immédiats », selon Baptiste Massenot. « Les prix des biens de consommation courante sont assez rigides notamment à la baisse. Il faudra également prendre en compte certains facteurs comme les conditions de l’offre. On pourrait toutefois s’attendre à une diminution rapide des prix sur certains produits comme les hydrocarbures. »
Une annonce pour briser une spirale inflationniste auto-entretenue
Pour Edwin Le Héron, professeur des universités en économie à Sciences Po Bordeaux, cette annonce de la BCE est davantage « une stratégie de communication visant à convaincre les différents agents économiques que la Banque Centrale agit sur cette problématique afin de briser les anticipations de hausse des prix. » Selon l’universitaire, l’inflation est un processus auto-entretenu, « il y a de l’inflation quand on dit qu'il y a de l’inflation. » « C’est un phénomène économique alimenté par des effets psychologiques d’anticipation d’une hausse des prix, les agents économiques augmentent leurs prix afin d’anticiper une hausse prochaine des prix », précise Edwin Le Héron. Afin de briser cette dynamique exponentielle, la BCE « agit » avec un effet d’annonce. « L’institution a annoncé qu’elle a changé de logiciel », explique-t-il. « La véritable question à se poser est : est-ce que cette politique économique est crédible vis-à-vis des agents ? Sont-ils convaincus ? Je ne le crois pas. La BCE arrive avec un train de retard. »
Quelle que soit la réaction des acteurs économiques à cette annonce, les effets attendus n’auraient pas lieu tout de suite. « En théorie, le temps de réaction des politiques monétaires est de l’ordre de 18 mois, il existe une vraie inertie », souligne l’économiste qui estime que l’inflation va s’installer durablement en Europe, notamment du fait d’une explosion des prix des matières premières et de l’aggravation de la guerre en Ukraine.
L’impact économique réel de la hausse des taux directeurs est largement surestimé selon le professeur des universités, Edwin Le Héron. La consommation des ménages ne devrait pas être directement impactée par ce phénomène des hausses des taux. « Pendant des années, les banques ont proposé aux agents des crédits des taux d’intérêt extrêmement bas. Ces taux ont atteint un plancher historique avec un taux moyen de 1 %, un phénomène pour le coup vraiment anormal et extraordinaire », explique-t-il. L’augmentation des taux d’intérêt entre « 2 ou 3 % » n’impacterait pas vraiment les emprunteurs avec une inflation aux alentours de 6 %, « le taux d’intérêt réel [taux réellement perçu par les agents, un taux calculé à partir du taux d’intérêt affiché sous déduction du taux d’inflation ; ndlr] demeure bas. L’inflation, ça ne défavorise jamais l’acheteur mais le vendeur. »