C’est une révolution copernicienne que propose le gouvernement dans la gestion de l’hébergement d’urgence. Emmanuelle Wargon, la ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition écologique, chargée du Logement, a annoncé lundi une réforme prochaine de la politique d’hébergement d’urgence des sans-abri. L’objectif : mettre en place une organisation pluriannuelle et territorialisée des places en hébergement d’urgence, et rompre ainsi avec le système actuel de gestion au coup par coup.
Avant la crise du covid-19, l’état débloquait chaque hiver un certain nombre de places dites « hivernales », en fonction des demandes identifiées par les préfets de région. Ces places étaient fermées à la fin de la trêve hivernale. Un système qualifié par les associations de « gestion au thermomètre ». À titre d’exemple : le plan hivernal 2019-2020 prévoyait initialement l’ouverture de 14.000 places d’hébergement d’urgence en plus des 146.000 déjà existantes. Un chiffre largement revu à la hausse en raison de la crise sanitaire et des confinements qui ont nécessité une mise à l’abri des plus démunis. Une première étape a été franchie le 21 mai lorsqu’Emmanuelle Wargon a annoncé le maintien jusqu’en mars 2022 des 43.000 places d’hébergement d’urgence supplémentaires finalement ouvertes depuis mars 2020. Plus de 200.000 sans domiciles fixes bénéficient actuellement d’une place en hébergement d’urgence.
« Mettre définitivement fin à la gestion dans l’urgence »
« Malgré ce nombre de places d’hébergement historiquement élevé, il reste encore trop de personnes sans solution, à la rue ou hébergées dans des structures qui ne sont pas adaptées, comme les hôtels. Il est nécessaire de mettre définitivement fin à la gestion dans l’urgence et de construire une politique structurelle, avec une visibilité sur le long terme, en lien avec les associations », précise un communiqué du ministère chargé du Logement. Cette organisation pluriannuelle pourrait également concerner le plan « Logement d’abord », lancé en 2017 par Emmanuel Macron, visant à orienter les personnes sans domicile fixe depuis l’hébergement d’urgence vers un logement durable. La Délégation interministérielle à l’hébergement et l’accès au logement (Dihal) est chargée de poser avec la Fédération des Acteurs de la Solidarité (qui gère 90 % des centres d’hébergement et de réinsertion sociale) et les associations du secteur les bases de cette programmation. Leurs pistes sont attendues pour le premier trimestre 2022.
« Encore une réforme ! » soupire la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann (rattachée au groupe communiste), ancienne secrétaire d’État au Logement sous Lionel Jospin, qui redoute « une trop grande segmentation » des différentes politiques consacrées au logement. « Mon problème, c’est qu’ils vont tous azimuts. Il faut une politique globale du logement qui aille de la commission Rebsamen (consacrée à la relance durable de construction de logements et présidée par le maire de Dijon, ndlr) à la construction de logements sociaux en passant par l’hébergement d’urgence. »
« Les politiques actuelles ont leur sens, elles sont bien ciblées, mais il manque une vision d’ensemble, stratégique, de la chaîne du logement », abonde Dominique Estrosi Sassone, sénatrice LR des Alpes-Maritimes. Pour elle, cette réforme est d’abord « une annonce de campagne » : « On se projette déjà dans le prochain mandat, avec un programme pluriannuel qui n’est pas très contraignant, puisque les engagements fixés peuvent ensuite être réajustés à chaque loi de finances. »
Des dérapages budgétaires systématiques
Dans un rapport d’information publié le 26 mai, Philippe Dallier (ex-sénateur LR de Seine-Saint-Denis), pointait la fragilité d’une politique menée dans l’urgence, et donc difficile à budgétiser. Le rapport relève notamment l’écart entre le budget initialement alloué à l’hébergement d’urgence et les sommes réellement consommées, sans qu’il en soit tenu compte dans le budget suivant. En clair, le budget fixé pour une année dans la loi de finances initiale est systématiquement inférieur aux crédits dépensés l’année précédente. En 2018, le budget de l’hébergement d’urgence prévoyait 1,9 milliard pour une dépense réelle de plus de 2 milliards. Pourtant, le budget voté en 2019 ne prévoyait « que » 1,8 milliard d’euros. « Il en résulte des ouvertures de crédits importantes en cours d’année, mais aussi des difficultés importantes pour les associations et organismes en charge de l’accueil et de l’hébergement des personnes précaires », note Philippe Dallier.
La réforme annoncée pourrait s’accorder avec une meilleure maîtrise des coûts. « Cette programmation pluriannuelle de l’hébergement et du logement permettra d’avoir une visibilité sur le nombre de places sur 5 ans », fait valoir le ministère chargé du Logement. De quoi « prévoir, programmer, anticiper et transformer les places en fonction des besoins des territoires et des publics ».
Mieux cerner le profil des sans-abri
La territorialisation des niveaux de financement est l’une des revendications portées par la Fédération des Acteurs de la Solidarité. « La territorialisation n’est pas absurde, dans la mesure où elle peut permettre d’avoir une meilleure répartition des publics », reconnaît Marie-Noëlle Lienemann. Selon elle, la pression sur l’hébergement d’urgence pourrait être diminuée grâce à une connaissance affinée du profil des sans-abri, ce qui permettrait de mettre en place des solutions ciblées. Elle évoque notamment le cas des demandeurs d’asile, nombreux selon elle en hébergement d’urgence, alors que des centres d’accueil dédiés existent, ou encore les mineurs qui sortent des centres éducatifs fermés sans solution d’hébergement pérenne. Mais ce travail de ciblage nécessite une augmentation des moyens alloués au 115, la plateforme départementale d’orientation et d’accompagnement des sans-abri. Une demande récurrente des associations, et l’une des recommandations du rapport d’information de l’ancien sénateur Philippe Dallier.
Dominique Estrosi Sassone estime que le problème doit être abordé à un échelon supérieur. Elle rappelle que la dernière enquête de l’INSEE sur les SDF remonte à 2012. « À l’époque on comptait 143.000 personnes sans domicile, la Fondation Abbé Pierre pense que ce chiffre a plus que doublé depuis. La moindre des choses serait de connaître le nombre réel de SDF dans notre pays. On définit mieux les besoins quand on connaît la demande. Dont acte ! »
« Il faut être plus raide avec les hôtels qui s’enrichissent grâce à l’hébergement d’urgence »
Autre travers de la politique de l’hébergement d’urgence mis en avant par la crise sanitaire et ciblé par la réforme : le recours aux nuitées hôtelières qui n’a cessé de progresser ces dernières années. Utilisées comme variable d’ajustement des places disponibles, elles ont été particulièrement sollicitées au plus fort de la crise sanitaire pour mettre à l’abri les plus démunis, avec une hausse record en mars 2021 (plus de 74 000, contre moins de 50 000 en 2019).
Marie-Noëlle Lienemann dénonce les risques d’un système en voie de pérennisation. « Il faut être plus raide avec les hôtels qui s’enrichissent grâce à l’hébergement d’urgence. Ce serait un comble que leur solvabilité se fasse avec de l’argent public », s’agace-t-elle. « On ne pourra jamais éradiquer les nuitées hôtelières, il y aura toujours des situations d’exception », estime Dominique Estrosi Sassone. « Mais pérenniser des places d’hébergement d’urgence coûte moins cher que d’avoir recours à ce subsitut. » Cette élue espère également que des annonces sur l’accompagnement des plus démunis, pour leur permettre de sortir définitivement de la rue, suivront. « Car sans ça, vous ratez une étape. »