« Il faut cesser de traiter la pornographie comme un problème en soi », plaide une sociologue devant le Sénat
Dans le cadre de leur mission d’information sur les dérives de l’industrie pornographique, la délégation aux droits des femmes du Sénat auditionnait sociologues et juristes. Chacun à leur niveau, les chercheurs ont distingué les violences sexuelles de la pornographie.
« J’ai un questionnement par rapport à ce que nous entendons ce matin de la part de chercheurs et ce que nous avons entendu il y a 15 jours de la part des associations féministes ». La sénatrice communiste, Laurence Cohen, rapporteure de la mission d’information du Sénat sur la pornographie, a mis l’accent sur la difficulté d’approche des dérives liées à cette industrie.
Il y a deux semaines, en effet, dans cette même salle, les associations féministes, parties civiles dans l’affaire dit « du porno français », avaient dénoncé le « proxénétisme à l’échelle industrielle », les « violences sexuelles commanditées », une industrie où le consentement des actrices « est extorqué par l’argent et l’exploitation de la vulnérabilité ».
Ce jeudi, sociologues, politologue, juristes, auditionnés ont d’abord invité les élus « à ne pas prendre la pornographie comme un problème en soi », « si l’on veut traiter les violences dans les pornographies », comme l’a souligné Béatrice Damian-Gaillard, docteur en sciences de l’information et de la communication. Le terme « pornographie » est utilisé à dessein au pluriel.
« L’affaire du porno français est avant tout un problème de violences »
La frontière entre violences sexuelles et pornographie est d’autant plus difficile à placer qu’il « n’existe pas de définition juridique de la pornographie », rappelle Julie Leonhard, docteur en droit privé et sciences criminelles, maître de conférences à l’Université de Lorraine.
« L’affaire du porno français est avant tout un problème de violences et non directement d’infractions relatives à la pornographie à proprement parler […] Fort heureusement nous disposons d’un panel d’infractions assez large qui permettent de sanctionner, sans discussion possible, de tels comportements violents. La pornographie contrainte, forcée ne questionne pas, à mon sens, les contrôles administratifs relatifs à la diffusion d’œuvre pornographique », souligne-t-elle.
Pour mémoire, contrairement à la prostitution interdite en France, (loi de 2016 sur la répression des clients), le droit pénal se borne à interdire l’accès à la pornographie aux mineurs et interdit la pornographie qui serait préjudiciable aux mineurs à savoir la représentation de leurs corps, réelle ou fictive, la pédopornographie.
« Vous voyez systématiquement dans l’exercice prostitutionnel une dégradation de la femme »
Mais voilà, plusieurs sénatrices de la délégation à l’image de Laurence Rossignol (PS) et Laurence Cohen restent marquées par le lien établi dans les témoignages des victimes entre prostitution et pornographie. « Elles ont tenu à nous dire que les personnes qui étaient filmées n’étaient pas des acteurs et des actrices car les actes étaient réels. Et vous, vous parlez d’acteurs et d’actrices […] Je vois aussi une contradiction. La France est un pays abolitionniste en matière de prostitution et je suis une militante abolitionniste. Vous, vous parlez de travail. Je ne considère pas que c’est un travail sinon, il faut l’encadrer et on n’est plus un pays abolitionniste », souligne Laurence Cohen.
« La pornographie est extrêmement diversifiée. Il y a des productions où il n’y a aucune violence où il n’y a que des adultes consentants […] C’est la même chose dans les relations entre hommes et femmes […] Donc, je ne pense pas qu’il puisse y avoir une réponse globale à ce fonctionnement », lui répond Sonny Perseil, docteur en science politique, chercheur au CNAM.
Les chercheurs et chercheuses présents au Sénat font également le lien entre prostitution et pornographie. « La pornographie est essentiellement prostitutionnelle aujourd’hui […] Vous avez une opinion morale très forte contre la prostitution et vous voyez systématiquement dans l’exercice prostitutionnel une dégradation de la femme », note Sonny Perseil tout en relevant « un flou juridique » sur ce sujet.
« Les associations que vous avez auditionnées étaient toutes abolitionnistes. Donc, elles ne font remonter qu’une forme de parole. Les personnes qui vivent la pornographie d’une manière différente ne se tourneront pas vers ces associations. Alors que nous, on va sur tous les terrains », met en avant Béatrice Damian-Gaillard.
Filmer une agression sexuelle est déjà prohibé dans la loi
Et parler « d’abolitionnisme » en matière de pornographie ou de prostitution renvoie d’ailleurs à un abus de langage. « Juridiquement, quand on parle de système abolitionniste, ce n’est pas un système juridique dans lequel, on essaye d’empêcher un phénomène. C’est un système dans lequel on cherche à ne rien faire du tout et laisser les gens s’organiser entre eux. Quand on cherche à lutter contre un phénomène, on est dans un système prohibitionniste. C’est le cas pour la prostitution », insiste Julie Leonhard.
La sénatrice LR, Alexandra Borchio-Fontimp souhaite savoir justement comment s’assurer de l’impact et du respect des chartes éthiques mises en place par certaines productions pornographiques. « Réglementer peut-être une solution si on cherche à minimiser les situations qui peuvent être dramatiques », reconnaît Julie Leonhard qui rappelle toutefois qu’il convient d’abord de s’assurer que ces chartes soient conformes à la loi.
Pour conclure, la juriste indique que le fait de filmer et de diffuser une agression sexuelle est prohibé (article 222-3-3 du code pénal). « Je ne suis pas convaincue que pénalement, on parlerait de pornographie. On serait sous l’application de ce délit très spécifique […] C’est différent du fait de filmer une mise en scène forcée, contrainte ».
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