Immigration : avant la commission mixte paritaire, les LR du Sénat gonflent les muscles
Le gouvernement a décidé de convoquer une commission mixte paritaire, dans l’espoir de dégager un consensus sur son projet de loi immigration, rejeté à l’Assemblée nationale. Le texte voté par le Sénat, et largement réécrit par la droite et les centristes, servira de base aux négociations.
Le gouvernement « a pris son risque », selon une formule chère à Emmanuel Macron. Le projet de loi immigration, torpillé à l’Assemblée nationale avant l’ouverture des débats par l’adoption d’une motion de rejet, ira en commission mixte paritaire (CMP). L’exécutif, qui pouvait encore retirer le texte de l’agenda parlementaire, et tacitement reconnaître qu’il se trouve dans une impasse politique, a choisi de laisser le processus législatif aller à son terme, au risque d’essuyer un nouveau revers. « Parce que nous estimons qu’il est fondamental de lutter contre l’immigration clandestine, parce qu’il est fondamental de mieux encadrer l’immigration économique, parce qu’il est fondamental d’intégrer ceux qui ont vocation à rester sur notre sol, le gouvernement convoquera une commission mixte paritaire au plus vite, toujours dans une démarche pour débattre et chercher un compromis entre la majorité et les oppositions », a fait savoir Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement, au sortir du Conseil des ministres ce mardi 12 décembre.
La droite sénatoriale se frotte les mains
Une commission mixte paritaire est composée de sept sénateurs et sept députés. Elle est chargée d’élaborer un texte de consensus entre les deux chambres du Parlement lorsque celles-ci ne sont pas parvenues à s’entendre sur la même version d’un projet de loi au gré de la navette parlementaire. Spécificité de la situation présente : il n’existe qu’une seule version du texte immigration qui a été votée – puisque l’Assemblée nationale n’a pas pu débattre -, celle du Sénat. C’est donc sur la copie amendée par la Chambre haute en novembre, et dont les dispositions ont été largement durcies par la droite sénatoriale, que vont devoir plancher les élus.
« Il est infiniment plus facile de négocier et d’obtenir ce que l’on souhaite lorsqu’il n’y a rien en face », se félicite le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse, en fin connaisseur des rouages parlementaires. « D’un côté vous avez un projet de loi cohérent et charpenté, de l’autre une page blanche. Les LR ont la possibilité de faire passer un texte qui soit proche de la version du Sénat ».
La droite, avec une victoire politique à la clef, n’entend rien lâcher sur ses deux lignes rouges : la suppression de l’Aide médicale d’Etat, remplacée par un dispositif d’urgence, et le durcissement des conditions de régularisation dans les métiers en tension. Deux mesures que la commission des lois de l’Assemblée nationale avait fait disparaître, notamment sous l’impulsion de l’aile gauche de la macronie.
« Le problème maintenant du gouvernement, c’est de convaincre sa majorité. Puisque cette loi est nécessaire, c’est à la majorité de faire l’effort. Que Monsieur Sacha Houlié [député Renaissance, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, ndlr] ne prenne pas le Parlement en otage ! », s’agace le sénateur LR de Paris Francis Szpiner. « Un mauvais compromis, c’est une mauvaise loi. Nous, au Sénat, nous avons voté une bonne loi et nous n’avons aucune raison de la modifier, si ce n’est à la marge », ajoute-t-il.
« L’article 4 bis [sur la régularisation des travailleurs sans papiers, ndlr] ne changera pas ! », avertit François-Noël Buffet, le président LR de la commission sénatoriale des lois, spécialiste des questions d’immigration, et dont les travaux ont largement inspiré le texte du Sénat. « C’est une position forte pour nous, une ligne rouge absolue. Il n’est pas question d’avoir un système automatique tel que l’a prévu la commission des lois de l’Assemblée nationale, », martèle l’élu. Même intransigeance dans la bouche de Bruno Retailleau, le chef de file des sénateurs LR : « Le texte du Sénat a été le seul texte examiné complètement, définitivement, par le Parlement en première lecture. Il faut le texte du Sénat, c’est le texte consensuel, voté, le seul texte qui existe aujourd’hui ! », répète le Vendéen.
Moins catégorique, Hervé Marseille, le président du groupe Union centriste au Sénat, allié des LR, invite à prendre de la hauteur après le coup de théâtre de la veille et l’adoption de la motion de rejet. « Il n’y a pas de précipitation à avoir, il faut laisser retomber un peu les humeurs, analyser clairement ce qu’il s’est passé et essayer de trouver des voix de passage », déclare le sénateur. Il estime néanmoins que la CMP doit aller « au plus près de la version du Sénat ».
Pour rappel, le projet de loi immigration a soulevé d’important remous au sein de la majorité sénatoriale, dans la mesure où les centristes, pour des raisons économiques, étaient favorables au maintien d’un dispositif de régularisation dans les secteurs en tension. L’article 4 bis du projet de loi réécrit par le Sénat, qui adapte la circulaire Valls actuellement en vigueur, est le fruit d’un accord à l’arraché entre la droite sénatoriale et ses partenaires centristes.
Quels rapports de force au sein de la commission mixte paritaire ?
Les équilibres au sein de la commission mixte paritaire devraient permettre à la droite de tenir tête à l’exécutif. La commission sera composée de quatre parlementaires LR et d’un centriste, face à cinq représentants de la majorité présidentielle (trois députés et un sénateur Renaissance, ainsi qu’un député MoDem). La gauche, avec seulement trois représentants (deux sénateurs PS et un député LFI), aura difficilement droit au chapitre. Dans ces conditions, le positionnement du seul député RN à siéger au sein de la CMP pourrait potentiellement faire la bascule en faveur de la droite.
Ni le calendrier de cette CMP, ni les noms de ses participants ne sont encore arrêtés. Les présidents des commissions et les rapporteurs y siègent de droit. Selon toute logique, François-Noël Buffet et les rapporteurs Muriel Jourda (LR) et Philippe Bonnecarrère (Union centriste), devraient en faire partie coté Sénat, ainsi que Sacha Houlié, le président de la commission des lois à l’Assemblée nationale.
Le spectre du 49.3
Mais l’élaboration d’un compromis ne permettrait pas nécessairement au gouvernement de sortir de l’ornière parlementaire. En effet, les conclusions de la commission mixte paritaire sont soumises au vote des deux assemblées pour adoption définitive. Or, l’aile gauche de la majorité pourrait faire faux bond face à un texte trop marqué à droite. « Vous imaginez, le gouvernement utiliser un 49.3 à l’Assemblée parce qu’il ne peut pas faire voter ses propres députés sur les conclusions d’une CMP ? Ce serait destructeur », soupire le sénateur LR Roger Karoutchi. « Maintenant, l’exécutif n’a plus que des mauvaises options ».
« La démocratie souffre dans ce pays. On ne pourra pas le gérer à coups de 49.3 pendant cinq ans », avertit Patrick Kanner, le président du groupe PS au Sénat. À gauche de l’échiquier politique, où l’éventualité d’un soutien au projet de loi s’est évaporée en même temps que la création d’un droit automatique à la régularisation dans les secteurs en tension, on considère qu’un retrait du texte aurait constitué « une sortie par le haut ». « J’aurais préféré qu’il soit totalement réécrit. Le ‘en même temps’ a montré ses limites », poursuit le sénateur du Nord.
« Nous sommes face à un texte qui, au fil des modifications, a été refaçonné par des enjeux de plus en plus politiciens. La majorité sénatoriale a voulu s’approprier un certain nombre d’idées qui étaient l’apanage de l’extrême droite », déplore le sénateur écologiste Guy Benarroche. « Il faut un texte immigration, j’en suis intimement convaincue, parce qu’il y a aujourd’hui des gens qui souffrent », ajoute Patrick Kanner. « Il faut avancer, mais pas dans ces conditions-là. »
Emmanuel Macron a réuni mardi les responsables de plusieurs partis politiques à l’Élysée pour les consulter avant la nomination d’un nouveau Premier ministre pour remplacer Michel Barnier. Pour le député RN Thomas Ménagé, invité de la matinale de Public Sénat ce mercredi, cet échange marque « le retour de l’UMPS » sous la forme d’un « parti unique qui va du PS jusqu’à Laurent Wauquiez ».
La réunion à l’Elysée n’a pas abouti sur un accord. Mais avec des lignes rouges qui peuvent paraître très éloignées, la sortie de crise semble encore lointaine. Un début de rapprochement émerge cependant sur la méthode, autour du non-recours au 49.3.
Depuis la chute de Bachar Al-Assad, certaines déclarations de responsables politiques conciliant avec le régime dictatorial refont surface. En octobre 2015 par exemple dans l’émission « Preuves par 3 » sur Public Sénat, Jean-Luc Mélenchon estimait que les bombardements russes et syriens faisaient partie d’une guerre nécessaire contre les rebelles.
Reçus par Emmanuel Macron ce mardi, avec d’autres formations politiques à l’exception de LFI et du RN, socialistes et écologistes se sont engagés, s’ils accèdent au pouvoir, à ne pas utiliser le 49.3 à condition que les oppositions renoncent à la motion de censure. « Ça a été repris par Horizons, par le MoDem », a assuré Olivier Faure, le Premier secrétaire du PS.