L’encre de la loi immigration est à peine sèche que le gouvernement vient d’annoncer deux nouveaux textes sur ce sujet. En visite à Mayotte, un département français perturbé, depuis la fin du mois de janvier, par des blocages menés par des habitants en colère contre l’insécurité et l’immigration incontrôlée, le ministre de l’Intérieur a sorti l’arme lourde pour répondre à leurs attentes. « Nous allons prendre une décision radicale, qui est l’inscription de la fin du droit du sol à Mayotte dans une révision constitutionnelle que choisira le président de la République », a annoncé dimanche Gérald Darmanin.
« Emmanuel Macron, c’est la navigation à courte vue. C’est un homme de l’instant »
La mesure est attendue de longue date par la droite et l’extrême droite, mais jugée trop tardive. En effet, revenir sur le droit du sol à Mayotte est un vieux serpent de mer à droite pour ce département le plus pauvre de France, dont la moitié de la population est étrangère. En 2018, Laurent Wauquiez, alors président de LR et Éric Ciotti appelaient à « arrêter avec les dérives du droit du sol à Mayotte ».
Ce lundi, les cadres de RN rappelaient que Marine Le Pen avait déposé une proposition de loi en ce sens en 2018. « C’est beaucoup de temps perdu pour en arriver à cette conclusion que supprimer le droit du sol, non seulement à Mayotte mais partout en France, est non seulement nécessaire mais possible », a déploré sur Europe 1, Sébastien Chenu, porte-parole du RN. « Partout sur le territoire national nous devons supprimer le droit du sol ! », a également appelé sur X le patron de LR, Éric Ciotti.
« Emmanuel Macron, c’est la navigation à courte vue. C’est un homme de l’instant. Lors du dernier texte, nous avions déjà proposé de revenir sur le droit du sol à Mayotte, pas de le supprimer car il s’agissait d’un texte ordinaire. Et voilà où nous en sommes, maintenant », s’agace le président du groupe LR du Sénat Bruno Retailleau.
« Une évolution législative ou constitutionnelle ne suffira pas à endiguer les problèmes »
« Ce n’est jamais trop tard mais c’est quand même très tardif. En 2005, François Baroin alors ministre de l’Outre-mer, proposait déjà de revenir sur le droit du sol. Mais une évolution législative ou constitutionnelle ne suffira pas à endiguer les problèmes. Il faut se donner les moyens de contrôles maritimes extrêmement poussés. Il y a aussi un gros travail diplomatique à mener avec les pays sources comme les Comores », insiste François-Noël Buffet, président (LR) de la commission des lois du Sénat.
C’est néanmoins sous le quinquennat d’Emmanuel Macron que le droit du sol a déjà été restreint à Mayotte via la loi « Asile Immigration » en 2018. Pour obtenir la nationalité française, il est maintenant exigé pour les enfants nés à Mayotte que l’un de ses parents ait, au jour de sa naissance, été présent de manière régulière sur le territoire national depuis plus de trois mois (voir notre article).
L’année dernière, l’examen du projet de loi immigration avait fourni l’occasion d’aller encore plus loin dans la limitation du droit du sol à Mayotte. La mesure, introduite par les députés et conservée en commission mixte paritaire, prévoyait pour l’acquisition de la nationalité par le droit du sol à Mayotte, que les deux parents (au lieu d’un seul) aient résidé de manière régulière sur le territoire depuis au moins un an au moment de sa naissance (contre trois mois actuellement). Cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel. Sans se prononcer sur le fond, les Sages ont estimé qu’il s’agissait « d’un cavalier législatif », c’est-à-dire une mesure sans lien direct ou indirect avec le texte initial, tel que défini à l’article 45 de la Constitution.
Au Sénat, en commission des lois comme en séance publique, la sénatrice LR, Valérie Boyer avait également déposé une série d’amendements visant à restreindre le droit du sol à Mayotte. Ces amendements avaient reçu un avis défavorable de la commission des lois en application de l’article 45 de la Constitution. L’un de ces amendements soumettait notamment le bénéfice du droit du sol à Mayotte au séjour régulier de deux années, sur le territoire national, des deux parents.
« Il faut être cohérent et exclure du droit du sol les enfants de parents entrés illégalement sur tout le territoire national, en Guyane, à Mayotte comme en Métropole », insiste la sénatrice.
Le groupe centriste du Sénat a, de son côté, repris la mesure censurée par le Conseil constitutionnel, dans une proposition de loi déposée il y a 15 jours (voir notre article). Son co-auteur, Philippe Bonnecarrère indique être « totalement favorable à une révision constitutionnelle sur Mayotte et à la suppression du droit du sol ». « Notre groupe avait en tête une telle réforme mais nous avons été plus modestes pour éviter de passer par la voie constitutionnelle ». Sa proposition de loi subordonne le bénéficie du droit du sol à un délai d’un an de présence régulière pour l’un des parents à Mayotte, de 9 mois en Guyane et de 3 mois à Saint Martin.
« La métropole va devenir le hub de l’immigration de l’Afrique de l’Ouest »
Mais si l’opposition de droite et d’extrême droite peut se satisfaire de l’annonce de cette révision constitutionnelle, une autre mesure annoncée par le ministre de l’Intérieur à destination des Mahorais, est perçue elle, comme un « appel d’air ». Il s’agit de la fin de ces « visas territorialisés » via le dépôt d’un projet de loi examiné à l’Assemblée nationale « dans les semaines qui viennent ». A Mayotte, les étrangers ne peuvent, en effet, pas bénéficier d’une liberté de circulation vers la métropole. Selon, le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), « les titres de séjour délivrés » sur l’île « n’autorisent le séjour que sur le territoire de Mayotte ». Une disposition que le ministre entend donc supprimer. « Il organise les charters vers la Métropole. C’est un ‘’en même temps’’ honteux. La métropole va devenir le hub de l’immigration de l’Afrique de l’Ouest », s’alarme Valérie Boyer.
« La chorégraphie reste inchangée depuis 2017 : un pas en avant, deux pas en arrière », fustige Éric Ciotti sur X.
Le centriste, Philippe Bonnecarrère estime, lui, « souhaitable de faire les choses en deux temps ». « D’abord, permettre à Mayotte de retrouver une situation moins tendue. Puis, l’évaluer et vérifier si cette stabilisation permet de supprimer les visas territoriaux », préconise-t-il.
La droite pourrait faire monter les enchères
Enfin, au-delà de l’annonce, la concrétisation d’une révision constitutionnelle sur la situation migratoire à Mayotte pose questions. S’agissant d’une situation régionale, l’exécutif devrait logiquement choisir la voie du Congrès pour réviser le texte fondamental. Le texte devrait être adopté par la majorité des 3/5e des suffrages exprimés de l’Assemblée nationale et du Sénat réunis en Congrès, après un vote conforme (à la virgule près) dans les deux chambres. Or, la gauche a déjà annoncé qu’elle voterait contre en raison du principe d’indivisibilité de la République. Et la droite pourrait être tentée de faire monter les enchères. Les groupes LR de l’Assemblée nationale et du Sénat ont récemment déposé une proposition de loi constitutionnelle visant notamment à élargir les conditions du recours au référendum de l’article 11 de la Constitution aux questions relatives à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit de la nationalité. « Je me méfie des effets d’annonce mais si un projet de loi constitutionnelle sur l’immigration à Mayotte devait être débattu, la question de l’élargissement du recours au référendum devrait être posée. En tout cas, je déposerais un amendement en ce sens », prévient Bruno Retailleau.