Après la chute du gouvernement de Michel Barnier, le chef de l’Etat dispose d’une marge de manœuvre aussi réduite qu’au lendemain des législatives anticipées pour trouver un nouveau Premier ministre, dans la mesure où les équilibres politiques restent les mêmes à l’Assemblée nationale, observe le sondeur Stéphane Zumsteeg, invité de Public Sénat ce mercredi 4 décembre. Toutefois, l’échéance budgétaire de la fin d’année devrait pousser Emmanuel Macron à agir rapidement.
Immigration : la droite sénatoriale juge le gouvernement trop faible et rejette le budget
Par Public Sénat
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Pour les sénateurs, c’est un budget qui n’est pas à la hauteur. La Haute assemblée a rejeté dans la nuit de jeudi à vendredi les crédits dédiés à l’immigration et à l’asile, au sein du budget du ministère de l’Intérieur pour 2021. Ces crédits sont pourtant en hausse. Mais pour la majorité sénatoriale de droite et du centre, le gouvernement n’est pas assez ferme sur l’immigration. Pour la gauche, il est trop dur.
Création de 6.000 places en centre d’accueil
En l’absence remarquée du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, la ministre déléguée en charge de la Citoyenneté, Marlène Schiappa, est venue défendre des crédits en hausse donc de 2 %, avec 36,8 millions d’euros supplémentaires, auxquels s’ajoutent 26 millions du plan de relance. De quoi mener « une politique à la fois d’humanité dans l’accueil et l’intégration, mais aussi une clarté pour ceux qui rentrent illégalement sur le territoire » résume la ministre (voir aussi son audition en commission pour plus de détails).
Pour « mieux accueillir », l’allocation pour demandeurs d’asile est en forte hausse (+11,5 millions d’euros) pour 459 millions d’euros au total. 6.000 places d’accueil supplémentaires seront également créées. L’exécutif entend encore améliorer les délais de traitement des demandes, qui s’est rallongé à cause des confinements, avec la création de 200 postes pour l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), dont la subvention s’élève à 92 millions d’euros. De l’autre, le gouvernement veut « mieux lutter contre l’immigration irrégulière ». « Le mois dernier, le Président de la République a annoncé un doublement des forces de sécurité déployées aux frontières » rappelle Marlène Schiappa. Voilà pour le tableau.
« Nous ne savons pas combien coûte l’immigration en France »
Les sénateurs auraient de sérieuses retouches à y faire. A commencer par Sébastien Meurant, le rapporteur pour avis de la commission des finances. « Les crédits de la mission sont de 1,76 milliard d’euros en autorisations d’engagement […]. Mais en réalité, nous ne savons pas combien coûte l’immigration en France, car l’État ne sait pas combien d’étrangers en situation irrégulière se trouvent sur le territoire national » souligne le sénateur LR du Val-d’Oise, de longue date très droitier sur les questions d’immigration (voir la première vidéo).
« Selon les députés Kokouendo et Cornut-Gentille, il y aurait entre 150.000 et 200.000 voire peut-être jusqu’à 400 000 clandestins en Seine-Saint-Denis » affirme-t-il, ajoutant les chiffres de l’ancien directeur de campagne de François Fillon : «
Patrick Stefanini, dans "Immigration, ces réalités qu’on nous cache, estime quant à lui à plus de 900.000 le nombre de clandestins sur le sol français.
« 90 % des obligations de quitter le territoire français ne sont pas exécutées »
« Ce budget est le tonneau des Danaïdes, qu’on remplit tout le temps mais qui n’est jamais plein » ajoute pour la commission des lois la sénatrice LR Muriel Jourda, « nous subirons toujours cette pression migratoire si nous n’essayons pas de la contrôler ». Elle ajoute : « Ce budget n’aura de sens que si en amont nous contrôlons l’immigration plutôt que la subir ».
« Comment faire des budgets crédibles et ensuite loger, soigner, éduquer et intégrer ? Pourquoi s’étonner que le Val-d’Oise et la Seine Saint-Denis plongent littéralement dans la pauvreté et la délinquance ? » demande Sébastien Meurant. Appelant à « revoir les conditions du rassemblement familial » et à « recentrer le droit d’asile sur un petit nombre de réfugiés », il souligne que « les magistrats s’interrogent sur le sens de leur travail, dès lors que 90 % des obligations de quitter le territoire français ne sont pas exécutées ». Et de conclure : « Des noyades en Méditerranée, aux évacuations des camps d’infortune, en passant par l’exploitation des migrants, aux assassinats de Samuel Paty, ou des malheureux chrétiens de Nice, il est vraiment temps que ça change ».
« En cinq ans, 1,7 million de titres de séjour ont été accordés » dénonce Stéphane Ravier (RN)
Sans surprise, Stéphane Ravier, le seul sénateur RN, s’est montré le plus dur sur le sujet. « 3,6 milliards d’euros, ce n’est pas rien, pour régler l’asile et lutter contre l’immigration clandestine. Mais qu’en faites-vous ? Seuls 10 % vont à la lutte contre l’immigration clandestine alors que la prise en charge des demandeurs d’asile nous coûte 1,6 milliards d’euros » souligne le sénateur des Bouches-du-Rhône. « En cinq ans, 1,7 million de titres de séjour ont été accordés, 275.000 titres en 2019. Si ce n’est pas de la submersion migratoire, ça y ressemble fortement » lance encore Stéphane Ravier, qui continue avec son discours habituel : « Tant que vous n’inverserez pas les flux de l’immigration, notre pays continuera d’être submergé et sa population d’être remplacée ». Il raille au passage la « volonté de fermer les frontières, mais pour empêcher les Français d’aller skier chez nos voisins, alors que ces mêmes frontières restent ouvertes ».
Le sénateur LR de l’Oise, Edouard Courtial s’est lancé dans le même parallèle que le sénateur d’extrême droite. « Il faut bloquer efficacement les frontières de l’Europe. […] A défaut de les bloquer, fermons celles de la France. Mais bienvenue en absurdie. On empêche les Français d’aller skier à l’étranger mais on ne pourrait pas fermer les frontières à l’immigration illégale ? » lance ce proche de Brice Hortefeux, qui ajoute encore que « l’immigration illégale est sur le point de nous submerger », tout en insistant, dans son intervention, sur les derniers actes terroristes causés par « un Pakistanais demandeur d’asile », « un fils de réfugié politique tchétchène » pour l’assassinat de Samuel Paty ou « un Tunisien qui venait de débarquer à Lampedusa » pour l’attaque de Nice.
« Les centres de rétention administrative sont devenus de véritables clusters » alerte Esther Benbassa (EELV)
La gauche s’est aussi opposée à ce budget, mais pour des raisons totalement opposées. La sénatrice EELV, Esther Benbassa, a rappelé le sort des migrants. « Plus de 20.000 migrants ont péri en Méditerranée depuis 2014. Selon l’ONU, cet effroyable seuil a été franchi en mars 2020, avec le naufrage d’un bateau au large des côtes libyennes, entraînant la mort de 91 migrants » rappelle l’écologiste (voir vidéo ci-dessous). Elle continue :
La Méditerranée se transforme en cimetière et par son inaction, l’Etat français se fait le complice de ces morts. Il est temps que cela cesse. Nous nous devons de porter assistance.
Esther Benbassa a défendu en vain un amendement visant à créer un programme de sauvetage des naufragés, à hauteur de 12 millions d’euros. L’écologiste a aussi insisté sur la situation sanitaire pour les migrants, avec des « centres de rétention administrative (CRA) devenus de véritables clusters. Dans celui de Plaisir, dans les Yvelines, où j’étais encore ce lundi, on a rassemblé que des personnes malades du Covid-19. On l’appelle le CRA-Covid ! » La sénatrice de Paris conclut son intervention en soulignant que le dérèglement climatique va engendrer davantage de déplacements de population : « D’ici à 2050, ce sont 1,5 milliard de réfugiés environnementaux qui pourraient être tentés de rejoindre l’Europe ».
« Drames humains »
La présidente du groupe communiste, Eliane Assassi, s’est pour sa part indignée « des manquements graves de notre pays à ses obligations en matière d’asile, notamment pour l’accueil et la politique d’enfermement des migrants opérée, y compris à l’encontre des enfants ». Illustration chiffrée de ces « drames humains » : « En 2019, 136 familles dont 279 enfants ont été enfermés en rétention en métropole, plus de 3.000 à Mayotte ». « La France a subi deux condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme : en juin, pour des expulsions d’enfants isolés à Mayotte. Et en juillet, pour le traitement dégradant des demandeurs d’asile » complète le socialiste Jean-Yves Leconte, qui dénonce les conditions dans les centres de rétention, avec « un unique robinet d’eau potable et où les policiers avaient honte de ce qui tenait lieu de nourriture ».