Annoncé par Gérald Darmanin en juillet 2022, le projet de loi immigration n’en finit plus d’accumuler les reports. Adopté par la commission des lois du Sénat le 15 mars dernier, le parcours législatif du projet de loi avait été stoppé après le tumulte du passage en force de la réforme des retraites.
La semaine dernière, dans son allocution, Emmanuel Macron l’avait remis à l’agenda parlementaire, laissant le soin à la Première ministre d’en définir les détails. « Aujourd’hui, il n’existe pas de majorité pour voter un tel texte, comme j’ai pu le vérifier hier en m’entretenant avec les responsables des LR. Ils doivent encore dégager une ligne commune entre le Sénat et l’Assemblée nationale, tenant compte de la nécessité de trouver une majorité dans chaque assemblée, autour d’un texte nécessairement équilibré. Aujourd’hui, ils n’y sont manifestement pas », a constaté la Première ministre en présentant sa feuille de route, à l’issue du Conseil des ministres.
« On ne peut pas laisser porter la responsabilité de ce report sur les parlementaires LR »
Sans surprise, cette justification n’a pas été du goût des intéressés. « Trop facile Élisabeth Borne de vous défausser sur LR : cette manœuvre grossière ne fera oublier à personne que ce sont les divisions de votre propre majorité qui vous obligent à reporter une fois de plus la loi immigration. C’est bien le En même temps macroniste qui paralyse depuis six ans toute politique de fermeté contre le laisser-aller migratoire », a tancé le président du groupe LR du Sénat, Bruno Retailleau.
« C’est bien gentil de dire que c’est de notre faute alors que le gouvernement n’a pas de majorité pour faire passer son texte. On ne peut pas laisser porter la responsabilité de ce report sur les parlementaires LR. Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude », note le président de LR de la commission des lois du Sénat, François-Noël Buffet. Il rappelle « que le texte sorti de la commission des lois avait été accepté par la majorité sénatoriale de la droite et du centre ». « Restait un point de discussion (entre LR et centristes) sur les métiers en tension », explique-t-il.
Quelques heures après la conférence de presse d’Élisabeth Borne, le président du groupe LR de l’Assemblée, Olivier Marleix annonce le dépôt « d’une proposition de loi commune portée par Les Républicains ». « La division est dans son camp ! Sur ce sujet-là nous n’avons aucun état d’âme. Et surtout pas entre les groupes LR du Sénat et l’Assemblée » assure-t-il dans les Échos en précisant que le texte a été travaillé avec les sénateurs LR.
« Nous voulons pousser le gouvernement à étudier un texte avant la rentrée prochaine »
« Cette proposition de loi a été travaillée depuis plusieurs semaines par les deux groupes », précise un cadre du groupe. Stéphane Le Rudulier nous le confirme. « Nous avons travaillé sur la mouture d’un texte qui reprend les travaux du Sénat, de l’Assemblée et du parti. Au vu de l’annonce de ce midi, nous n’avons pas l’intention de perdre un an. Nous voulons pousser le gouvernement à étudier un texte avant la rentrée prochaine. Nous avons pour cela des niches parlementaires d’ici cet été. Sur les questions de naturalisation, d’ OQTF (obligation de quitter le territoire), d’aide médical d’État… notre famille politique n’est pas clivée. Le message que nous voulons envoyer, c’est que contrairement à ce que dit la Première ministre, nous sommes unis sur ces questions », insiste l’élu des Bouches du Rhône.
Unis mais pas tout à fait à l’unisson. François-Noël Buffet qui a déjà rédigé une proposition de loi qui a servi à amender le texte de la commission, n’était pas courant qu’un autre texte était dans le starting-block. « J’ai un texte tout prêt. En toute hypothèse, je peux le déposer lundi matin », s’agace-t-il.
Fin mars, Olivier Marleix avait déjà affirmé vouloir déposer une proposition de loi avec Éric Ciotti. Là encore François-Noël Buffet avait indiqué « ne pas avoir été concerté, ni informé ».
Contacté par publicsenat.fr, l’entourage de Bruno Retailleau a précisé le jeudi 27 avril que « sénateurs et députés LR étaient bien prêts à déposer ensemble un texte unique et ambitieux sur l’immigration. Le rapport et la proposition de François-Noël Buffet constituent une base de travail très étoffée et concrète ». « Les amendements qui ont été déposés par le groupe sur le projet de loi Immigration, avant qu’il ne soit retiré par le gouvernement, sont également prêts à être utilisés pour porter une réponse efficace en matière de politique migratoire ».
Mais le dépôt d’une proposition de loi LR quelle qu’elle soit, n’est pas la garantie d’une adoption à la chambre haute. Deux points de divergences opposaient la droite et le centre sur le projet de loi du gouvernement : l’article 3 qui portait sur la création d’un titre de séjour pour les travailleurs sans-papiers dans les « métiers en tension » et l’article 4 qui visait à permettre aux demandeurs d’asile de travailler dès le dépôt de leur demande de régularisation auprès de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Deux dispositifs qui s’apparentaient à « un appel d’air » pour les LR du Sénat qui souhaitaient supprimer ces articles en séance publique.
« LR n’étaient pas d’accord avec nous et ils n’étaient pas d’accord non plus avec les députés de leur parti »
Les centristes estimaient, quant à eux, que les dispositifs proposés par le gouvernement tenaient compte d’une réalité économique difficilement contestable. Ils souhaitaient les amender pour qu’ils n’alimentent pas les trappes à bas salaires et perpétuent une situation où les métiers mal payés sont exercés quasi exclusivement par des étrangers. Le co-rapporteur du texte, Philippe Bonnecarrère avait confié à publicsenat.fr la semaine dernière que « l’atterrissage du texte » aurait été « difficile au Sénat ».
« Je ne vois pas comment on règle le problème des métiers en tension en refusant les titres de séjour, mais les LR n’en voulaient pas. Ils n’étaient pas d’accord avec nous au Sénat et ils n’étaient pas d’accord non plus avec les députés de leur parti », rappelle Hervé Marseille, le président du groupe centriste du Sénat. Soit le même constat fait par Élisabeth Borne ce mercredi.
En effet, le président du parti des Républicains, Éric Ciotti avait formulé des exigences qui avaient été écartées par la commission des lois du Sénat, comme le droit d’asile uniquement à la frontière, ou encore la mise en place de quotas « y compris pour les demandeurs d’asile ». Deux mesures inconstitutionnelles avaient objecté Philippe Bonnecarrère et François-Noël Buffet, interrogés par publicsenat.fr la semaine dernière.
« Il faudra réviser la Constitution pour éviter de se faire retoquer par le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’Homme »
« Ce n’est pas antinomique. On peut avoir un texte ambitieux sur l’immigration. Mais si on veut aller plus loin, il faudra réviser la Constitution pour éviter de se faire retoquer par le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’Homme », estime Stéphane Le Rudulier.
Éric Ciotti a d’ailleurs appelé mercredi à un référendum sur l’immigration pour modifier la Constitution et les engagements de la France en matière de regroupement familial. « Il ne faut plus aucun droit pour les clandestins, plus de prestations sociales dès le premier jour pour les réguliers » et « qu’on traite les demandes d’asile à la frontière, il faut arrêter le regroupement familial et revoir le code de la nationalité », a-t-il martelé sur Europe 1.
Toutefois, une révision constitutionnelle par référendum doit passer par le filtre du Parlement. Conformément à l’article 89 de la Constitution, l’Assemblée et le Sénat doivent adopter le projet de révision en termes identiques. Députés et sénateurs LR auraient là encore l’obligation de trouver une majorité dans chaque assemblée. Donc un retour à la case départ.