Immigration : sénateurs Républicains et centristes divisés
Deux jours après sa présentation, le « projet de rupture » sur l’immigration des dirigeants LR suscite des interrogations et quelques réticences au sein de la majorité sénatoriale. Le président du groupe LR a précisé quelques points lors de la réunion de son groupe. Les centristes restent quant à eux plus que mesurés sur l’opportunité de certaines mesures.
« Ça me ferait plaisir que mon président en débatte dans le cadre du groupe ». Lundi soir, sur le plateau de Public Sénat, l’ancien ministre et actuel sénateur de la Meuse, Gérard Longuet adressait ce message au patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau après avoir pris connaissance dans le JDD de deux propositions de loi de son parti sur l’immigration. Dans les colonnes du JDD, les trois leaders de la droite, Bruno Retailleau, le chef de file des députés LR Olivier Marleix et le président des Républicains, Éric Ciotti détaillaient, dans un entretien croisé, « un projet de rupture » en matière de politique migratoire, une manière de mettre au pied du mur le gouvernement qui « procrastine » selon eux, sur ce sujet majeur.
« Il est important que sur le plan national, LR puisse faire ses propres propositions »
Ce mardi, lors de la réunion de groupe hebdomadaire, le vœu de Gérard Longuet a été exaucé. Les deux propositions de loi, constitutionnelle et ordinaire, étaient au menu des discussions. « Il y a une majorité sénatoriale mais il est important que sur le plan national, LR puisse faire ses propres propositions », a justifié Bruno Retailleau à son arrivée. Le sénateur précise que la proposition de loi constitutionnelle et la proposition de loi ordinaire « de plus de 40 articles » seront déposées avant la fin de la semaine. Selon nos informations les textes sont en cours de rédaction.
Mais comme publicsenat.fr l’indiquait lundi, les orientations du texte constitutionnel provoquent déjà des remous au sein de la majorité sénatoriale, composée de 145 élus du groupe LR mais aussi de 57 sénateurs centristes. Ces derniers ont déjà annoncé le dépôt prochain par leur groupe de deux textes sur l’immigration.
« J’ai lu comme vous le JDD. Je n’ai pas vu le texte. Mais ça me paraît audacieux de conditionner à un changement de la Constitution, l’adoption d’un nouveau texte sur l’immigration. La marche est haute », prévient Hervé Marseille le président du groupe centriste du Sénat.
« Ce n’est pas parce que les LR ont des propositions qu’on va les voter »
« Ce sera sans doute complexe (d’avoir le soutien des centristes). Mais il y a eu des propositions de loi constitutionnelle qu’on a déjà voté avec eux », rappelle Bruno Retailleau. Le patron des LR fait référence au texte visant à inscrire dans la Constitution « la prééminence des règles de la République », cosigné par Hervé Marseille et adopté en octobre 2020. Il visait à inscrire au sein de l’article 1er que « nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune ». Cette mesure figurera à nouveau dans la proposition de révision constitutionnelle qui sera déposée cette semaine.
« Oui, il y a des points sur lesquels on tombera naturellement d’accord. Mais ce n’est pas parce que les LR ont des propositions qu’on va les voter. Et partir de là, ils les voteraient avec qui ? », interroge Hervé Marseille. Le patron de l’UDI en profite pour rappeler la volonté de son groupe de voir inscrit dans la loi la création d’un titre de séjour pour les travailleurs sans-papiers dans les « métiers en tension ». Une ligne rouge pour les LR car considérés « comme des pompes aspirantes ».
Dans le JDD, les trois leaders de LR indiquent également vouloir élargir les conditions du recours au référendum de l’article 11 de la Constitution, qui actuellement ne peut porter que sur l’organisation des pouvoirs publics, les réformes relatives à la politique économique et sociale et aux services publics qui y concourent, et sur la ratification des traités internationaux. Le projet LR prévoit que les Français puissent se prononcer par référendum sur tout projet de loi y compris l’immigration.
Une proposition qui cette fois-ci provoque quelques réticences y compris au sein du groupe LR. « Imaginons que Marine Le Pen arrive au pouvoir. Elle pourrait faire des référendums sur tout et être à la tête d’un régime populiste », tique le sénateur LR, Jérôme Bascher. « Je ne suis pas favorable au référendum pour des raisons de principe. On ne répond pas à la question posée et on exalte les positions les plus simplistes », a déclaré Gérard Longuet sur Public Sénat.
« Avec ce programme, on a fait 5 % à la dernière présidentielle »
Bruno Retailleau rappelle quant à lui que cette mesure figurait dans le programme de Valérie Pécresse. Le sénateur de Vendée avait alors la charge d’élaborer le programme des « 100 premiers jours » de la candidate LR. « Et elle avait réuni à l’époque une majorité LR et centriste », souligne-t-il.
« Avec ce programme, on a fait 5 % à la dernière présidentielle. Le problème quand on flirte avec les thèses du RN, c’est que l’électorat qu’on pourrait toucher préférera toujours l’original à la copie. Et, on perd les centristes », lâche une sénatrice LR qui préfère garder l’anonymat.
Un autre point, selon nos informations, a provoqué quelques interrogations lors de la réunion de groupe ce matin. Dans le JDD, Bruno Retailleau déclare vouloir « inscrire dans Constitution la possibilité de déroger à la primauté des traités et du droit européen avec une loi organique, votée dans les mêmes termes par les deux assemblées ou approuvée par référendum quand les intérêts fondamentaux de nation sont en jeu ». Ecrit de cette façon, on comprend qu’il s’agit ni plus ni moins d’une remise en cause du principe juridique de la hiérarchie des normes et des fondements de la construction européenne.
« Attention, il ne s’agit pas de s’exonérer des traités »
Toutefois, interrogé sur ce point, Bruno Retailleau a semblé mettre de l’eau dans son vin ou du moins a précisé sa pensée. « Attention, il ne s’agit pas de s’exonérer des traités […] Mais il ne peut pas y avoir de primauté du droit européen lorsqu’il n’y a pas de compétence européenne », a-t-il expliqué. Le président du groupe LR fait référence à un arrêt de la Cour de Justice européenne de 2021 sur le temps de travail des militaires qui s’appuyait sur une directive de 2003. « Mais les forces armées, la sécurité nationale, sont une compétence nationale », pointe Bruno Retailleau avant d’ajouter : « Le juge sort lui-même des traités et les interprète à sa façon ».
« Oui, il ne s’agit pas de s’exonérer des traités. Je n’aurais pas pu voter un texte en ce sens. Il s’agit simplement de faire entendre la voix de la France y compris en matière d’immigration en attendant le « Pacte sur la migration et l’asile » lancé en 2020 et qui tarde à se mettre en place », confirme Jean-François Rapin, le président LR de la commission des affaires européennes du Sénat en rappelant que l’immigration était une compétence partagée entre l’Union européenne et les Etats membres.
Reste à savoir qu’elle forme cette mesure prendra dans la proposition de loi constitutionnelle. « Nous, nous sommes européens, et on est très gênés lorsqu’il est question de s’affranchir des règles européennes. Nous avons besoin de voir les textes pour savoir sur quels points on pourrait être d’accord. On les invite au dialogue », ajoute Hervé Marseille. Si Les Républicains se montrent intransigeants à l’égard de l’exécutif, brandissant même la menace d’une motion de censure à l’Assemblée si le gouvernement voulait faire passer un « texte laxiste », ils devront néanmoins trouver la voie d’un compromis avec les centristes sous peine de voir leurs propositions passer à la trappe.
Pour les présidents des groupes écologiste et communiste, la censure du gouvernement Barnier était courue d’avance. Ils déplorent les choix du Président de la République et l’exhortent à “créer une plateforme de gouvernement autour des idées du Nouveau Front Populaire.”
Dans une courte allocution, le Président a dessiné l’agenda des prochaines semaines après la censure du gouvernement Barnier : nomination d’un gouvernement « d’intérêt général » resserré, mais rassemblant « toutes les forces de l’arc républicain » et de nouvelles discussions budgétaires en janvier. En attendant, une loi spéciale reconduisant le budget précédent sera votée « mi-décembre. »
Chez Renaissance, plusieurs députés et sénateurs défendent l’idée d’un pacte de « non-censure », du PS au LR en passant par le bloc central, qui permettrait au prochain premier ministre de durer plus de trois mois. Gabriel Attal, à la tête du groupe EPR, soutient le principe en privé, tout comme son homologue du Sénat, François Patriat. Mais en interne, certains députés Renaissance sont en réalité plus circonspects.