Une semaine après la décision du Conseil constitutionnel sur la loi immigration, le groupe centriste vient de déposer une proposition de loi qui reprend une partie des 32 cavaliers législatifs censurés. La proposition de loi « portant diverses dispositions en matière d’immigration et d’intégration » n’a pas été encore enregistrée par les services de la Haute assemblée, mais publicsenat.fr a pu la consulter.
Dans l’exposé des motifs, les co-signataires du texte, le président des sénateurs centristes, Hervé Marseille et l’ancien co-rapporteur du projet de loi immigration, Philippe Bonnecarrère, marquent une différence d’approche avec Les Républicains avec qui ils forment la majorité sénatoriale. Dans les heures qui suivirent la décision du Conseil constitutionnel, les cadres de la droite avaient fustigé l’interprétation par la plus haute juridiction française des fameux « cavaliers législatifs », définis à l’article 45 de la Constitution. Sans se prononcer sur le fond, les Sages avaient considéré que plus d’une trentaine de dispositions, principalement des apports de la droite sénatoriale, n’avaient pas de lien direct ou indirect avec le texte initial. De quoi provoquer la colère des cadres de LR qui avaient dénoncé, pêle-mêle, un « coup d’Etat de droit », un « déni du pouvoir du Parlement », un « hold-up démocratique ».
Un texte qui « ne reflète aucune défiance vis-à-vis du Conseil constitutionnel »
« Le Parlement et le Conseil constitutionnel participent du même État de droit et il ne saurait exister de conflit entre ces deux institutions », rappellent les centristes en préambule de leur texte composé de 16 articles. Une proposition de loi qui a pour « objet de reprendre la plupart des dispositions censurées pour des motifs procéduraux ». « Elle ne reflète aucune défiance vis-à-vis du Conseil constitutionnel », insistent-ils.
« Nous respectons le Conseil constitutionnel. Ce qu’a dit M. Wauquiez me parait excessif et le mot est faible », glisse Hervé Marseille. Pour mémoire, le président de la région Auvergne Rhône-Alpes avait parlé de « coup d’Etat de droit », suite à la décision du Conseil constitutionnel.
La proposition de loi reprend donc certaines dispositions censurées par le Conseil. Les trois premiers articles restreignent les conditions du regroupement familial. Comme l’avait voté le Sénat, la condition de séjour exigée pour qu’un étranger résidant en France puisse formuler une demande de regroupement familial pour l’un de ses proches, est rallongée de 18 à 24 mois, en excluant du dispositif les conjoints de moins de 21 ans et en imposant au demandeur un niveau « élémentaire » en français. Concernant les conditions de ressources, elles ne doivent plus être uniquement « stables et suffisantes », mais également « régulières ». Le Sénat a aussi imposé au demandeur de disposer d’une assurance maladie pour lui et sa famille. Ces deux derniers points avaient provoqué une forte opposition de la gauche, lors de l’examen du projet de loi en séance publique.
Également censuré par le Conseil, Le « délit de séjour irrégulier », puni d’une amende est réintégré dans la proposition de loi.
Pas de quotas ni de caution pour les étudiants étrangers
Contacté par publicsenat.fr, Philippe Bonnecarrère estime que malgré le vote d’un projet de loi, « le sujet de l’immigration est devant nous ». « Tous les chiffres montrent que la pression migratoire augmente en Europe et en France. Et pour paraphraser le Premier ministre nous ne pouvons pas laisser, sur ce sujet, le champ libre aux populistes ».
Afin de maximiser les chances de voir le texte adopté, le groupe centriste n’a pas repris ce que Philippe Bonnecarrère appelle « des irritants ». « Je voulais qu’on dépose notre propre texte, qu’on choisisse nos articles pour ne pas être embarqué vers des points où on n’a pas envie d’aller et qui me paraisse excessif », confirme Hervé Marseille.
A l’exception de certains territoires ultramarins, la proposition de loi ne porte pas sur le droit de la nationalité, ni ne revient sur l’automaticité du droit du sol. L’instauration par le Parlement de « quotas » migratoires annuels, chers au groupe LR, mais qui avaient été censurés par le Conseil constitutionnel au titre du principe de séparation des pouvoirs, n’y figure pas non plus. De même, si les centristes reprennent la disposition controversée qui conditionne le versement de certaines prestations sociales non contributives (droit au logement, l’allocation personnalisée d’autonomie et prestations familiales) à cinq ans de résidence sur le territoire contre six mois actuellement, ils en excluent l’allocation personnelle au logement (APL).
Autre disposition « irritante » écartée par les centristes, la caution demandée aux étudiants étrangers en France pour prévoir leur retour n’est pas intégrée au texte. Toutefois, ceux-ci devront « justifier annuellement » du caractère « réel et sérieux » de leurs études.
Enfin, la proposition de loi a réécrit l’une des rares dispositions censurées sur le fond par le Conseil constitutionnel. Elle autorise le relevé des empreintes digitales et la prise de photographie d’un étranger sans son consentement, afin de rendre plus efficiente l’identification des étrangers en situation irrégulière. L’article 16 du texte apporte des « garanties supplémentaires en prévoyant l’autorisation préalable du procureur de la République saisi préalablement par l’officier de police judiciaire pour recourir à la contrainte, en lieu et place de sa simple information, ainsi que la présence de l’avocat lorsque le relevé d’empreintes digitales et la prise de photographie ». « Nous avons rétabli le texte de la commission des lois. C’est le gouvernement qui nous avait demandé en séance publique de retirer l’autorisation du juge et la présence de l’avocat », rappelle Hervé Marseille.
« Les dispositions représentent notre ligne directrice et notre autonomie »
Mercredi, après le discours de politique générale de Gabriel Attal devant les sénateurs, Hervé Marseille avait appelé le Premier ministre à user « de la construction parlementaire lors de l’examen des textes ». C’est dans cette optique que s’inscrit cette proposition de loi. « Nous proposons au gouvernement une boîte à outils et nous pensons qu’il aurait intérêt à co-construire le texte avec nous. Nous espérons convaincre le gouvernement d’inscrire ce texte à l’ordre du jour, sinon nous l’inscrirons dans notre niche parlementaire prévue fin mars », confirme Philippe Bonnecarrère.
Mais cette main tendue à l’exécutif pourrait provoquer des remous au sein de la majorité sénatoriale. La droite sénatoriale a maintes fois exprimé sa volonté de ne pas voter un texte « a minima » sur l’immigration. A l’heure où nous écrivons ces lignes, les sénateurs LR que nous avons contactés n’ont pas répondu à nos sollicitations. « Le problème n’est pas de se rapprocher du gouvernement, c’est de tout faire pour que Marine Le Pen n’accède pas au pouvoir en 2027. Et même en s’y mettant à plusieurs, nous ne sommes pas sûrs d’y arriver. A un moment donné, il faut choisir ses adversaires », précise le patron des centristes.
Le groupe LR du Sénat pourrait aussi être tenté, comme lors de l’examen du projet de loi immigration, d’amender le texte pour le rendre plus coercitif. « Les dispositions présentées représentent notre ligne directrice et notre autonomie sur un sujet qu’il faut prendre à bras-le-corps. Nous serons très attentifs au respect de l’article 45 de la Constitution (sur les cavaliers législatifs) que tout le monde a appris à connaître la semaine dernière », répond Philippe Bonnecarrère, à l’évocation de cette éventualité.