Invités à débattre du budget 2025 sur Parlement hebdo, le rapporteur LR de la commission des finances du Sénat, Jean-François Husson, et le député PS Arthur Delaporte, s’opposent sur le sujet. « Il faudra bien faire des efforts », défend le sénateur LR, quand le socialiste dénonce « un effort incommensurable ».
Immigration : que peut faire le ministre de l’intérieur par voie réglementaire ?
Par Henri Clavier
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Interrogé sur les mesures qu’il comptait prendre en matière d’immigration, le nouveau ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau a estimé que des adaptations législatives pourraient être nécessaires. Néanmoins, le ministre a indiqué qu’il utiliserait son « pouvoir réglementaire pour aller au bout de ce que l’on peut faire », ajoutant qu’il pourrait « aller assez loin », et notamment sur la réforme de l’Aide médicale d’Etat (AME).
L’année dernière, lors des débats sur la loi immigration, le groupe LR plaidait pour une transformation de l’AME en Aide médicale d’urgence restreignant, de fait, son périmètre. Un amendement, porté par le groupe LR de Bruno Retailleau, prévoyant le remplacement de l’AME avait d’ailleurs été voté au Sénat l’année dernière. La mesure avait finalement été abandonnée et la Première ministre de l’époque, Élisabeth Borne, avait promis une réforme de l’AME par voie réglementaire, sur les bases du rapport Evin-Stefanini. Sujet phare pour la droite, la suppression de l’AME ne devrait cependant pas être possible par décret. Au moment des négociations en vue de l’adoption de la loi immigration, la droite avait obtenu un certain nombre de concessions de la part du gouvernement (visant notamment à restreindre l’accès à l’aide personnalisée au logement ou à l’allocation personnalisée d’autonomie), avant que ces mesures ne soient censurées par le Conseil constitutionnel.
Sur l’AME, « les marges sont relativement faibles »
« La marge de manœuvre du ministre de l’intérieur en matière réglementaire constitue une question constitutionnelle majeure : celle de la répartition des compétences entre le Gouvernement et le Parlement en matière législative, celle de la conciliation des articles 34 et 37 de la Constitution. En principe, dès lors qu’une liberté est affectée, il revient au Parlement d’intervenir », pose Marie-Laure Basilien Gainche, professeure de droit public à l’université Lyon 3. En outre, l’Aide médicale d’Etat, créée par une loi, ne peut être supprimée que par une autre loi.
« Pour l’AME, il faut une loi, et par ailleurs une suppression serait contraire à la Constitution. La modification en Aide médicale d’urgence est éventuellement possible, sous réserve de respecter la Constitution, mais là encore cela nécessite une loi. Les marges sont relativement faibles », estime Serge Slama, professeur de droit public à l’Université Grenoble-Alpes. « Certaines choses peuvent être faites, mais à la marge », confirme Tania Racho, docteure en droit européen et spécialisée en droit des étrangers. Néanmoins, en ce qui concerne l’AME, il est possible de modifier par décret certaines dispositions touchant à l’éligibilité des personnes au dispositif.
Dans son projet de réforme de l’AME par décret, le précédent gouvernement envisageait d’inclure les ressources du conjoint (Français ou étranger en situation régulière) dans les critères de ressources ouvrant droit à l’AME. Or l’AME est réservée aux personnes touchant moins de 847 euros par mois. « Le ministre de l’intérieur peut potentiellement agir par voie réglementaire, notamment sur le calcul des critères d’éligibilité », confirme Tania Racho.
Des ajustements à la marge dans le respect des obligations constitutionnelles et conventionnelles
De manière générale, le pouvoir réglementaire doit respecter les obligations constitutionnelles et conventionnelles posées par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la convention européenne des droits de l’Homme. Par conséquent, la marge de manœuvre est réduite. « Le cadre européen règle un certain nombre de situations, sur le regroupement familial par exemple », rappelle Tania Racho. Les modifications prises par décret ne peuvent donc pas toucher aux droits fondamentaux comme le droit d’accéder à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux. « Le principal obstacle du ministre de l’intérieur, ce sont les droits fondamentaux », assure Serge Slama.
Le ministre de l’intérieur dispose cependant de possibilités pour modifier des dispositions réglementaires en lien avec l’immigration. Dans un avis du 26 janvier 2023, le Conseil d’Etat estimait qu’il était possible de modifier, par décret, le niveau de langue nécessaire (basé sur le cadre européen de référence pour les langues) pour obtenir un titre de séjour. En outre, « il y a éventuellement la possibilité de modifier des décrets d’application notamment de la loi Darmanin », envisage Serge Slama.
« Dans le cadre de son pouvoir hiérarchique, le ministre de l’intérieur peut toucher aux conditions de régularisation »
Au-delà du seul pouvoir réglementaire, Bruno Retailleau a affirmé vouloir « réunir les 10 préfets des départements où il y a le plus de désordre migratoire pour leur demander d’expulser plus et régulariser moins ». Les obligations de quitter le territoire français (OQTF) et les décisions de régularisation, notamment, sont des mesures administratives prises par les préfets qui sont eux-mêmes placés sous l’autorité hiérarchique du ministre de l’intérieur. Dans ce cadre, le ministre peut publier des circulaires, qui ne relèvent pas du pouvoir réglementaire, pour interpréter les dispositions normatives. « Dans le cadre de son pouvoir hiérarchique, le ministre de l’intérieur peut donner des instructions aux préfets, il peut toucher aux conditions de régularisation qui est un pouvoir discrétionnaire des préfets », affirme Serge Slama. La régularisation peut se faire par le travail, pour des motifs liés au regroupement familial ou pour d’autres motifs. En 2012, la circulaire Valls a posé des critères pour uniformiser le traitement des demandes formulées auprès des préfectures. Afin « d’expulser plus et régulariser moins », le ministre de l’intérieur pourrait donc procéder par circulaire.
Néanmoins, si la France est l’un des pays de l’Union européenne qui délivre le plus d’OQTF, c’est également celui qui observe un des plus faibles taux d’exécution. Principale raison de ce faible taux d’exécution, l’absence de délivrance de laisser passer consulaire par les pays vers lesquels le retour s’effectue. « On a un nouveau ministre de l’intérieur qui tient le même discours que ses prédécesseurs depuis Charles Pasqua sur l’immigration et le résultat sera identique », ironise Serge Slama.
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