Immigration : « Si l’on veut que les choses avancent, il ne faut pas que le texte constitutionnel soit une ligne rouge », selon François-Noël Buffet

Alors que le ministre de l’Intérieur appelle « chacun à faire un pas » sur le texte immigration, le président LR de la commission des lois ne fait pas de la révision de la Constitution, mise sur la table par LR, une « ligne rouge ». Il préfère se concentrer sur l’autre proposition de loi. « Il faut distinguer les deux textes. Ils ne vivront pas ensemble ». Selon François-Noël Buffet, « le texte ordinaire, lui, peut arriver très très vite devant le Parlement, et singulièrement devant le Sénat ».
François Vignal

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Sur le papier, un accord entre la majorité présidentielle et les LR sur l’immigration est loin d’être acquis. D’un côté, les LR ont mis sur la table leurs cartes : une proposition de loi ordinaire et une proposition de loi constitutionnelle. De l’autre, un gouvernement, qui après avoir tergiversé, cherche une majorité sur son texte, qui mêle mesures de durcissement et régularisations dans les métiers en tension.

« Plusieurs options »

Chargé par la première ministre, Elisabeth Borne, de « mener des consultations », le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, se dit ouvert à un rapprochement avec les LR : « Chiche, travaillons ensemble ! » lance le ministre ce week-end dans Le Parisien. Mais pour cela, « chacun doit faire un pas » en vue d’un compromis. Pour le véhicule législatif, « il y a plusieurs options, dont celle d’étudier la proposition de loi du Sénat. Mais elle ne connaît pas la sécurité juridique qu’offre un examen au Conseil d’État. On peut garder notre texte (le projet de loi du gouvernement, ndlr), déjà adopté par la commission des lois du Sénat, en discutant ensemble des amendements pour le modifier. Les LR voudraient absolument qu’on redépose ensemble un nouveau texte de loi ? Nous y sommes prêts s’il est discuté avec les centristes et les radicaux », avance Gérald Darmanin.

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Le ministre retient notamment, parmi les propositions LR, « le conditionnement des visas, avec la modulation de l’aide au développement des pays concernés, à la mise en oeuvre des laissez-passer consulaires ». Mais en revanche, ce sera « non » pour s’affranchir des traités européens, comme le préconisent les LR. Le ministre y voit un « frexit migratoire ». Les LR proposent notamment d’inscrire dans la Constitution « la possibilité de déroger à la primauté des traités et du droit européen […] quand « les intérêts fondamentaux de la Nation » sont en jeu ».

Chacun sa ligne rouge

Interrogé sur France Inter ce mardi matin, le patron des sénateurs LR, montre également de bonnes dispositions. Mais pas à n’importe quel prix. « Ma porte est ouverte », assure Bruno Retailleau, prêt à « recevoir » le ministre de l’Intérieur pour en discuter. Mais il prévient : « Nous sommes prêts au dialogue à une seule condition, c’est qu’on arrête de tromper les Français, c’est qu’on ne fasse pas la 22e loi en un peu plus de 20 ans qui ne servirait à rien du tout ». Ne voulant pas « une nouvelle pompe aspirante », pour le sénateur, les régularisations restent « une ligne rouge ».

Reste que pour le gouvernement, se mettre en marge des traités européens serait aussi une ligne rouge, comme l’a souligné Elisabeth Borne. Les deux textes doivent-ils être pris, aux yeux des LR, comme un tout indivisible, synonyme de blocage ? « Le gouvernement nous dit qu’il veut un texte ? Eh bien, nous lui en proposons deux ! Pour nous, c’est ça ou rien », a lancé dans le JDD Olivier Marleix, président du groupe LR de l’Assemblée.

La PPL constitutionnelle « a peu de chance d’aboutir »

Mais pour le président LR de la commission des lois du Sénat, François-Noël Buffet, conscient de la difficulté de trouver une majorité, il ne faut pas faire de ce point « une ligne rouge ». « La proposition de loi constitutionnelle, qui pose des questions de fond, est extrêmement importante. […] Cela relève d’abord de la volonté du président de la République, s’il a envie de discuter de cela. Le Parlement peut en discuter, mais il y a peu de chance que ça aboutisse, si on ne trouve pas un accord sur cette base », avance le sénateur LR du Rhône à publicsenat.fr (voir la vidéo, images d’Audrey Vuetaz). Il sait bien qu’au sein même de la majorité sénatoriale, les alliés du groupe Union centriste, présidé par Hervé Marseille, ne veulent pas d’une révision de la Constitution sur l’immigration. Ils vont d’ailleurs déposer leur propre proposition de loi.

Cette PPL constitutionnelle, « c’est un acte, en tous les cas. C’est une orientation qui est donnée », explique le président de la commission des lois. Autrement dit, le texte permet aussi au LR d’en faire un marqueur politique. « Il ne faut pas rejeter la PPL constitutionnelle par principe, car elle pose un certain nombre de questions qui sont réelles, […] mais on ne peut pas passer à côté du débat, qui est nécessaire », continue le sénateur, qui a petit déjeuné avec Gérald Darmanin jeudi dernier. Faut-il dissocier les deux textes dans ce cas, la PPL constitutionnelle d’un côté et la PPL ordinaire de l’autre ? « Oui, il faut distinguer les deux textes. Ils ne vivront pas ensemble. La PPL constitutionnelle suivra son chemin, qui est un chemin beaucoup plus complexe, beaucoup plus lourd. Alors que le texte ordinaire, lui, peut arriver très très vite devant le Parlement, et singulièrement devant le Sénat », défend François-Noël Buffet, qui ajoute :

 Si l’on veut que les choses avancent sur l’immigration, il ne faut pas que le texte constitutionnel soit une ligne rouge. Ce serait dommage d’ailleurs que le gouvernement le considère comme tel. 

François-Noël Buffet, président LR de la commission des lois du Sénat

La proposition de loi ordinaire déposée ce mercredi

« Sur le reste, j’ai lu l’interview du ministre de l’Intérieur. Je crois qu’il y a matière à discussion, il y a matière à échanger. Donc il faut avancer maintenant. Qui fait le premier pas ? » demande François-Noël Buffet, qui en réalité, en fait déjà un de son côté en ne faisant pas de la révision de la Constitution un casus belli. Le sénateur appelle plutôt à « discuter sur la base de la PPL que nous avons faite. Et je le rappelle, il y a un texte du gouvernement qui a été débattu en commission des lois, qui constitue une deuxième base ».

Cette proposition de loi, le second texte donc, sera déposée sur le bureau du Sénat ce mercredi, a appris publicsenat.fr. Inspirée d’un rapport du président LR de la commission des lois sur l’immigration, il entend « affirmer qu’on n’entre pas en France par effraction en rétablissant le délit pour séjour clandestin », aboli en 2012 sous François Hollande, avait souligné Bruno Retailleau dans le JDD. Autre idée : engager « un bras de fer avec les pays qui n’acceptent pas de donner des laissez-passer consulaires pour récupérer leurs ressortissants, tant au niveau des visas qu’au niveau de l’aide au développement ».

« Les métiers en tension, c’est réglementaire. C’est l’admission exceptionnelle au séjour. Il suffit à la première ministre ou au ministre de l’Intérieur de faire une circulaire », souligne François-Noël Buffet

Ce matin, en marge de la réunion de groupe hebdomadaire des sénateurs LR, certains remarquent aussi que la PPL constitutionnelle ressemble plus à l’Everest qu’au Ballon d’Alsace : difficile à gravir. « La PPL constitutionnelle est incontournable mais en l’état de la composition à l’Assemblée, ce sera dur d’avoir un texte commun avec le Sénat (indispensable pour modifier la Constitution, ndlr) », comme le note le sénateur LR Stéphane Le Rudulier.

Mais en revanche, pas question de lâcher sur les métiers en tension. « Cela reste une ligne rouge. On ouvrirait complètement les vannes », met en garde la sénatrice LR Alexandra Borchio-Fontimp, proche d’Eric Ciotti. Tout juste reconnaît-elle que « si on avait un taux de chômage proche de zéro, on pourrait imaginer avoir des besoins sur la main d’œuvre étrangère », « mais on est très loin d’y être et aujourd’hui, le nombre de régularisations augmente ». Selon François-Noël Buffet, la porte de sortie pour le gouvernement pourrait être de passer par voie réglementaire. Pas besoin de passer par la loi pour régulariser, rappelle le sénateur LR. « Les métiers en tension, c’est réglementaire. C’est l’admission exceptionnelle au séjour. Il suffit à la première ministre ou au ministre de l’Intérieur de faire une circulaire, comme c’était le cas avec la circulaire Valls », glisse François-Noël Buffet, qui souffle l’idée aux macronistes…

Reste qu’une partie de la majorité présidentielle ne veut pas lâcher sur le sujet. « Le gouvernement a ses problèmes de majorité à régler aussi. Est-ce qu’ils veulent avancer ou donner satisfaction à son aile gauche, au président de la commission des lois (Sacha Houlié, ndlr) et ses copains ? » demande le sénateur Philippe Tabarot. « Le problème, ce n’est pas nous. S’il y a un problème, c’est l’aile gauche du gouvernement », appuie un poids lourd du groupe LR.

« C’est un jeu de mistigri, c’est qui va se refiler la patate chaude »

Dans ces conditions, certains députés Renaissance commencent à évoquer l’idée de rester sur leur ligne, de garder les métiers en tension dans le texte, quitte à ne pas avoir de majorité à l’Assemblée. De quoi faire porter le chapeau au LR en passant. « C’est un jeu de mistigri, c’est qui va se refiler la patate chaude », lance un responsable LR, selon qui « ils savent que sans 49.3, ça ne passe pas ». Mais si le gouvernement en arrive là, le risque est grand à tous niveaux. Olivier Marleix a déjà menacé de déposer une motion de censure en pareil cas. « Dans ce contexte, utiliser le 49.3 c’est comme lancer une bombe nucléaire à neutron. C’est un jeu dans lequel au bout du bout, il peut y avoir un flop », selon le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse. Il ajoute : « Les cartes sont sur la table. La question, c’est de savoir à quel jeu on joue : on joue au poker menteur ou à un jeu pour avancer et tenir un édifice qui tient la route, et qui en gros, se rapproche de ce que fait le Danemark, avec des résultats ? » demande le sénateur du Nord, qui n’exclut pas qu’à la fin « ça aboutisse en queue de poisson ».

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