C’était l’image du jour. Nicolas Sarkozy, accompagné de son épouse Carla Bruni, sortant de leur domicile à Paris avant que l’ancien président de la République se rende à la prison de la Santé. C’est là que Nicolas Sarkozy est incarcéré depuis ce mardi 21 octobre après avoir été condamné en première instance pour « association de malfaiteurs » dans l’affaire du financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007, une première dans la Ve République. La prison de la Santé où, la veille, le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, a annoncé qu’il se rendra pour aller voir celui qui a déjà fait appel de la décision.
À l’antenne de France Inter, le garde des Sceaux a justifié cette annonce en affirmant que cette visite aura pour but de s’assurer des « conditions de sécurité » de l’ancien président. Ce matin à l’antenne de France Info, le procureur général près la Cour de cassation, Rémy Heitz, a jugé qu’une telle visite présenterait le risque d’être « ressentie par les magistrats, et perçue par l’opinion, comme une forme d’obstacle à cette sérénité recherchée ». Une sérénité qu’il place en objectif permettant « à la justice […] de statuer de façon indépendante ».
« Imaginez un instant qu’il lui arrive quelque chose en prison »
Gérald Darmanin n’a pas tardé à répondre au magistrat. Dans un message publié sur son compte X, le locataire de la place Vendôme a soutenu que « s’assurer de la sécurité d’un ancien Président de la République en prison, fait sans précédent, n’atteint en rien à l’indépendance des magistrats, mais relève du devoir de vigilance ». Pour le sénateur Les Républicains Stéphane Le Rudulier, qui a par ailleurs apporté son soutien à l’ancien Président, il est « logique » que le garde des Sceaux « aille vérifier que les conditions d’incarcération de Nicolas Sarkozy soient au niveau du personnage ». « Imaginez un instant qu’il lui arrive quelque chose en prison », déclare le sénateur à Public Sénat.
Pour le parlementaire, la prise de parole de Rémy Heitz est « une erreur manifeste », soutenant que « le ministre de la Justice peut se rendre dans n’importe quelle prison pour vérifier les conditions d’incarcération des détenus en général ». Sur la question de l’indépendance des magistrats, il affirme qu’il n’y a « pas de sujet », précisant que, selon lui, Gérald Darmanin est « dans son rôle de garde des Sceaux ».
Une question de « posture »
Sa collègue Dominique Vérien, sénatrice centriste de l’Yonne, ne voit pas elle non plus de problème d’indépendance des magistrats. « On sait que le garde des Sceaux ne peut pas donner de consignes aux magistrats. Ces derniers sont libres », précise-t-elle à Public Sénat, tout en déclarant que, pour elle, « c’est une façon de faire de la politique qui [la] navre », parlant d’une politique de « posture ». Elle, pour qui la sécurité et les conditions d’incarcération de l’ancien Président ne posent pas de problème a priori, juge tout de même que cette annonce n’envoie pas un message de « soutien à ces magistrats ».
Sur le plateau de Public Sénat ce matin, la présidente de la commission des lois de la chambre haute, l’élue LR Muriel Jourda, a, elle, estimé que Gérald Darmanin est « tout à fait [dans son] rôle », précisant que Nicolas Sarkozy est « un détenu particulier » dont la sécurité doit « être assumée de façon particulière ».
Un mélange des genres « nuisible » ?
Le son de cloche est différent à la gauche de l’hémicycle sénatorial. Marie-Pierre de la Gontrie, parlementaire socialiste, affirme à Public Sénat que « Rémy Heitz sauve l’honneur de la justice ». Pour elle, Gérald Darmanin « n’a apparemment pas pris la mesure des responsabilités de sa fonction ». Patrick Kanner, chef de file des sénateurs PS, y voit lui un mélange des genres « qui peut être incompris, voire nuisible ». « Je crois en la notion de séparation de pouvoir, un élément fondamental de la république », estime le juriste de formation. Évoquant l’entretien entre Emmanuel Macron et son prédécesseur la semaine dernière en plus de la visite promise par Gérald Darmanin, il est bon, selon Patrick Kanner, « que quand on est membre de l’exécutif, on reste à sa place ».
Nicolas Sarkozy a expliqué qu’il souhaitait utiliser son temps d’incarcération à écrire et, parmi ses références de lecture, peut-on lire dans les colonnes de la Tribune Dimanche, se trouvent les lettres rédigées par le capitaine Dreyfus lors de sa détention sur l’île du Diable. Patrick Kanner pose un regard plutôt négatif sur la comparaison. Celui qui défendra la réhabilitation militaire d’Alfred Dreyfus lors de la niche socialiste le 6 novembre prochain, juge cela « un peu gênant ».
Cette annonce de Gérald Darmanin a aussi fait réagir des magistrats. Ludovic Friat, président de l’Union Syndicale des Magistrats (syndicat majoritaire) a évoqué hier la visite promise par le garde des Sceaux comme « un étrange message », estimant sa visite en personne non nécessaire. Le magistrat de s’étonner : « on ne sait plus s’il fait cette visite comme ami ou comme garde des Sceaux ».