Jour J pour le traité CETA, cet accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada entré en vigueur en partie en 2017. L’Assemblée nationale a adopté, avec une très courte majorité (266 voix pour, 213 voix contre) le projet de loi ratifiant le traité, au cours d’un vote solennel. La date n’est pas encore fixée mais le projet de loi de ratification devrait être examiné au Sénat en octobre. Dans cette chambre où la République en marche est réduite à un petit groupe, le vote pourrait être disputé, au vu des inquiétudes observées dans les groupes de gauche, comme chez les Républicains, qu’elles soient économiques, écologiques ou sanitaires.
La disparition de barrières douanières entre le Canada et l'UE soulève des craintes, notamment s’agissant des conséquences sur les produits issus de l’élevage. Une révélation de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), la semaine dernière, a jeté le trouble. Le Canada autorise l’utilisation de certaines protéines animales bien précises (farines de sang et gélatine) dans l’alimentation des bovins. Si les autorités de l’autre côté de l’Atlantique assurent que ces substances sont sans danger, ces produits restent toutefois interdits en Europe depuis la crise de la vache folle.
La présidente de la commission des Affaires économiques menace de s’opposer au CETA
La présidente de la commission des Affaires économiques du Sénat menace de s’opposer au CETA
À l’Assemblée nationale, le groupe présidé par Christian Jacob s’opposera au Ceta. Qu’en sera-t-il chez leurs collègues sénateurs ? À cause du volet agricole et la différence entre deux modèles de production, le traité n’a pas vraiment la cote. « Sur le principe, je ne suis pas opposé au libre-échange », précise d’emblée le sénateur LR Olivier Paccaud. Oui, mais... « Il s’avère que dans le cas présent, on a trop de doutes concernant certaines modalités. Parce qu’on a besoin de protéger notre agriculture, notre sécurité alimentaire et notre approvisionnement, à titre personnel je ne voterai pas le CETA. Une bonne partie de mes collègues sont plutôt sur ma position. »
Depuis des mois, les parlementaires sont régulièrement interpellés par les citoyens et les ONG, qui relayent leurs craintes. « Sur le CETA, on reçoit des emails sans arrêt », nous raconte le sénateur Sébastien Meurant, téléphone en main. « Ça me paraît incroyable qu’aujourd’hui on signe ce type de traité avec des permis d’importation d’animaux nourris avec des produits interdits en France ! »
Même si elle le trouve « positif » pour les deux parties, la présidente de la commission des Affaires économiques, Sophie Primas, donne la couleur : si certaines filières, et en particulier la viande bovine, ne sont pas retirées du traité, ce sera non. « On a des réserves sur ce texte, qui portent sur la qualité de l’alimentation et la situation de concurrence déloyale qu’il n’est plus possible d’accepter », alerte la sénatrice des Yvelines, accusant la France d’avoir bâclé la phase de négociations. « Je crois que les autorités françaises ces dernières années se sont tenues beaucoup trop éloignées des négociations de la Commission européenne. Nous avons été absents des tours de table. »
« Dommage que l’émotion l’emporte sur la raison », réagit Jean Bizet
Du côté de la droite représentée dans la commission des Affaires européennes, qui suit de près le dossier, le ton est loin d’être alarmiste. Bien au contraire. « Le CETA est un très bon accord parce qu’il est équilibré », affirme son président Jean Bizet (LR). Le sénateur de la Manche reconnaît que la filière de la viande rouge « peut soulever quelques émotions ». Mais la balance est bénéficiaire sur les fromages, le vin et d’autres produits « sous signe de qualité », insiste-t-il.
Jean Bizet accuse en réalité la filière de viande bovine d’avoir manqué d’ambition à l’international. « La Fédération Nationale Bovine et la FNSEA sont en train de nous enfumer […] Ils sont dans l’incapacité de s’organiser pour décrocher des marchés à l’export et de se positionner autrement que dans une posture de protectionniste. » Quant aux inquiétudes sanitaires, les États membres devront s’organiser. « Il est de leur ressort d’assurer les contrôles et la traçabilité. C’est nous de nous prendre en main sur le sujet. Nous mènerons des auditions à la rentrée, sur ces contrôles, pour essayer de lever les doutes. »
Oppositions au Ceta : « Dommage que l’émotion l’emporte sur la raison », réagit Jean Bizet
« À partir du moment où les principes ont été actés, ce serait faire un mauvais procès a priori », appuie son collègue Benoît Huré, éleveur de profession. Alors que le vote s’annonce libre au sein du groupe sur le projet de loi de ratification, Jean Bizet promet qu’il « fera tout » pour « expliquer la réalité à ses collègues ». « J’estime que c’est dommage que, dans la toute dernière ligne droite, l’émotion l’emporte sur la raison. »
Les sénateurs socialistes en débattront à la rentrée
Ceta : « Ce traité n’est pas consensuel. Nous aurons à avoir un débat au sein du groupe » (Kanner)
À gauche, les positions sont aussi plurielles. Le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) mène une opposition radicale depuis plusieurs années à ce traité. « Ça doit être non et non », tonne l’ancienne socialiste Marie-Noëlle Lienemann, qui redoute l’affaiblissement des États dans le règlement des litiges ou encore l’impact environnemental d’échanges transcontinentaux.
Officiellement, au niveau du groupe socialiste, aucune position n’a été arrêtée. « Ce traité n’est pas consensuel. Nous aurons à avoir un débat au sein du groupe », observe Patrick Kanner, le patron des sénateurs socialistes. L’ancien ministre n’exprimera pas son point de vue sur un traité qui a été signé par François Hollande. Les députés du PS ont, eux, tranché : ce sera une opposition unanime. « Nous avons notre autonomie, notre souveraineté et notre réflexion à avoir, ça se fera tranquillement à la rentrée », modère Patrick Kanner. En attendant la rentrée, la faille juridique sur les farines animales a donné du grain à moudre aux opposants du traité. « Il faut reporter le vote aujourd’hui », s’est écriée sur Twitter la sénatrice PS Marie-Pierre de la Gontrie.
Le CETA pourrait-il connaître un revers au Sénat, par le biais d’une nouvelle alliance de circonstance gauche-droite, comme celle qui est née face au processus de privatisation d’Aéroports de Paris et de la Française des Jeux ? La décision serait symbolique. Uniquement symbolique. Car le dernier mot reviendrait aux députés. Treize États européens seulement ont, à l’heure actuelle, ratifié le traité. Le vrai risque pourrait venir de l’Italie, opposée au CETA. « Qu’est-ce qui se passerait si quelqu’un disait non ? Personne n’est en capacité de le savoir », se projette Sophie Primas.