Inceste : Éric Dupond-Moretti favorable au seuil de non-consentement à 18 ans, après s’y être opposé au Sénat
Nouveau revirement du ministre de la justice au sujet des violences sexuelles sur mineurs. Éric Dupond-Moretti a déclaré être favorable à un seuil de non-consentement à 18 ans en cas d’inceste. Il y a un mois, il s’était pourtant opposé à un amendement socialiste en ce sens, lors de l’examen de la proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes sexuels.
Éric Dupond-Moretti ouvre la voie à la criminalisation de l’inceste. « Nous souhaitons le seuil de 18 ans. Personne ne pourra dire si la victime a 17 ans, si elle était, ou il était d’accord », a-t-il indiqué au Grand jury LCI/RTL/Le Figaro.
Une réponse aux associations qui demandent de longue date cette mesure. Une réponse aussi à la vague de témoignages de victimes qui affluent depuis la publication du livre de Camille Kouchner « Familia grande ».
Pour autant, cette déclaration du ministre de la Justice n’en constitue pas moins un revirement au regard de sa prise de position lors des débats, le 21 janvier dernier, qui ont entouré l’examen de la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels, portée par la sénatrice centriste, Annick Billon.
Criminalisation de l’inceste : avis défavorable du gouvernement au Sénat
C’est une demande de la gauche du Sénat que le ministre reprend ainsi à son compte après l’avoir rejeté quelques semaines plus tôt. En effet, en séance publique, la sénatrice de Paris, Marie-Pierre de la Gontrie avait déposé un amendement pour criminaliser l’inceste. « Ce que nous proposons par ce texte, c’est que moins de 18 ans = inceste = crime », avait-elle plaidé en demandant l’instauration d’un seuil d’âge de non-consentement à 18 ans en cas d’inceste.
Crime sexuels sur mineurs: "inceste= crime" plaide Marie-Pierre de la Gontrie
01:25
Le ministre avait donné un avis défavorable reprenant les arguments de la rapporteure LR de la proposition de loi, Marie Mercier. « Une époustouflante démonstration des difficultés qui se posent » saluait-il.
« Avec ce dispositif, si on a un mineur de 17 ans et demi qui a un rapport consenti avec le concubin de sa sœur qui n’a que quelques années de plus […] cette relation l’enverrait directement aux assises, alors qu’ils n’ont aucun lien de sang et a priori aucun rapport d’autorité […] ça peut se régler gentiment sans aller aux assises. Un tel dispositif me paraît être une sérieuse atteinte aux droits de la défense », avait objecté la rapporteure.
« Envoyer aux assises à l’emporte-pièce, pour le dire ainsi, ce n’est pas le but de la loi pénale. Je suis convaincu que vous n’aviez pas songé à l’exemple développé par Mme la rapporteure », avait renchéri le ministre (voir la vidéo ci-dessous)
L’amendement de Marie-Pierre de la Gontrie n’avait pas été adopté, à la différence d’un autre qui renforce la peine encourue pour les atteintes sexuelles incestueuses sur mineur, la portant à 10 ans d’emprisonnement contre 7 ans actuellement. Mais « il ne répond pas pour autant à notre préoccupation au sujet du crime d’inceste », avait souligné la sénatrice de Paris.
« Ce qui me gêne, c’est le changement de cap du gouvernement »
Du côté de la majorité sénatoriale, on ressort perplexe des dernières déclarations du garde des Sceaux. « Au fond, on partage tous le même but : protéger les victimes. Mais ce qui me gêne, c’est le changement de cap du gouvernement », note Marie Mercier qui craint toujours que la proposition des socialistes et désormais celle du garde des Sceaux ne se transforment « en une machine à erreur judiciaire ».
Au cœur de l’actualité ces dernières semaines, l’inceste ne constitue pas une infraction spécifique mais une circonstance aggravante du crime de viol ou des délits d’atteinte sexuelle ou d’agression sexuelle. La qualification spécifique de l’inceste n’a fait son entrée que tardivement dans le Code pénal, en 2016.
Quand le Conseil Constitutionnel censurait une loi sur la criminalisation de l’inceste
Marie Mercier continue de s’interroger sur la constitutionnalité d’un crime spécifique. « Nous sommes tout à fait d’accord pour protéger les mineurs jusqu’à leurs 18 ans en cas d’inceste. C’est la définition de l’infraction qui pose problème », explique-t-elle.
En effet, la sénatrice garde en mémoire la censure du Conseil constitutionnel en 2011, de la loi tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le Code pénal. Il s’agissait d’une proposition de loi déposée par l’ancienne députée LR, Marie-Louise Fort et promulguée en 2010. Saisis dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, les Sages avaient estimé que si le législateur pouvait « instituer une qualification pénale particulière pour désigner les agissements sexuels incestueux », il ne pouvait « sans méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, s’abstenir de désigner précisément les personnes qui doivent être regardées, au sens de cette qualification, comme membres de la famille ».
« Le garde des Sceaux connaissait mal le sujet »
A gauche le revirement d’Éric Dupond-Moretti n’a pas manqué d’être soulevé par la sénatrice socialiste, Marie-Pierre de la Gontrie. « Rejeté par le gouvernement, la commission (des lois) et le Sénat, le 21 janvier. 15 jours plus tard le gouvernement propose la mesure… Amateurs », a-t-elle fustigé sur Twitter.
« D’abord, je pense que le garde des Sceaux connaissait mal le sujet. Il n’était pas très affûté sur ces questions. Il nous disait : il faut réfléchir. Et on lui faisait remarquer que ça faisait des années que nous travaillions sur ces sujets », rappelle Laurence Rossignol, ancienne Ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes.
« Et puis, on peut noter que c’est plus difficile pour le gouvernement d’affronter le monde associatif, des personnalités diverses, bref la société en général que quelques sénateurs dans l’hémicycle. Face à la pression de l’opinion publique, tous les gouvernements sont obligés de céder. Je me réjouis, bien évidemment que le gouvernement reprenne nos propositions. Ce qui importe ce sont les victimes. Ce qui est quand même regrettable, c’est cette tendance qu’a le gouvernement à s’attribuer la paternité de propositions qu’il a rejetées. Ils ne veulent pas se désavouer et donner l’impression qu’ils suivent une initiative de gauche », estime la sénatrice de l’Oise.
L’annonce du garde des Sceaux intervient après la publication dans le Parisien week-end, d’une tribune cosignée par 162 personnalités demandant que « des lois fermes dissuadent ces actes inacceptables ». « Nous […] vous demandons que ce seuil de non-consentement soit fixé à 15 ans, 18 ans en cas d’inceste », peut-on relever dans ce texte écrit par Tristane Banon et signé notamment par Juliette Binoche, Isabelle Carré, Guillaume Gallienne ou Patrice Leconte.
« Nous sommes prêts à avancer avec le gouvernement sur ce sujet »
La sénatrice centriste Annick Billon se félicite quant à elle que son texte permette de légiférer sur un « sujet devenu prégnant dans l’actualité ». « J’ai écrit ce texte il y a un an et je n’avais pas la prétention de régler le problème de l’inceste. Je n’avais d’ailleurs pas travaillé sur ce sujet », reconnait-elle avant de prendre soin de rappeler que la problématique de l’inceste ne figurait pas non plus dans la loi de Marlène Schiappa de 2018. « Nous sommes prêts à avancer avec le gouvernement sur ce sujet. Le fait que l’exécutif ait choisi le texte du Sénat comme véhicule législatif, c’est déjà un bon départ » indique-t-elle.
« Le Conseil constitutionnel va-t-il être plus en phase avec la demande sociétale ? »
« Emmanuel Macron avait promis en 2017 la mise en place d’un seuil d’âge de non-consentement à 15 ans pour les violences sexuelles sur mineurs et le gouvernement s’est rangé derrière l’avis du Conseil d’Etat pour y renoncer en 2018 lors de la loi Schiappa. De notre côté, nous nous sommes basés sur cet avis pour fixer un seuil à 13 ans. Maintenant le ministre est favorable au seuil de 15 alors qu’il évoquait un risque constitutionnel au Sénat et propose de légiférer sur l’inceste. Le Conseil constitutionnel va-t-il être plus en phase avec la demande sociétale ? », s’interroge Annick Billon.
Effectivement, mardi dernier, après s’y être opposé là encore devant le Sénat, le ministre de la Justice a annoncé sa volonté de mettre en place un seuil d’âge de 15 ans en dessous duquel un mineur ne peut consentir à un acte sexuel avec un majeur. « Un écart d’âge de 5 ans » est toutefois prévu pour prendre en compte les relations sexuelles entre adolescents.
L’Assemblée nationale examine actuellement la proposition de loi de la socialiste, Isabelle Santiago. Un texte qui prévoit la création du seuil d’âge à 15 ans et qui punit également de 20 ans de réclusion criminelle une relation sexuelle incestueuse entre un majeur et un mineur de moins de 18 ans, Mais la proposition de loi n’arrivera probablement jamais devant le Sénat. La semaine dernière, le gouvernement a fait le choix de la proposition de loi du Sénat comme véhicule législatif à ses mesures annoncées. Une première lecture est prévue le 15 mars à l’Assemblée nationale avant un retour devant les sénateurs pour une seconde lecture le 25 mars.
Le vote de la motion de censure n’a pas seulement fait tomber le gouvernement Barnier. Il empêche l’adoption de nombreux dispositifs, notamment toutes les mesures d’aides. Les agriculteurs et la Nouvelle Calédonie en font les frais, comme l’indexation de l’impôt sur le revenu. Il faudra attendre un nouveau budget, en début d’année, pour y remédier.
Dans le contexte du procès des assistants parlementaires du FN, Jordan Bardella se voit refuser la reconduction de François Paradol, son directeur de cabinet, comme assistant parlementaire local. « Le Parlement européen est devenu plus regardant sur les activités du RN », indique Olivier Costa, spécialiste de l’Union européenne.
Invité de la matinale de Public Sénat, Mathieu Darnaud, président du groupe Les Républicains au Sénat, a répété ce jeudi que son parti ne participerait pas à « un gouvernement dont le Premier ministre serait de gauche et porterait le programme du Nouveau Front populaire ». Le responsable pointe « l’irresponsabilité » des forces politiques qui ont voté la censure.
Après avoir été présenté en conseil des ministres ce mercredi 11 décembre, le projet de loi spéciale sera examiné à l’Assemblée nationale à partir du 16 décembre et au Sénat en milieu de semaine prochaine. Cet après-midi, les ministres démissionnaires de l’Economie et du budget ont été entendus à ce sujet par les sénateurs. « La Constitution prévoit des formules pour enjamber la fin d’année », s’est réjoui le président de la commission des Finances du Palais du Luxembourg à la sortie de l’audition.