« Grace à cette affaire on est train de prendre conscience d’un problème qui a été laissé un peu de côté par la vague Me Too », se satisfait Isabelle Aubry, présidente de l’Association « Face à l’Inceste ».
Dans un livre « la Familia grande », la fille de l’ancien ministre Bernard Kouchner, Camille Kouchner, fait état du viol et des attouchements sexuels que son frère jumeau lui a confié avoir subi à l’adolescence par son beau-père : le politologue, constitutionnaliste et ancien eurodéputé, Olivier Duhamel.
Un livre témoignage qui, de par la renommée de l’agresseur présumé, brise le tabou des violences sexuelles intrafamiliales, alors qu’un Français sur dix déclare avoir été victime d’inceste selon un sondage IPSOS commandé par l’association Face à l’inceste.
La forte médiatisation de cette affaire pose également plusieurs questions juridiques dont se sont emparés les parlementaires depuis plusieurs années. En effet, l’interdiction d’une relation incestueuse entre un majeur et un mineur n’a été inscrite que très récemment dans le code pénal mais ne constitue pas une infraction spécifique. « L’inceste ne bénéficie pas d’un dispositif juridique diffèrent de celui du viol ou d’une agression sexuelle. C’est une circonstance aggravante de l’infraction », explique Me Carine Durrieu-Diebolt, avocate spécialisée dans la défense des victimes de violences sexuelles.
L’inceste fait son entrée dans le code pénal en 2016
La loi du 14 mars 2016 sur la protection de l’enfance introduit une qualification spécifique de l’inceste dans le code pénal de la manière suivante : « Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis sur la personne d’un mineur par : 1° Un ascendant ; 2° Un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce ; 3° Le conjoint, le concubin d’une des personnes mentionnées aux 1° et 2° ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l’une des personnes mentionnées aux mêmes 1° et 2°, s’il a sur le mineur une autorité de droit ou de fait. »
« Symbolique » pour l’association Face à l’inceste, qui demande la création d’une infraction spécifique visant à punir spécifiquement les relations sexuelles incestueuses entre un majeur et un mineur. Elle a été entendue par la députée PS, Isabelle Santiago, membre du Conseil national de la protection de l’enfance. Sa proposition de loi qui sera examinée en séance publique le 18 février prochain punit de 20 ans de réclusion criminelle une relation sexuelle incestueuse entre un majeur et un mineur de moins de 18 ans. Son texte fixe par ailleurs un seuil d’âge de non-consentement à 15 ans en dessous duquel une relation sexuelle entre un majeur et un mineur est punie de 20 ans d’emprisonnement. « J’ai été très surprise par les débats qui ont entouré la loi Schiappa contre les violences sexuelles et sexistes. Un texte qui n’a finalement pas permis de fixer un seuil d’âge de non-consentement. C’est un vide juridique auquel il faut remédier. Il faut poser un interdit clair afin de mettre fin à aux situations ubuesques que l’on peut voir dans les tribunaux » souligne-t-elle.
Evacuer la question du consentement dans les affaires d’inceste
« La question du consentement dans l’inceste ne devrait même pas se poser », affirmait Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, lors de son audition devant la délégation aux droits des femmes en novembre dernier. Faute de la mise en place d’un seuil d’âge de non-consentement, elle se pose pourtant comme en témoigne Isabelle Aubry. « J’ai été violée et prostituée par mon père et la première question que m’a posée le juge d’instruction c’est si j’étais consentante. Je ne savais pas ce que cela voulait dire. Quand vous avez été éduquée dans une telle ambiance, vous ne savez même pas que c’est mal. Mon père a tout avoué et mon avocate Gisèle Halimi m’avait laissé le choix entre un procès d’assises, où il y avait un risque qu’il soit acquitté et le tribunal correctionnel avec une requalification des faits en atteinte sexuelle (infraction réprimant les relations sexuelles, y compris consenties, entre un majeur et un mineur). J’ai choisi le tribunal correctionnel, il a pris six ans, il est sorti au bout de quatre », se désole-t-elle.
La création d’un seuil d’âge de non-consentement avait effectivement rythmé les débats entourant la loi sur les violences sexuelles et sexistes en 2018. A l’origine, une promesse de Marlène Schiappa qui s’était finalement heurtée à un principe constitutionnel : la présomption d’innocence. Un seuil de présomption de non-consentement, parfois appelée présomption irréfragable, peut être comparée à une sorte de peine automatique, constituait une présomption de culpabilité peu compatible avec les droits de la défense, comme le soulevait le Conseil d’État.
Une proposition de loi du Sénat fixe un seuil d’âge de non-consentement à 13 ans
Au Sénat, la majorité sénatoriale de droite n’était pas favorable à un seuil de non-consentement lui préférant une présomption de contrainte (voir notre article) à l’inverse de la délégation aux droits des femmes. Sa présidente, la centriste, Annick Billon va revenir à la charge dans les prochaines semaines à l’occasion de l’examen de sa proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels. Son texte, examiné en séance publique le 21 janvier prochain, cosigné par une centaine de sénateurs de tous bords vise à interdire tout acte sexuel entre une personne majeure et un mineur de moins de 13 ans. La sénatrice a attendu le renouvellement du Sénat en septembre dernier pour déposer sa proposition de loi et ainsi augmenter les chances de voir son texte adopté. Elle aussi veut poser « un interdit clair » sur les relations sexuelles entre majeur et mineur et ainsi éviter les requalifications de viols en atteinte sexuelles.
Crime d’inceste : examiné au Sénat par voie d’amendement
Que ce soit à l’Assemblée nationale ou au Sénat, les deux textes visent à « exclure la question du consentement » des prétoires en dessous d’un certain âge dans les affaires de violences sexuelles sur mineurs comme l’explique la sénatrice PS, Laurence Rossignol, ancienne ministre de la famille de l’enfance et des droits des femmes. « Dans l’affaire Olivier Duhamel, si elle avait été judiciarisée, la défense aurait pu arguer du consentement de la victime » souligne-t-elle. Laurence Rossignol a également déposé un texte visant à créer un crime de violence sexuelle sur mineur de quinze ans. Un seuil qu’elle considère plus protecteur. Dans le cadre de l’examen de la proposition de loi d’Annick Billon, Laurence Rossignol annonce qu’elle déposera également un amendement visant à créer un crime spécifique punissant les relations incestueuses entre un majeur et un mineur.
Prescription
L’affaire Olivier Duhamel a également mis en lumière la question des délais de prescription en matière de crime sexuel sur mineurs, passées de 20 à 30 ans avec la loi Schiappa. Les associations militent pour leur imprescriptibilité aujourd’hui réservée aux crimes contre l’Humanité. « Je n’y suis pas favorable car parfois la fin du délai de prescription permet de libérer la parole des victimes » fait valoir Laurence Rossignol. Une autre piste évoquée par Me Carine Durrieu-Diebolt consisterait à « suspendre de délai de prescription dans les cas d’une pluralité de victimes d’un même auteur. Ça permettrait d’éviter des situations injustes alors que des preuves existent comme nous l’avons vu dans l’affaire Le Scouarnec » préconise-t-elle.
Une commission indépendante sur les violences sexuelles devra se saisir du sujet de l’inceste et amener des propositions. « Je n’ai rien contre cette commission mais on ne va pas attendre deux ans pour régler un problème que tout le monde connaît » prévient Isabelle Santiago qui espère un « vote majoritaire » de sa proposition de loi.