« Incompréhension ». Le maintien de Dupond-Moretti au gouvernement passe mal
Reconduit au ministère de la Justice, Éric Dupond-Moretti entretient des relations très dégradées avec les magistrats qui s’émeuvent de son maintien au gouvernement. Sa mise en examen pour prise illégale d’intérêt pose un « problème institutionnel », d’après eux. Malgré un budget en hausse, le garde des Sceaux va également faire face à un monde judiciaire en tension. Une augmentation des moyens humains et financiers est attendue de pied ferme. 

« Incompréhension ». Le maintien de Dupond-Moretti au gouvernement passe mal

Reconduit au ministère de la Justice, Éric Dupond-Moretti entretient des relations très dégradées avec les magistrats qui s’émeuvent de son maintien au gouvernement. Sa mise en examen pour prise illégale d’intérêt pose un « problème institutionnel », d’après eux. Malgré un budget en hausse, le garde des Sceaux va également faire face à un monde judiciaire en tension. Une augmentation des moyens humains et financiers est attendue de pied ferme. 
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Par Héléna Berkaoui

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« Incompréhension. » Le choix de maintenir Éric Dupond-Moretti au ministère de la Justice passe mal auprès des magistrats. « Nous avons été très surpris de ce choix », réagit Cécile Mamelin, vice-présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM). « Maintenir Éric Dupond-Moretti pose un problème institutionnel du fait de sa mise en examen pour prise illégale d’intérêt. On ne peut pas réduire ce sujet à une simple passe d’armes avec les magistrats », insiste-t-elle.

Le garde des Sceaux a été mis en examen en juillet 2021 par la Cour de justice de la République (CJR). Il est soupçonné d’avoir utilisé ses nouvelles attributions pour régler ses comptes avec des magistrats avec lesquels il a eu maille à partir lorsqu’il était avocat. Les magistrats de la commission d’instruction de la CJR devront prochainement décider des suites à donner. Éric Dupond-Moretti pourrait alors être renvoyé devant la formation de jugement de la CJR.

La Cour de justice de la République, justement, devrait faire l’objet d’une réforme. Emmanuel Macron avait, en effet, promis dès 2017 la suppression de cette juridiction chargée de juger les membres du gouvernement pour les actes délictueux ou criminels commis dans l’exercice de leurs fonctions. Une situation intenable pour le secrétaire national du Syndicat de la magistrature, Nils Monsarrat.

Des inquiétudes sur l’indépendance de la justice

Le garde des Sceaux serait aussi intervenu pour bloquer la nomination du juge d’instruction Serge Tournaire, selon les informations du Monde. Ce juge d’instruction respecté par ses pairs a notamment été en charge des affaires Bygmalion, Fillon ou des sondages de l’Elysée. « Que le ministre puisse décider de rayer le nom d’un magistrat pose un problème de garantie statutaire en termes d’indépendance de la justice », soulève Nils Monsarrat. Comme sa consœur de l’USM, il insiste sur le fait que le sujet n’est pas réductible à une revendication corporatiste mais concerne l’intérêt général.

En poste depuis près de deux ans, le médiatique ministre de la Justice est arrivé avec un style très différent de celui de sa prédécesseure, Nicole Belloubet. Le ton est tranchant, parfois brutal, mais Éric Dupond-Moretti s’est aussi imposé en décrochant des moyens importants pour son ministère. « Une hausse historique », comme il se plaît à le rappeler.

Mais pour les professionnels, cette hausse s’apparente plus à un budget de rattrapage. Fin 2020, la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej) rendait un rapport peu reluisant. Malgré des progrès, le budget de la France consacré à la justice reste inférieur à la moyenne des Etats membres du Conseil de l’Europe.

Malgré une hausse de budget, un bilan décrié

« Il y a un problème de bilan, Éric Dupond-Moretti s’est certes battu pour obtenir un budget plus important mais une partie de cet argent a été dépensée pour embaucher des personnels en contrats précaires », pointe la vice-présidente de l’USM. Un millier de contractuels a, en effet, été recruté fin 2020 dans les services pénaux et au parquet et un autre millier de contractuels a été appelé pour répondre à la crise des moyens de la justice civile.

« On attend des recrutements pas des contractuels », renchérit la secrétaire générale du syndicat des greffiers de France, Isabelle Besnier-Houben. « 2 000 contractuels, toutes catégories confondues, voient leur contrat prendre fin au mois de septembre et ils n’ont aucune perspective pour le moment », indique-t-elle. Comme l’ensemble du monde de la justice, Isabelle Besnier-Houben attend avec impatience le rapport issu des états généraux de la justice pour connaître les orientations du ministère.

« On attend énormément des états généraux de la justice »

« On attend énormément des états généraux de la justice », prévient-elle en listant les revendications : « Des revalorisations indemnitaires et catégorielles ainsi que la possibilité pour les greffiers d’un passage en catégorie A ». Si Isabelle Besnier-Houben est sensiblement moins hostile au garde des Sceaux, elle témoigne en revanche d’un environnement professionnel dégradé. Elle pointe un « manque de considération » des greffiers au sein même des juridictions, notamment avec les magistrats. « Il y a une fracture qui s’est créée avec le temps, ce sont deux mondes qui vivent ensemble mais qui ne se connaissent plus », décrit-elle.

Lire aussi. Mobilisation des magistrats : Dupond-Moretti défend le bilan du quinquennat

Chez une partie des avocats, la reconduction d’Éric Dupond-Moretti accable. « C’est la continuité d’une politique de casse du service public de la justice », estime Claire Dujardin, présidente du Syndicat des avocats de France (SAF), classé à gauche. La première sortie du garde des Sceaux en compagnie du ministre de l’Intérieur à Bordeaux pour visiter une cellule chargée des mineurs non accompagnés donne une tonalité inquiétante à ses yeux. « Ce serait bien qu’il prenne en compte le fait qu’il s’agit de mineurs, de protection de l’enfance. Ce n’est pas un bon signal », redoute Claire Dujardin.

« On en a ras le bol de ne pas être écoutés »

Elle rejoint par ailleurs les critiques du SM et de l’USM concernant la mise en examen d’Éric Dupond-Moretti et dénonce un problème de méthode. « On en a ras le bol de ne pas être écoutés, durant le dernier quinquennat il y a eu une concertation de façade, on a été très peu consultés », déplore la présidente du SAF. Le quinquennat a vu une multitude de réformes enclenchées et une « accélération dans l’élaboration des lois ». Un rendement presque jamais vu qui a vu l’instauration de la réforme du code de justice pénale des mineurs, de la loi sur la justice de proximité et la réponse pénale ou encore la loi anticasseurs.

« On espère tout de même qu’il saura être à l’écoute de nos demandes », veut croire Claire Dujardin. Lors de son intronisation, Éric Dupond-Moretti a affirmé qu’il serait « le ministre du dialogue, de la concertation et de l’action ». Un dialogue manifestement nécessaire.

 

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