Indemnisations : les professionnels de la restauration dénoncent le « cynisme » des assurances
Auditionnés au Sénat, les représentants du secteur de l’hôtellerie et de la restauration demandent la création « d’une commission parlementaire pour faire la lumière » sur les profits des assurances pendant les périodes de confinement.
Entre les assureurs et le secteur de l’hôtellerie et de la restauration, le torchon brûle depuis le premier confinement. Ces derniers reprochent aux compagnies d’assurances ne pas avoir pris suffisamment en charge leur perte d’exploitation, liée à la pandémie de Covid-19.
« Nous avons été fermés de mars à juin, trois mois. Nous avons connu une période de couvre-feu et là nous sommes fermés depuis novembre. On en est à 6 mois de fermeture » a rappelé Didier Chenet, président du syndicat patronal des indépendants de l’hôtellerie-restauration, auditionné avec Hervé Bécam, vice-président de l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie (Umih) et Alexis Bourdon, président du Syndicat national de l’alimentation et la restauration rapide, par la commission des affaires économiques du Sénat.
« La quasi-totalité des professionnels va se retrouver, fin décembre, sans assurance »
Une période marquée par un conflit avec les assurances, ont rappelé les intervenants aux sénateurs, quelques jours après l’annonce de Bruno Le Maire d’un un gel des primes l’an prochain aux entreprises des secteurs les plus touchés par la crise. Une mesure jugée insuffisante par les syndicats de restaurateurs. « Les assurances ont eu un comportement peu aimable et à cela s’ajoute le cynisme […] A ce jour la quasi-totalité des professionnels va se retrouver, fin décembre, sans assurance, parce qu’ils dénoncent, à tour de bras, les contrats […] La belle affaire, on va nous geler les montants (des primes) mais pour des garanties qui sont moindres. Là, je le dis c’est du cynisme » a expliqué Didier Chenet.
Les entreprises de moins de 250 salariés « ne verront pas leur contrat d’assurance professionnelle multirisque augmenter en 2021, a annoncé le ministre de l’Économie Bruno Le Maire dans une intervention diffusée sur Twitter, lundi, à l’issue d’une réunion avec les assureurs.
La veille, le PDG de l’assureur Axa France, Jacques de Peretti avait dénoncé un « chantage scandaleux » du ministre de l’Economie, qui réclamait le gel des primes pour 2021, faute de quoi le gouvernement soutiendrait un amendement déposé au Sénat visant à instaurer une contribution exceptionnelle de 2 % sur les primes versées au titre des contrats d’assurance dommage.
Le Sénat suit de près le dossier des assurances
En effet, l’amendement voté lors de l’examen, le projet de loi de finances pour 2021 vise à créer une taxe exceptionnelle de 2 % sur les primes des contrats d’assurance dommages. Cet apport du Sénat sera l’un des « enjeux » de la commission mixte paritaire (CMP) qui se réunira dans quelques jours.
La contribution du secteur de l’assurance à la crise économique est un sujet que le Sénat prend à bras-le-corps depuis des mois. Pour rappel, Le 2 juin, la haute assemblée a adopté une proposition de loi de Jean-François Husson (LR), Vincent Segouin (LR) et Catherine Dumas (LR). Son but est de « définir et de coordonner les rôles respectifs des assurances et de la solidarité nationale dans le soutien des entreprises victimes d’une menace ou d’une crise sanitaire majeure ». La gauche n’est pas en reste. Constatant une baisse de la sinistralité pour les assureurs, le groupe socialiste, écologiste et républicain du Sénat a lui aussi déposé une proposition de loi. Celle-ci vise à créer une « juste contribution, exceptionnelle » sur les assurances « afin qu’elles concourent à la solidarité nationale ». Les représentants du secteur de l’hôtellerie et restauration ont donc pu bénéficier de l’oreille attentive des parlementaires, ce mercredi, en affirmant que les assurances avaient « fait des profits exceptionnels pendant les périodes de confinement » sur l’automobile, les entreprises et l’habitation.
Auditionnée le 25 novembre devant la commission des finances de l’Assemblée nationale, la Fédération française de l’assurance s’était défendue, en expliquant notamment que globalement, la charge des sinistres s’était alourdie de deux milliards d’euros. Elle a même souligné que le résultat du secteur s’était grevé de cinq milliards d’euros à cause de la crise du covid-19-19, qui a entraîné de lourdes dépenses sur le front des arrêts de travail, de la prévoyance ou encore de la responsabilité civile.
« Les assurances ont économisé sur le dos de l’Etat et du chômage partiel
Didier Chenet a quant à lui dénoncé « un dernier profit, un profit caché » des assurances : « le profit fait sur le dos de l’Etat et du chômage partiel ». Selon lui, lorsque des assurances ont indemnisé des entreprises en raison de la perte d’exploitation liée au risque pandémique (cela concernerait 3 % des contrats actuellement, selon la Fédération française des assureurs), elles l’ont fait « à hauteur de 20 à 25 %, ce sont les charges fixes ». « Si nous avions été dans une situation normale […] les assurances auraient dû rembourser aussi aux entreprises les frais de personnels. Le montant ce n’est pas 20 à 25 % mais 70 à 75 %. Par conséquent, les assurances ont économisé sur le dos de l’Etat et du chômage partiel deux tiers de ce qu’elles auraient dû indemniser ».
Pour toutes ces raisons, Didier Chenet « demande la création d’une commission parlementaire pour faire la lumière sur tout ce qui s’est passé parce que nous n’avons aucun chiffre. Ce que nous voulons c’est la vérité. La création d’une telle commission nous permettrait de faire la lumière sur ce dossier des assurances » a-t-il conclu.
« Défaillances d’entreprises » au premier trimestre 2021
Lors de cette audition, les représentants du secteur ont indiqué que des « défaillances d’entreprises » allaient arriver au premier trimestre, « quand il va falloir payer tout ce qu’on n’a pas payé : des charges, des loyers », a affirmé Didier Chenet.
Selon un sondage effectué en novembre par le GNI auprès de ses adhérents, 66 % se sont dit très inquiets pour la reprise tandis que 30 % envisageaient « de déposer le bilan ou de raccrocher » , a-t-il rapporté.
Déconfinement : une « catastrophe » à Paris et dans les grandes villes
Les orateurs ont estimé que le déconfinement du mois de juin a été « l’arbre qui cache la forêt » pour la santé économique des établissements. « Un très bon redémarrage sur le littoral […] par contre, pour les grandes villes, ça a été la catastrophe et Paris particulièrement […] Paris c’est 50 % du volume du tourisme en France » a rappelé Didier Chenet.
Si les professionnels « remercient les Français et le gouvernement des mesures prises » pour soutenir le secteur, dont le chômage partiel qu’ils souhaitent voir prolongé au-delà du 31 décembre, « il s’agit d’endettement, plus que d’aides : les prêts garantis par l’Etat, c’est un endettement supplémentaire qu’il faudra bien rembourser » , a complété Hervé Becam.
Pas de reprise le 15 décembre mais un étirement des vacances de février
Alors que plusieurs sénateurs ont écrit au Premier ministre en ce sens, le vice-président de l’Umih a affirmé qu’il n’avait la volonté « farouche » de rouvrir le 15 décembre. « Nous pensons que pour préserver la sécurité économique de nos établissements, nous préférons quelques semaines de sacrifices supplémentaires, que d’avoir à retourner sur des mois de confinement ». En revanche, les professionnels ont écrit mardi, au Premier ministre et au ministre de l’Education nationale « pour leur proposer un étirement des vacances de février ». « C’est-à-dire qu’on fait fi des zones et on donne 15 jours, 15 jours, 15 jours… » a-t-il expliqué.
En attendant la réponse du gouvernement, les professionnels de l’hôtellerie et de la restauration réclament « davantage de visibilité sur leur réouverture » et appellent à un « rassemblement » le 14 décembre à Paris, place des Invalides.
Après avoir été présenté en conseil des ministres ce mercredi 11 décembre, le projet de loi spéciale sera examiné à l’Assemblée nationale à partir du 16 décembre et au Sénat en milieu de semaine prochaine. Cet après-midi, les ministres démissionnaires de l’Economie et du budget ont été entendus à ce sujet par les sénateurs. « La Constitution prévoit des formules pour enjamber la fin d’année », s’est réjoui le président de la commission des Finances du Palais du Luxembourg à la sortie de l’audition.
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