« J’en discutais la semaine dernière avec un ténor du barreau de mon groupe et il était certain que l’exécution provisoire ne serait pas appliquée à Marine Le Pen. Comme quoi, en politique, on a toujours des surprises », confie le sénateur LR de l’Oise, Olivier Pacaud.
Surprise ? en tout cas énorme rebondissement dans la course à la prochaine présidentielle dont la favorite est désormais exclue. Le tribunal correctionnel de Paris a suivi les réquisitions du parquet dans l’affaire de soupçons d’emplois fictifs d’assistants parlementaires RN et a condamné Marine Le Pen à une peine de cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire, c’est-à-dire non suspensive d’appel que son avocat a d’ailleurs interjeté.
« Rien à voir avec sa candidature »
« Cette condamnation était prévisible », estime pour sa part le patron des sénateurs socialistes, Patrick Kanner. « Les juges n’ont fait qu’appliquer la loi dans toute sa sévérité. Marine Le Pen a été condamnée pour détournement de fonds publics, ce qui n’a rien à voir avec sa candidature », ajoute-t-il.
Le président du groupe écologiste du Sénat, Guillaume Gontard rappelle que « la démocratie, c’est aussi l’état de droit. Les juges ont appliqué la loi que les parlementaires élus, ont votée », fait-il remarquer. « La loi est connue. Depuis la loi Sapin II, elle est exemplaire vis-à-vis des élus qui comme Marine Le Pen et ses amis, ont été pris la main dans le sac », complète le sénateur communiste Pierre Ouzoulias.
Pour Max Brisson, sénateur LR, cette décision va créer, au contraire « un fossé entre le peuple et nos institutions ». « Je ne vocifère pas contre les juges mais cette décision me laisse un sentiment mitigé, de malaise.. Ils ont fait qu’appliqué une loi d’émotion, votée après l’affaire Cahuzac. Mais les juges sont aussi des citoyens qui ont une responsabilité dans le fonctionnement de nos institutions ».
« La jugocratie qui prive les électeurs de faire un choix »
« L’inéligibilité, c’est sévère mais c’est ce que le Parlement a voté. Après, est-ce qu’il fallait aller jusqu’à une application immédiate de la peine ? C’est ce que les juges ont décidé. On ne peut qu’en prendre acte […] Je suis assez mal à l’aise avec le fait qu’on empêche un candidat porté par le suffrage universel, qui rassemble un grand nombre de voix, de pouvoir concourir devant le juge ultime, le peuple français », commente Hervé Marseille, le président du groupe centriste du Sénat.
« Il y a le respect de l’état du droit mais aussi l’esprit de la loi. Marine Le Pen a été condamnée parce qu’elle a fauté mais rien n’obligeait les juges à assortir cette condamnation d’une exécution provisoire », estime également Olivier Paccaud affirmant « ne pas aimer cette jugocratie qui prive les électeurs de faire un choix ». Le président des députés Républicains Laurent Wauquiez a lui aussi considéré qu’il n’était « pas sain pour une démocratie qu’une élue soit interdite de se présenter à une élection ».
Soutien de François Fillon en 2017, Valérie Boyer (LR) fait un parallèle avec le sort de l’ancien candidat à la présidentielle. « Des faits différents, mais les mêmes conséquences. Au-delà de l’affaiblissement de notre démocratie avec de vraies interrogations sur la séparation des pouvoirs, ces jugements alimentent la crise de confiance envers la justice », écrit-elle sur X.
« On va nous entonner cette petite musique du complot »
Des arguments balayés par la gauche. « Le RN n’est pas bâillonné puisque ses idées seront représentées en 2027 par un autre candidat. Ce qui serait dangereux, c’est que la justice soit appliquée de manière différentiée selon les candidats, qu’il y aurait une justice à 2 vitesses. Mais je sais qu’on va nous entonner cette petite musique du complot dans les jours qui viennent », relève le sénateur communiste de Paris, Ian Brossat. « L’élection présidentielle n’est pas une affaire de partis, c’est la rencontre d’un homme ou d’une femme avec le peuple. Et qu’on aime ou pas Marine Le Pen, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle a un lien avec le peuple. Cet argument selon lequel, la démocratie est respectée car le RN aura un candidat, c’est un argument très IVe République », rétorque Max Brisson.
« Cette décision risque d’être contreproductive. Il va y avoir une prime au martyr au bénéfice du RN. Leur électorat va penser que la justice est aux ordres. Dans une affaire sur des faits relativement similaires, le président du Modem, François Bayrou a été relaxé et est aujourd’hui à Matignon. On ne pourra pas empêcher les électeurs de faire la comparaison », note Olivier Paccaud. Selon son entourage, François Bayrou qui avait apporté des marques de soutiens à Marine Le Pen dans cette affaire, a été « troublé par l’énoncé du jugement ».
Vers un changement de la loi ?
Hervé Marseille alerte sur les « lourdes conséquences » de cette décision et évoque l’idée d’un changement de législation. « Si le Parlement veut se saisir à nouveau de ce sujet, il le pourra en changeant la loi et appliquer des peines différentes. « On ne peut pas en vouloir à la justice d’appliquer la loi. C’est aux parlementaires de s’en vouloir s’ils ont voté des textes comme cela ».
« Je ne suis pas sûr qu’il y ait une majorité de Français pour revenir sur ce texte », répond Guillaume Gontard. Il rappelle qu’il y a quelques années dans une interview sur Public Sénat, Marine Le Pen, la première, demandait « l’inéligibilité à vie pour les politiques condamnés ». « Moi, ma veste est immaculée, j’ai une éthique et une morale », s’enorgueillissait-elle. « Cette exigence de probité ne peut pas s’appliquer uniquement aux autres. Que l’on soit puissant ou non, la justice passe, c’est plutôt une bonne nouvelle ».
A l’étranger, les premiers soutiens apportés à Marine Le Pen sont venus de régimes illibéraux. Le Kremlin a déploré une « violation des normes démocratiques ». Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán a écrit sur X : « Je suis Marine ! ». « J’attends la réaction de M. Trump. Il serait capable de prêter des troupes à Marine Le Pen pour partir à l’assaut du Conseil constitutionnel », ironise Pierre Ouzoulias. L’élu s’inquiète néanmoins de la montée des régimes autoritaires qui considèrent que le droit doit être très fort vis-à-vis des faibles mais modeste vis-à-vis des élus ».
Pierre Ouzoulias ne croit pas si bien dire. A la tête du département de l’Efficacité gouvernementale aux Etats-Unis, Elon Musk a dénoncé un « abus du système judiciaire », mettant en garde contre « un retour de bâton ».