Le choc a été si fort pour Marine Le Pen qu’elle a préféré quitter la salle d’audience sans entendre le prononcé de sa peine. « Parce que j’avais parfaitement compris ce que la présidente expliquait, à savoir qu’elle était en train de rendre une décision politique », a expliqué Marine Le Pen interviewée lundi soir au 20h de TF1.
Dans l’affaire de soupçons d’emplois fictifs d’assistants parlementaires RN, Marine Le Pen a été condamnée à 4 ans de prison dont deux ferme, 100 000 euros d’amende et surtout 5 ans d’inéligibilité avec exécution provisoire c’est-à-dire non suspensive d’appel. Pour la présidente du groupe RN de l’Assemblée, cette application immédiate de la peine complémentaire d’inéligibilité à pour but de l’« empêcher de (se) présenter et d’être élue à l’élection présidentielle ».
Me Rodolphe Bosselut, son avocat, a confirmé que sa cliente avait l’intention de faire appel, tout en précisant devant un parterre de journalistes « qu’il n’existait aucun recours contre l’exécution provisoire ». Pourtant, sur les plateaux de télévision, certains juristes ont évoqué la possibilité pour la défense de saisir le premier président de la Cour d’appel afin de suspendre l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité.
Peut-on suspendre l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité ?
« En matière pénale, le principe est l’exécution de la peine après une condamnation définitive. Condamné dans l’affaire des écoutes, Nicolas Sarkozy s’est fait poser un bracelet électronique après le rejet de son pourvoi en cassation. Après sa condamnation en première instance, Marine Le Pen ne va pas se faire poser un bracelet électronique puisqu’elle va faire appel. Il existe, toutefois, des exceptions à ce principe, le juge à la possibilité d’ordonner l’exécution provisoire de telle ou telle sanction en première instance », rappelle David Levy, avocat au barreau de Paris et enseignant à l’université Paris-Dauphine.
Julia Courvoisier, également avocate au barreau de Paris, complète : « En matière pénale, il n’existe pas de suspension de l’exécution provisoire comme c’est le cas en matière civile ».
En effet, selon l’article 514-3 du code de procédure civile, le premier président de la Cour d’appel, saisi en référé, peut arrêter l’exécution provisoire d’une décision de première instance « lorsqu’il existe un moyen sérieux d’annulation ou de réformation (en appel) et que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives. »
Quel rapport avec le cas de Marine Le Pen ? « Il pourrait y avoir un débat juridique fondé sur la nature même de la sanction d’inéligibilité. Si l’on considère que c’est une privation d’un droit civique, alors la procédure civile s’applique », esquisse David Levy précisant ne pas adhérer à cette thèse, « mais on a le droit d’être créatif ».
« Une peine d’inéligibilité ou l’interdiction des droits civiques sont des peines prévues par le code pénal. La seule option pour Marine Le Pen, c’est de passer par un nouveau jugement en appel », confirme Julia Courvoisier.
Suspension de la peine pour motif grave ?
Olivier Cahn, professeur de droit pénal à l’université de Cergy s’essaye lui aussi à la « création » juridique et évoque l’article 708 du code de procédure pénale. Cette disposition permet au ministère public de suspendre l’exécution d’une peine non-privative de liberté « pour motifs graves d’ordre médical, familial, professionnel ou social ». « A mon sens aucun motif grave ne peut être évoqué dans cette affaire », précise-t-il.
Pour pouvoir se présenter à l’élection présidentielle, Marine Le Pen n’a donc qu’une possibilité : un nouveau procès en appel. Mais pour ça, la députée du Pas-de-Calais va devoir miser sur un calendrier favorable. Lors de la séance des questions d’actualité au gouvernement, le ministre de la Justice Gérald Darmanin a dit souhaiter que le procès en appel de Marine Le Pen soit organisé dans le délai « le plus raisonnable possible ». « Il appartiendra à la Cour d’appel de Paris, parfaitement indépendante de son organisation, de fixer la date de cet appel », a-t-il insisté.
Rappelons ici que depuis 2013, la loi sur l’indépendance du parquet interdit les instructions du garde des Sceaux dans les affaires individuelles. Une accélération du calendrier afin que le délibéré du second jugement se tienne avant la campagne présidentielle n’est pas à exclure pour autant mais il est serré. « Le délai moyen pour une audience d’appel à Paris est d’un an, auquel il faut ajouter la durée du procès, pour le cas de l’affaire des assistants parlementaire RN il a duré deux mois, et le jugement a été rendu 4 mois plus tard, ce qui nous amène à 18 mois avant la prochaine audience », calcule David Levy.
Julia Courvoisier rappelle que les délais d’audiencement sont raccourcis lorsque la personne condamnée, est en détention, ce qui n’est pas le cas des 24 accusés de l’affaire des assistants RN. « Vous imaginez si les 23 décident de faire appel comme Marine Le Pen, il va se dérouler deux à trois ans avant le nouveau procès. J’entends des élus qui veulent changer la loi sur l’automaticité de la sanction d’inéligibilité dans les affaires de détournement de fonds publics, mais on pourrait aussi changer la loi pour raccourcir les délais après une sanction d’inéligibilité avec exécution provisoire », esquisse-t-elle.
« La longueur des délais d’audiencement n’est que l’illustration de la grande misère de la justice française. On peut aussi relever qu’il y a tout le gratin du barreau de Paris dans cette affaire, il va falloir qu’ils accordent leur emploi du temps pour ne pas rallonger encore plus les délais », ajoute Olivier Cahn.
Quel espoir pour Marine Le Pen en appel ?
A la lecture des 152 pages du jugement, rendus publics aujourd’hui, faisant état « d’un véritable système mis en place puis perfectionné pour alléger les charges de personnel du parti », la possibilité de voir la Cour d’appel infirmer le jugement de première instance semble mince.
Reste l’espoir d’une peine d’inéligibilité prononcée sans son exécution provisoire, qui laisserait ainsi à Marine Le Pen un dernier recours, celui du pourvoi en cassation. En attendant, elle pourrait se présenter à l’élection présidentielle. « A partir du moment où le procès a démontré que Marine Le Pen était à la tête d’un système de détournement de fonds, il est difficile d’écarter l’exécution provisoire », estime Olivier Cahn qui s’appuie sur la décision du Conseil constitutionnel du 28 mars dernier.
Saisis d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée par un élu local de Mayotte qui contestait sa peine d’inéligibilité « assortie d’une exécution provisoire », les Sages ont considéré que l’exécution des décisions de justice en matière pénale « contribue à renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants et mettent en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public ».