« La justice a pris une décision en fonction des lois existantes. C’est l’Etat de droit et je respecte, cette décision », a d’abord rappelé Gérard Larcher, interrogé sur les conséquences politiques de la décision judiciaire visant Marine le Pen cette semaine dans l’affaire des emplois fictifs des assistants parlementaires RN. Marine Le Pen a été condamnée pour détournement de fonds publics par le tribunal correctionnel à 4 ans de prison dont deux ferme, 100 000 euros d’amende et surtout 5 ans d’inéligibilité avec exécution provisoire c’est-à-dire non suspensive d’appel.
Depuis lundi, des voix s’élèvent à l’extrême droite pour changer la loi. Éric Ciotti, le patron de l’UDR a déposé une proposition de loi « pour supprimer l’exécution provisoire pour les peines d’inéligibilité ».
« C’est le Parlement qui décidera si oui, ou non, il faut toucher à l’écriture de la loi », a prudemment avancé François Bayrou, estimant « qu’il y avait des questions à se poser » (lire notre article).
Des questions, Gérard Larcher s’en pose aussi au regard « du nombre de décisions en inéligibilité prises vis-à-vis des élus ». Dans les colonnes du Figaro, Gérard Larcher cite les chiffres du service statistique ministériel (SSM) de la justice. « En 2018, nous avions 440 peines d’inéligibilité prononcées contre 8 857 en 2022 ! », souligne-t-il.
« Voir si cette loi doit être revue et adaptée »
Au micro de Public Sénat, il poursuit : « 7 ans après la loi de 2017 (pour la confiance de la vie politique), plus de 9 après la loi Sapin, il faut évaluer la loi et ses conséquences […] voir si cette loi doit être revue et adaptée ». Rappelons ici que contrairement à ce qui a pu être dit dans un premier temps, la condamnation à une peine d’inéligibilité de Marine Le Pen n’est pas l’application de la loi Sapin 2 (lire notre article pour plus de détails). Ce texte, promulgué le 9 décembre 2016, prévoit obligatoirement une peine complémentaire d’inéligibilité pour les infractions liées au manquement au devoir de probité des personnes dépositaires de l’autorité publique.
Contacté par publicsenat.fr, l’entourage de Gérard Larcher précise qu’à ce stade, aucune mission d’évaluation n’a été lancée et que le propos de Gérard Larcher ne concernera pas simplement la loi Sapin II, mais la question de l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité.
Inéligibilité : une peine automatique jusqu’en 2010
Si l’on regarde plus largement les chiffres du ministère de la justice cités par Gérard Larcher, on peut relever qu’en 2010, seules 6 condamnations à une peine d’inéligibilité ont été prononcées. Une année qui correspond à l’abrogation de l’article L.7 du code électoral qui prévoyait une peine d’inéligibilité automatique de 5 ans pour les individus condamnés à une peine d’emprisonnement supérieure à 6 jours dans des affaires de manquement au devoir de probité, tels que des abus de bien, de corruption active, de trafic d’influence, d’abus d’autorité, d’atteinte arbitraire à la liberté ou au secret des correspondances ou encore de pratiques discriminatoires. « Cette disposition a été abrogée à la suite d’une décision du Conseil constitutionnel saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité. Le Conseil a considéré que cette peine automatique était contraire à la personnalisation des peines. Une peine automatique signifie que le juge n’a pas besoin de la prononcer, les personnes condamnées sont mécaniquement inéligibles. Avant 2010, les peines d’inéligibilité ne figurent donc pas dans l’annuaire statistique de la justice. Il faut se référer au nombre de condamnations prononcées pour des infractions visées à l’article L7 du code électoral », explique Alexis Bavitot, avocat au barreau de Lyon, maître de conférences à l’université Jean Moulin Lyon 3, spécialisé dans le droit pénal des affaires avant d’ajouter : « Par la suite, de 2010 à 2016, la peine d’inéligibilité est devenue complémentaire et facultative, la loi Sapin en a fait une peine complémentaire et obligatoire. A ne pas confondre avec une peine automatique car le juge peut personnaliser cette peine. C’est-à-dire moduler son quantum ou l’écarter par exception », ajoute-t-il.
« La légitimité des juges n’est pas démocratique, mais elle n’est pas pour autant inexistante »
Du fait du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, la loi Sapin a produit ses effets quelques années après sa promulgation, car elle ne pouvait s’appliquer à des affaires déjà en cours. On relève à ce titre 442 condamnations en 2018 contre 1228 en 2019. A noter que la loi de 2017 pour la confiance dans la vie politique a étendu les peines d’inéligibilité obligatoires aux atteintes à la probité au sens large (soustraction et détournement de biens, faux administratifs, fraudes électorales, fraudes au financement des partis politiques, fraude fiscale aggravée, délit d’initié, escroquerie, mais aussi les agressions sexuelles, le harcèlement moral ou sexuel et les discriminations. De quoi aussi expliquer la hausse des condamnations à des peines d’inéligibilité. « Avant 2016, les juges étaient assez réticents à prononcer des peines d’inéligibilité en raison du conflit de légitimité entre le pouvoir judiciaire et politique. Le mouvement de moralisation de la vie politique et de pénalisation de la vie publique a accompagné la montée en puissance de la légitimité des juges. La légitimité des juges n’est pas démocratique mais elle n’est pas pour autant inexistante. Elle repose sur leur indépendance et leur impartialité qui les placent en position d’arbitres au-dessus des partis », expose Alexis Bavitot.
Dans le Figaro, Gérard Larcher reste quand même prudent sur le bien-fondé d’un changement de législation et met en garde contre « les lois de pulsion ». « Tout dépendra de l’analyse et de l’évaluation » des lois, temporise-t-il. Le sénateur LR et avocat Francis Szpiner soutient lui un changement de législation (lire notre article). Une nouvelle loi visant à rendre incompatible, ou du moins plus restrictif, une décision d’inéligibilité avec exécution provisoire, d’ici le procès en appel de Marine Le Pen, n’est pas du goût de la gauche à la commission des lois du Sénat. Interrogée sur ce sujet mercredi, la présidente du groupe communiste du Sénat, Cécile Cukierman a rappelé que « l’exécution provisoire sur la peine d’inéligibilité n’était pas nouvelle, « et personne ne s’en est ému plus que ça ». « Il ne faut jamais légiférer à un fait d’actualité. Aujourd’hui, je ne demande pas de loi pour supprimer l’exécution provisoire pour sauver Marine Le Pen », a-t-elle prévenu.
« Les élus ne peuvent pas être traités différemment que les autres justiciables »
Sa collègue socialiste, Marie Pierre de la Gontrie, vice-présidente de la commission des lois, fait également part de son malaise. « Ce qui me gêne, c’est que certains au Sénat semblent être effarés de l’exécution provisoire des peines alors qu’il y a quelques jours, ils votaient la comparution immédiate pour les mineurs de 15 ans. Si l’on veut avoir une réflexion sur l’exécution provisoire, elle ne peut pas uniquement porter sur les peines d’inéligibilité. A ce moment-là, ayons aussi une réflexion sur le mandat de dépôt pris à l’encontre d’une personne condamnée en première instance à de la prison ferme. Il me semble que la prison ferme enfreint un peu plus le principe de la présomption d’innocence, qu’une peine d’inéligibilité. Les élus ne peuvent être traités différemment que les autres justiciables ».