Paris: no-confidence debate in French parliament
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Inéligibilité : pourquoi le Conseil d’Etat a rejeté le recours de Marine Le Pen ?

C’était attendu, le Conseil d’Etat a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) de Marine Le Pen. La triple candidate à l’élection présidentielle avait promis d’utiliser « toutes les voies de recours possibles » pour contester l’exécution provisoire de sa peine de 5 ans d’inéligibilité prononcée en première instance dans l’affaire des emplois fictifs d’assistants parlementaires RN. Mais elle va devoir attendre la décision de son procès en appel pour savoir si elle pourra se présenter devant les électeurs. Explications.
Simon Barbarit

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Un coup d’épée dans l’eau. Le Conseil d’État a suivi l’avis du rapporteur public et a rejeté mercredi le recours de Marine Le Pen contre l’application immédiate de sa peine d’inéligibilité prononcée lors de sa condamnation dans l’affaire des parlementaires européens du FN. En attendant son procès en appel dont la décision ne sera pas rendue avant cet été, Marine Le Pen cherche par tous les moyens à contester l’exécution provisoire de sa peine. « Mais le Conseil d’Etat lui a claqué la porte au nez », résume Nicolas Hervieu, juriste, professeur affilié à l’école de droit de Sciences-Po.

« Ce recours était à la limite du fantaisiste »

Pour mémoire, en avril dernier, après sa condamnation, Marine Le Pen avait demandé au Premier ministre de l’époque, François Bayrou, d’abroger les dispositions du Code électoral qui ont permis sa radiation des listes électorales, ou encore le refus d’enregistrement par le préfet de la candidature aux législatives d’une personne inéligible, un régime réglementaire fondé sur une loi qu’elle estimait contraire à la Constitution, notamment aux principes de « liberté de candidature » et de « liberté des électeurs ». L’absence de réponse du Premier ministre a créé « un contentieux » lui permettant de se tourner vers le Conseil d’Etat pour lui demander de lui transmettre une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Depuis 2010, tout justiciable peut contester, devant le juge en charge de son litige, la constitutionnalité d’une disposition législative applicable à son affaire, s’il considère qu’elle porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation examine la QPC. Si elle est jugée recevable, la QPC est transmise au Conseil constitutionnel qui a trois mois pour se prononcer.

Mercredi, dans un communiqué, la plus haute juridiction administrative explique avoir rejeté « ce recours car celui-ci ne recherchait pas tant l’abrogation de dispositions réglementaires que la modification de la loi, ce qui excède les pouvoirs du Premier ministre, qui ne pouvait donc que rejeter la demande de Mme Le Pen ». « En conséquence », le Conseil d’État n’a pas transmis sa QPC au Conseil constitutionnel.

« C’est un rejet logique, car ce recours était à la limite du fantaisiste. Elle a attaqué un certain nombre de dispositions du code électoral, à savoir ce qui concerne le refus d’enregistrement de la candidature d’une personne inéligible. Mais le problème, c’est que pour une bonne partie, il s’agissait d’actes réglementaires et non de dispositions législatives », explique Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l’université de Toulouse Capitole.

« Marine Le Pen a tapé très large pour initier un contentieux. Mais les moyens soulevés ont été considérés comme inopérants, car elle demandait l’annulation d’une décision de refus d’abrogation de textes réglementaires qui n’ont rien à voir avec le régime légal d’inéligibilité avec exécution provisoire », complète Nicolas Hervieu.

« En l’état, en cas de dissolution ou présidentielle, elle ne pourra pas se présenter »

La députée RN qui avait promis cet été d’utiliser « toutes les voies de recours possibles » pour contester l’exécution provisoire de sa peine, n’est évidemment pas de cet avis. « Sur une affaire comme celle-ci, je trouve que le Conseil d’Etat aurait dû transmettre au Conseil constitutionnel au nom de la liberté de l’électeur », a -t-elle réagi auprès de l’AFP. L’ancienne présidente du RN ajoute que cette décision « ne préjuge pas d’une absence de candidature en cas de dissolution de l’Assemblée nationale ».

« En l’état, en cas de dissolution ou présidentielle, elle ne pourra pas se présenter », rappelle cependant Nicolas Hervieu. En effet, comme nous l’expliquions ici, en cas de législatives anticipées, Marine Le Pen pourrait former un recours devant le Conseil constitutionnel contre le refus de l’enregistrement de sa candidature, mais celui-ci ne serait pas suspensif et l’élection se déroulerait dans tous les cas sans elle. Comme le rappelle Mathieu Carpentier, l’article LO160 du code électoral interdit au préfet d’enregistrer la candidature d’une personne inéligible. « Marine Le Pen formerait alors un recours devant le tribunal administratif qui, en toute logique, appliquerait la loi et validerait la décision du préfet. L’élection aurait donc lieu sans Marine Le Pen, même si celle-ci formule une QPC ».

Marine Le Pen s’appuie, elle, sur les réserves d’interprétation de la décision du Conseil constitutionnel du 28 mars 2025. Alors que le Conseil n’était pas saisi de la question de l’application de l’exécution provisoire, il a néanmoins considéré qu’il revenait « au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur ».

« Cette décision du Conseil constitutionnel a été rendue avant le jugement en première instance de Marine Le Pen. Le juge pénal a d’ailleurs motivé sa décision d’assortir cette peine d’une exécution provisoire, au regard des principes constitutionnels d’effectivité de la peine, de sauvegarde de l’ordre public. Cet impératif de proportionnalité n’écrase pas le reste. Et ne doit pas m’empêcher d’appliquer le droit », souligne Nicolas Hervieu.

Dans ces conditions l’avenir électoral de Marine Le Pen est suspendu à son jugement en appel et dont la décision est attendue avant l’été 2026. Il est d’ailleurs envisageable de voir la Cour d’appel confirmer le jugement de première instance ce qui sonnerait le glas de ses ambitions pour 2027.

Alors pourquoi Marine Le Pen milite-t-elle en faveur d’une censure du gouvernement qui conduirait probablement à une dissolution et à des législatives anticipées ? Avec une majorité à l’Assemblée et un Premier ministre,  le RN pourrait changer l’état du droit. Comme interdire l’exécution immédiate de peines d’inéligibilité, tel que le propose un texte déposé par Éric Ciotti il y a quelques mois.

 

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