Les inquiétudes sont nombreuses, et partagées, par ces élus des territoires ultramarins, rassemblés dans un amphithéâtre du Palais des Congrès d’Issy-les-Moulineaux. A leurs côtés, les sénateurs de la délégation aux Outre-mer du Palais du Luxembourg ont aussi fait le déplacement. Ceux-ci ont déjà appelé l’année dernière, à « un choc régalien » dans un rapport éponyme, « dont j’espère qu’il ne restera pas lettre morte », presse la présidente Micheline Jacques (LR). « Pour obtenir des résultats pérennes, l’État doit réaffirmer sa souveraineté et user pleinement ses prérogatives », poursuit la sénatrice de Saint-Barthélemy, évoquant le développement de la coopération régionale judiciaire et policière, et la « restauration crédible » des frontières maritimes et terrestres.
« On a parfois beaucoup de mal à avoir des réponses de sécurité de l’État »
Si sur certains territoires, l’insécurité n’est « pas un phénomène nouveau », comme en Guyane, explique la maire de Cayenne Sandra Trochimara, il gagne des régions jusqu’ici plutôt épargnées. « Le sujet est devenu prégnant à l’Ile de la Réunion », s’inquiète l’édile de Petite-Ile Serge Hoareau. Il y décrit des constats qui ont doublé, avec des interpellations de plus en plus nombreuses, et l’essor de violences de « bandes ». « Toute notre population est exposée, […] du plus jeune au moins jeune. […] Toute la société est gangrenée ». A Mayotte, le maire d’Acoua Marib Hanaffi s’alarme de l’entrée et de la « prolifération des armes », par le biais, entre autres, d’une « forte immigration clandestine ». Et d’ajouter : « Nous, les maires, nous sommes en première ligne aussi bien pour lutter contre l’immigration clandestine, que contre l’arrivée des drogues, ou contre le phénomène des bandes, mais on n’a pas les moyens pour le faire. On a parfois beaucoup de mal à avoir des réponses de sécurité de l’État ».
Un constat auquel adhère l’entièreté de la salle et des élus présents sur la scène, y compris dans les zones touchées par ces violences depuis plusieurs années, et qui ont commencé à mettre en place différents dispositifs, qui peinent pourtant à produire des résultats probants. C’est le cas en Guyane, où était ratifié un accord en 2017, donnant naissance à une cité judiciaire à Cayenne et à une prison à Saint-Laurent-du-Maroni, et conduisant au renfort des forces de police et de gendarmerie. « On a connu des avancées réelles, mais huit ans après, les défis demeurent immenses », rapporte Sandra Trochimara. « Nous devons répondre souvent avec des moyens limités, mais avec la conviction que la proximité est une force ».
« La vidéoprotection est un élément indéniable de la lutte contre le narcotrafic »
Alors, ces élus tentent parfois d’agir de leur propre initiative. En Martinique, un contrat territorial de sécurité a été déployé, qui a au moins eu le bénéfice de pallier le déficit de communication entre les élus et les forces de l’ordre, avance Justin Pamphile, à la tête de la commune du Lorrain. Dans le Pacifique, l’édile de Teva i Uta (Polynésie), considère qu’il ne faut « pas tout attendre du judiciaire », et milite pour une coopération au sein de la société civile, entre associations, parents d’élèves et paroisses.
La maire de Cayenne (Guyane) défend, elle, « le renforcement de notre police municipale qui fonctionne sept jours sur sept », une « police municipale armée », un système de vidéoprotection équipé de 150 caméras et la création d’une direction générale de la sécurité et de la tranquillité publique. La sénatrice de la Martinique Catherine Conconne (PS) abonde vivement dans son sens : « La vidéoprotection est un élément indéniable de la lutte contre le narcotrafic, car elle peut tout voir même les coins plus sombres, de jour comme de nuit. Il ne faut pas hésiter à monter en puissance partout, même dans les territoires ruraux, car en tant qu’humains, on ne peut pas y arriver ». Une proposition de loi « pour donner aux polices municipales les moyens de lutter contre l’insécurité du quotidien », devrait arriver en première lecture au Sénat au mois de février, estime l’élue du Val-d’Oise Jacqueline Eustache-Brinio (LR). Parmi les outils qui seront débattus par les parlementaires : l’ouverture des coffres, l’accès aux fichiers des voitures volés, et la possibilité d’intervenir dans les halls.
« C’est normal que vous vous sentiez démunis par rapport à ce qu’il se passe »
Alors que la population des territoires ultramarins ne constitue que 4 % de la population française, précise le sénateur de la Guadeloupe Victorin Lurel, les Outre-mer sont le lieu de 15 % des atteintes aux biens, 25 % aux personnes, 30 % des homicides et tentatives d’homicides et plus de 50 % des vols à mains armées. Une recrudescence de violences dans des régions par lesquelles transite le narcotrafic, de par leur proximité avec les pays producteurs, principalement situés en Amérique du Sud et Centrale. « Les Outre-mer constituent le point d’entrée pour l’Hexagone », assure le général Pierre Poty.
Mais ce commandant de la gendarmerie Outre-mer veut déculpabiliser les édiles présents : « C’est normal que vous vous sentiez démunis par rapport à ce qu’il se passe ». « La criminalité à laquelle on est confronté est transnationale, c’est très dur d’appréhender ça au niveau d’une commune, c’est à l’État de le faire », martèle-t-il. Avant de dérouler trois axes d’action à privilégier : le travail sur les flux financiers et le blanchiment auquel doivent s’atteler les forces de l’ordre, la prévention de la délinquance qui relève des maires, et l’occupation du terrain nécessitant une coordination des élus avec la gendarmerie et la police. « On a surtout besoin de vous pour les renseignements, il faut que l’information circule entre nous ».
L’OFAST, par la voix de l’adjoint Christian de Rocquigny, précise que quatre antennes sont présentes dans les territoires ultramarins, et que des renforts vont arriver d’ici la fin du mois de novembre dans les Caraïbes : neuf personnes en Martinique, treize en Guadeloupe et quatre à Saint-Martin. Un plan serait également en cours de négociation pour obtenir des créations de postes à la Réunion. La procureure de la République de Cayenne Aline Clerot se veut aussi rassurante, déroulant les outils déjà à la disposition des maires, à l’instar des Conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) et les mesures introduites par la loi « visant à sortir la France d pièce du narcotrafic », promulguée en juin dernier, comme la création du Parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco).
Après presque trois heures de conférence, les questions restent multiples dans le Palais des Congrès, et les préoccupations ne semblent pas s’être taries. Faute de temps, beaucoup d’élus restent avec leurs interrogations, quand l’animatrice clôt les débats. Des contestations se font entendre depuis les sièges face à la scène, mais l’Association des Maires de France doit rendre la salle.