Impression de déjà-vu. Gérard Larcher tape d’un poing feutré mais ferme sur la table. Sans fermer la porte sur la réforme constitutionnelle et institutionnelle voulue par Emmanuel Macron. Elle occupe la classe politique depuis des mois. Et ce n’est pas fini. Le premier volet, celui sur la révision de la Constitution proprement dit, a été présenté ce matin en conseil des ministres. Les deux autres textes, qui portent sur la baisse de 30% du nombre de parlementaires, le non-cumul dans le temps et la dose de 15% de proportionnelle pour les députés, le seront dans deux semaines.
Montrer ses muscles tout en se disant « ouvert »
Comme en janvier dernier, lorsque le Sénat avait présenté ses 40 propositions sur la réforme, son président, Gérard Larcher, montre les muscles, tout en se disant « ouvert à une réforme utile pour les Français ». Une fermeté affichée qui s’explique. Car la Haute assemblée détient les clefs de la réforme. En matière constitutionnelle, elle est à égalité avec l’Assemblée nationale. Les deux chambres doivent se mettre d’accord. Et sans le Sénat, pas de majorité des 3/5 de suffrages exprimés au Congrès, nécessaire pour réviser la Constitution. D’autant que le gouvernement écarte la possibilité d’un référendum de type article 11, qui permettrait de contourner le Parlement, pour faire adopter sa réforme.
Pour le sénateur LR des Yvelines, le compte n’y est pas. La réforme de l’exécutif est une « mise sous tutelle du pouvoir législatif ». Il est vrai qu’avec la « super priorité gouvernementale » sur l’ordre du jour», une navette parlementaire modifiée en faveur de l’Assemblée en cas d’échec de la Commission mixte paritaire et un droit d’amendement encadré (voir notre article pour le détail), la liste est lourde aux yeux des sénateurs. Gérard Larcher, « déterminé sur les droits du Parlement », se veut très clair : « Cela n’est pas négociable ». « Il ne s’agit ni d’abaisser certains, ni d’élever d’autres. Il s‘agit d’avoir une forme d’efficacité entre le gouvernement et le Parlement » a tenté de défendre Edouard Philippe après le Conseil des ministres.
La moitié des départements avec un seul sénateur, c’est « non »
Autre sujet : la baisse de 30 % du nombre de parlementaires. Les sénateurs passeraient de 348 à 244. Ils ont obtenu de l’exécutif qu’au moins un sénateur par département soit conservé. Mais selon les calculs de publicsenat.fr, il y aurait presque un département sur deux avec un seul sénateur dans le nouveau Sénat. Acceptable pour Gérard Larcher ? « Non », répond clairement l’intéressé. « C’est pour ça que la proposition de loi (PPL) Bas-Larcher, adoptée il y a 3 ans par le Sénat, est une base de discussion pour trouver les bons équilibres », explique l’ancien ministre du Travail (voir notre article pour plus détail sur la PPL Bas-Larcher). Traduction : il faut pouvoir donner un peu plus de sénateurs à certains départements ruraux.
Limiter un peu la réduction du nombre de parlementaires permettrait aussi de gagner un peu de marge de manœuvre. « A 260 ou 270 sénateurs, on parvient à avoir une juste représentation. En quoi ça change la promesse électorale d’Emmanuel Macron ? » s’interroge le président du groupe LR du Sénat, Bruno Retailleau, après la conférence de presse de Gérard Larcher.
Sénatoriales en 2021 : « Pas acceptable » pour Gérard Larcher
Comme si les sujets de désaccord n’étaient pas assez nombreux, le gouvernement vient d’en trouver un nouveau. Car l’avant-projet de loi organique prévoit que l’ensemble des sénateurs sera renouvelé en 2021, au lieu d’une moitié en 2020 puis l’autre en 2023. De quoi réduire de deux ans la durée du mandat de la moitié des élus de la Haute assemblée. Autant dire que ça passe très mal… (voir notre article)
Gérard Larcher, là aussi, prévient : « Ce ne serait pas acceptable si cela perdurait » et « c’est contraire à la Constitution qui prévoit le renouvellement partiel » dans trois articles. Ou alors il faudra modifier le texte de 1958 « avec l’aval du Sénat ». Dans l’entourage du président du Sénat, on s’étonne face à cette annonce sortie du chapeau de l’exécutif : « J’espère pour eux que c’est un ballon d’essai ».
Bruno Retailleau y voit surtout une volonté de la part de l’exécutif de jouer « le rapport de force, qui exprime l’idée qu’ils se sentent tout-puissants ». Il n’écarte pas la possibilité d’un blocage sur le terrain juridique : cette disposition pour les sénateurs pourrait être considérée comme une loi organique relative au Séant, et donc nécessiter son aval. Mais la loi organique concerne aussi les députés avec la baisse du nombre de parlementaires, ce qui donnerait le dernier mot à l’Assemblée. Aux juristes de trancher.
Guerre de position institutionnelle
Constitution : « Si les choses ne devaient pas aboutir, la responsabilité ne sera pas ici », déclare Gérard Larcher
Le président du groupe LR pense surtout que les sénatoriales en 2021 constituent « une troisième salve » de l’exécutif pour mieux pilonner les positions des sénateurs et les faire reculer. Bienvenue dans la guerre de position institutionnelle.
La « première » salve était la limitation du droit d’amendement en fonction de la taille des groupes, finalement retirée face à la bronca généralisée que la mesure a suscité, y compris chez les députés LREM. « C’était un leurre tellement gros qui les a piégés », s’amuse Bruno Retailleau. « Deuxième salve : la reprise en main de l’ordre du jour » et les changements en faveur de l’Assemblée, en cas d’échec de la CMP. Ces salves permettent au gouvernement de menacer les sénateurs pour mieux négocier.
Pousser le Sénat à la faute en bloquant la réforme
Alors que Gérard Larcher semblait dans un premier temps globalement satisfait de la réforme, après une rencontre avec Emmanuel Macron, les tensions sont redevenues fortes. « Emmanuel Macron veut dynamiter les clivages mais il ressuscite les conflits » lance Bruno Retailleau. Tout se passe aujourd’hui comme si le gouvernement cherchait à pousser le Sénat à la faute politique, en bloquant une réforme populaire aux yeux des électeurs. « C’est comme si le gouvernement s’ingéniait à donner les raisons de ne pas être favorable à la révision » s’étonne le patron des sénateurs LR.
Le risque est là pour le Sénat. Car si la Haute assemblée a le pouvoir constitutionnel de mettre en échec la réforme, peut-elle se le permettre politiquement ? « Au-delà des premières réactions, du type "ces ringards", les Français peuvent parfaitement comprendre que la toute-puissance et l’hégémonie du Président sont malsaines » croit Bruno Retailleau. « La Constitution doit-elle être faite pour un seul homme ? » ajoute le sénateur de Vendée. « C’est à nous de l’expliquer », mais Bruno Retailleau reconnaît que « c’est difficile ».
Gérard Larcher tiraillé entre sa majorité sénatoriale et le parti LR
Pour compliquer le tout, Gérard Larcher se retrouve tiraillé entre une majorité sénatoriale, où les centristes veulent une dose élevée de proportionnelle, alors que les députés et le parti LR, avec Laurent Wauquiez à sa tête, n’en veulent pas. Ils ne veulent pas faire à Emmanuel Macron ce cadeau politique d’une réforme réussie et pousse le président du Sénat à une ligne dure.
Reste à voir comment chacun pourra atterrir, entre des promesses de campagne d’Emmanuel Macron à tenir, et la défense du Parlement et des territoires par Gérard Larcher. La partie de poker menteur va encore durer plusieurs mois. « Le temps du débat parlementaire est arrivé » souligne Gérard Larcher, qui peut profiter de la durée du débat au Parlement. Le texte sera examiné par les députés vers la fin juin/début juillet et pas avant septembre par les sénateurs, pour une adoption en 2019. Si adoption il y a.