Nouvelle bataille dans la guerre qui oppose l’administration Trump et la prestigieuse université de Harvard. Cette fois-ci ce sont ses étudiants étrangers qui sont visés. Dans une lettre adressée à l’établissement du Massachusetts, la ministre de la Sécurité intérieure, Kristi Noem, a annoncé révoquer avec « effet immédiat » la certification du programme SEVIS (Student and Exchange Visitor) de l’université, c’est-à-dire son droit d’inscrire des étudiants étrangers.
« Si Harvard veut retrouver ce privilège, elle doit fournir dans les 72 heures toute une série d’informations dont elle disposerait sur d’hypothétiques activités illégales menées par ses étudiants étrangers ces cinq dernières années », a-t-elle écrit sur X. Il est reproché à Harvard de favoriser « la violence, l’antisémitisme et de se coordonner avec le Parti communiste chinois sur son campus ». Les multiples manifestations de soutien à la Palestine et contre le gouvernement israélien avaient provoqué l’ire du gouvernement américain.
Pour récupérer son habilitation, l’université doit également transmettre les documents qu’elle possède sur la participation d’étudiants étrangers à des manifestations ou encore les éventuels dossiers disciplinaires de ces élèves. Si l’établissement a toujours refusé de fournir les éléments demandés, le bras de fer est définitivement engagé avec le gouvernement.
Harvard attaque le gouvernement en justice
Auprès de l’AFP, l’université située aux alentours de Boston, assure que l’action du gouvernement est « illégale ». « Nous sommes pleinement engagés pour maintenir l’habilitation de Harvard à accueillir nos étudiants et nos universitaires étrangers, qui viennent de plus de 140 pays et enrichissent l’université – et ce pays – de manière incommensurable ».
Ce vendredi, l’université a annoncé poursuivre en justice l’administration Trump. Dans la plainte déposée auprès du tribunal fédéral du Massachusetts, elle pointe la reprise en main du gouvernement : « Ceci est le dernier acte de représailles mené par le gouvernement contre Harvard et son droit au gouvernement, qui cherche à prendre le contrôle de la direction d’Harvard, de ses programmes et de l’idéologie de l’université et des étudiants ».
« C’est du jamais vu dans les démocraties occidentales depuis les années 1930 »
« C’est un cas de figure inédite, c’est du jamais vu dans les démocraties occidentales depuis les années 1930 », s’alarme Romuald Sciora, directeur de l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis à l’IRIS. « C’est une mise sous tutelle totale, même Viktor Orbán n’est pas allé aussi loin ».
« Le plan est d’affaiblir toutes les universités de l’Ivy League (groupe informel des huit universités les plus prestigieuses de la côte-est américaine) car elles sont considérées comme trop diverses et trop progressistes », juge Denis Lacorne, directeur de recherche à Sciences Po et spécialiste de l’histoire politique américaine. « Pour ce faire, l’administration Trump use du prétexte de l’antisémitisme pour couper les crédits des universités ». En avril dernier, Donald Trump annonçait la suppression des subventions fédérales octroyées à Harvard d’un montant de 2,2 milliards de dollars (1,9 milliard d’euros). D’une certaine manière, en interdisant à l’université d’inscrire des étudiants étrangers, Donald Trump frappe une nouvelle fois l’institution au porte-monnaie.
« Trump coupe les crédits »
« En supprimant l’accès aux étudiants étrangers, l’administration Trump coupe les crédits fournis par ces mêmes étudiants qui constituent une source de financement très importante pour les établissements », pointe le chercheur à Sciences Po.
Sur les 23 000 étudiants que compte l’université américaine, plus du quart provient de l’étranger soit un total de 6 800 élèves. Les Etats-Unis sont le premier pays d’accueil au monde des étudiants étrangers avec près d’un million d’arrivées par an avec des frais d’inscription s’élevant aux alentours de 80 000 dollars par an.
« Les universités américaines ne s’en relèveront pas »
Pour Romuald Sciora, ces attaques contre les universités vont laisser des traces profondes : « Même si une résolution est trouvée dans les prochains jours, comme ce fut le cas avec l’Université Columbia, première victime des attaques trumpiennes et qui s’est couchée devant l’administration, les universités américaines ne s’en relèveront pas », assure-t-il. « De nombreux étudiants étrangers vont hésiter à venir étudier sur le territoire américain par peur de ne pas pouvoir finir leurs années d’études notamment ».
Denis Lacorne abonde dans le même sens : « Le climat de peur créé va conduire certains étudiants à privilégier, pour leurs études, le Canada ou le Royaume-Uni. Le chaos organisé par Donald Trump entraîne des effets délétères sur le long terme qui sont encore difficilement mesurables ».
Une perte du soft power américain
Outre le coût pour les finances des universités, cette décision de Donald Trump risque d’avoir un impact conséquent sur l’économie locale. « En tout, on évalue à 44 milliards de dollars (38,8 milliards d’euros) par an les recettes liées aux étudiants étrangers et la création de 378 000 emplois », expose Romuald Sciora. « Mais la plus grande perte reste sans aucun doute le soft power américain. Si beaucoup d’étudiants étrangers restent travailler sur le sol américain, nombre d’entre eux rentrent dans leur pays d’origine et participent à véhiculer certaines idées américaines. La construction de la puissance américaine s’explique aussi par ces mécanismes ».
« Avoir des étudiants aux Etats-Unis est très avantageux pour les pays étrangers »
Par extension, de nombreux pays étrangers redoutent les attaques contre leurs étudiants installés aux Etats-Unis. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois a dénoncé la « politisation » de l’éducation américaine. Il prévient que la « démarche de la partie américaine ne fera que nuire à l’image et à la réputation internationale des Etats-Unis ».
« Avoir des étudiants aux Etats-Unis est très avantageux pour les pays étrangers », souligne Romuald Sciora. « D’un point de vue de l’enrichissement scolaire et du prestige, mais également pour l’exportation du soft power. Certains étudiants restent travailler aux Etats-Unis et participent à accroître l’image de leur pays ou à le normaliser comme dans le cas de la Chine. Pour des pays en développement, c’est même capital puisque cela permet d’avoir une ouverture sur les Etats-Unis ».
Si l’université aux 160 prix Nobel et au 48 prix Pulitzer risque de pâtir des mesures de l’administration Trump, elle ne semble pas encore vouloir arrêter le bras de fer. Même après avoir formé huit présidents américains, Harvard n’est pas à l’abri des attaques gouvernementales. Mais parmi les présidents ayant foulé ses bancs, un nom vient à manquer : Donald Trump.