« L’homosexualité comme la transidentité ne sont plus considérées comme des maladies dans nos sociétés. Pourtant, certains pensent que cela peut se guérir », déplore la sénatrice centriste, Dominique Vérien. Rapporteure de la proposition de loi interdisant les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, la sénatrice salue l’adoption du texte, mercredi 1er décembre, par la commission des Lois du Sénat.
Le phénomène des thérapies de conversion a été mis en lumière par plusieurs journalistes. Timothée de Rauglaudre et Jean-Loup Adénor ont infiltré des groupes de chrétiens fondamentalistes pratiquant des « homothérapies » ou des « séminaires de restauration ». Leur livre « Dieu est amour. Infiltrés parmi ceux qui veulent « guérir » les homosexuels » (Ed. Flammarion, 2019) donne la parole aux victimes de ces « thérapies » destructrices. Diffusé sur Arte, le documentaire du journaliste d’investigation, Bernard Nicolas, « Homothérapies », documente les « conversions » sexuelles forcées menées en Europe et aux Etats-Unis. L’impunité des auteurs constitue le point saillant de ces deux enquêtes.
Une loi nécessaire pour mettre fin à l’impunité
Une impunité liée à une méconnaissance de ce phénomène et au caractère très fermé des milieux dans lesquels ces « thérapies » ont cours. Également en cause : un arsenal législatif parfois défaillant. D’où la proposition de loi examinée par la commission des Lois du Sénat ce mercredi 1er décembre. Adopté par l’Assemblée nationale le 5 octobre dernier, ce texte vise à mieux combattre le phénomène.
Le texte puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende « les pratiques, les comportements ou les propos répétés visant à modifier ou à réprimer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, vraie ou supposée, d’une personne et ayant pour effet une altération de sa santé physique ou mentale ». Des peines identiques sont encourues pour les personnes qui donnent « des consultations » ou qui prescrivent « des traitements en prétendant pouvoir modifier ou réprimer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, vraie ou supposée ».
« On pourrait dire qu’il existe déjà des délits tels que la pratique illégale de la médecine, l’abus de faiblesse ou les violences volontaires, mais ces motifs ne sont parfois pas suffisamment précis pour engager des poursuites », explique Dominique Vérien. En outre, cette proposition de loi « permet de nommer les choses et de les documenter ».
La ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, Marlène Schiappa, avait à ce titre confié une mission à la Miviludes visant à « expliciter » et « quantifier » le phénomène. Commandé en septembre dernier, le rapport de la Miviludes a bien été remis à la ministre mais n’a pas été rendu public. Une décision regrettable juge la sénatrice, puisque ce rapport aurait pu éclairer les travaux des parlementaires.
« Identité de genre » : les mots de la discorde
Lors de l’examen du texte en commission, la sénatrice LR du Val d’Oise, Jacqueline Eustache-Brinio a déposé des amendements pour supprimer la formule « identité de genre » dans le texte. Des amendements identiques avaient été déposés par la droite à l’Assemblée nationale. « L’identité de genre est un concept qui n’est pas franchement défini et entraîne une confusion avec l’identité sexuelle », assure la sénatrice LR.
« Plusieurs spécialistes, travaillant auprès d’enfants, ont alerté des dangers d’inclure l’identité de genre dans cette proposition de loi car cela empêcherait la prise en charge des mineurs souffrant de dysphorie de genre*, autrement que dans une approche trans-affirmative », lit-on aussi dans son amendement. Le risque donc serait d’enfermer les adolescents « dans leur choix » de transition d’un sexe vers un autre.
« On n’est pas obligé de suivre l’idéologie de mouvements qui viennent des Etats-Unis », justifie encore Jacqueline Eustache-Brinio. La sénatrice LR considère par ailleurs que le texte ne va pas assez loin dans la mesure où il n’aborde pas « les bloqueurs de puberté ». Un traitement - dont les effets sont réversibles - qui permet d’empêcher la croissance des organes sexuels et la production d’hormones.
Mais ce n’est pas l’objet du texte pour la rapporteure du texte, Dominique Vérien. « Dans le cadre de ce texte, on parle des personnes transgenres. Ce sont eux les victimes et si on ne les nomme pas, on renonce à les protéger », insiste la sénatrice centriste. La suppression des mots « identité de genre » aurait eu pour effet de cibler seulement les « thérapies » visant à modifier ou à réprimer l’orientation sexuelle.
Les Républicains s’opposent systématiquement à la mention des mots « identité de genre », comme le souligne la sénatrice PS de Paris, Marie-Pierre de La Gontrie. La volonté d’exclure l’identité de genre du texte témoigne d’une « vision archaïque et rétrograde de la société » pour la sénatrice socialiste.
Après l’adoption de la proposition, certains professionnels de santé se sont inquiétés de cette nouvelle infraction jugée trop large. En réponse, un amendement de la rapporteure visant à mieux délimiter l’infraction a été adopté. « Avant un parcours médical de transition, un médecin peut inciter à la réflexion de façon bienveillante, sans remettre en cause le ressenti du patient », souligne Dominique Vérien. Son amendement précise que « les simples invitations à la prudence et à la réflexion » ne seront pas punissables, quelles émanent d’un personnel soignant ou d’un parent.
En revanche, un amendement adopté en commission introduit des circonstances aggravantes afin de punir plus sévèrement les faits commis par un professionnel de santé à l’encontre d’un mineur ou d’une personne vulnérable. En cas de condamnation d’un parent, la commission a aussi voulu attirer l’attention du juge pénal sur l’autorité parentale par une réécriture du texte.
La proposition de loi sera examinée en séance publique mardi 7 décembre. Jacqueline Eustache-Brinio assure d’ores et déjà qu’elle déposera à nouveau ses amendements rejetés en commission.
*Terme employé pour désigner la détresse d’une personne transgenre face à un sentiment d’inadéquation entre son genre assigné et son identité de genre.