Le président de la République ne veut « pas de fausse impunité ». Dans les colonnes du Figaro ce lundi, Emmanuel Macron a réagi à la décision de la Cour de cassation qui, dans l’affaire du meurtre antisémite de Sarah Halimi, a rejeté le pourvoi de la famille de la victime, confirmant ainsi l’irresponsabilité pénale du mis en cause. Si le chef de l’Etat se défend de vouloir commenter une décision de justice, il indique vouloir que « le garde des Sceaux présente au plus vite un changement de la loi ».
« La Cour de cassation a appliqué de manière très stricte les textes existants : il n’existe pas, c’est vrai, de principe d’exclusion systématique de l’irresponsabilité pénale en cas d’absorption volontaire de stupéfiants. En République, on ne juge pas les citoyens qui sont malades et n’ont plus de discernement on les traite. Mais décider de prendre des stupéfiants et devenir alors « comme fou » ne devrait pas à mes yeux supprimer votre responsabilité pénale », argue Emmanuel Macron.
L’arrêt de la Cour de cassation qui confirme l’irresponsabilité pénale du meurtrier de Sarah Halimi a suscité de nombreuses réactions indignées. Cette décision acte le fait qu’il n’y aura pas de procès pour le meurtre de cette femme de 65 ans, de confession juive, tuée en avril 2017 à Paris. Si le caractère antisémite du crime est bien retenu, la Cour confirme que le mis en cause a été pris « d’une bouffée délirante » au moment des faits suite à une consommation importante de cannabis.
Au Sénat, deux propositions de loi ont déjà été déposées en janvier 2020 pour réformer l’irresponsabilité pénale. Celle de la sénatrice centriste, Nathalie Goulet, visait « à exclure le dispositif de l’article 122-1 aux personnes qui se seraient mises volontairement dans une position d’irresponsabilité », rappelle-t-elle. L’article 122-1 du Code pénal, qui définit l’irresponsabilité pénale, prévoit que « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ».
« Si quelqu’un a pris des stupéfiants, il n’y a aucune raison qu’il s’auto-excuse, il se crée lui-même sa cause d’exemption de responsabilité », juge la sénatrice. Une proposition de loi, portée cette fois par le sénateur LR, Roger Karoutchi, visait par ailleurs à abroger la déclaration d’irresponsabilité pénale au stade de l’instruction. L’objectif de son texte est de « garantir la tenue d’un procès en cas de procédure d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ».
« Il faut qu’on revoie cette réglementation de façon à éviter que des gens irresponsables, soient jugés parce que ça, c’est un principe absolu de notre droit, et en même temps que les victimes puissent avoir un procès et puissent faire leur deuil et que la justice soit faite », défend Nathalie Goulet.
En février 2020, à l’initiative du groupe Union centriste, un débat avait été organisé en présence de l’ancienne garde des Sceaux, Nicole Belloubet, sur l’irresponsabilité pénale (voir ici). Un groupe de travail commun à la commission des Affaires sociales et à la commission des Lois a également rendu un rapport mené par Jean Sol (LR) et Jean-Yves Roux (RDSE) sur l’expertise psychiatrique et psychologique en matière pénale dont est issue une autre proposition de loi.
Les deux propositions de lois seront examinées au Sénat, le 25 mai prochain à l'inistiative des groupes centriste et LR.
Dans l’affaire Halimi, les trois expertises rendues ont été la source de nombreuses controverses, au point qu’un des experts, Paul Bensussan, ait tenu à s’exprimer auprès de l’hebdomadaire Marianne pour expliquer sa décision de conclure à l’irresponsabilité pénale du mis en cause.
Si cette affaire est loin d’être représentative des centaines de dossiers traités chaque jour, l’expertise psychologique et psychiatrique dans la justice pénale connaît bien des difficultés. Le rapport des sénateurs pointe notamment la multiplicité des demandes d’expertise et le peu de moyens en face. « L’augmentation nette du nombre d’expertises demandées et produites, rapportée à la diminution du nombre d’experts inscrits, illustre l’importante pression », écrivent les rapporteurs.
Les sénateurs dénoncent également « les conditions matérielles de leur pratique : une formation unanimement dénoncée comme insuffisante, une rémunération peu incitative et indifférente à la complexité des affaires dont ils ont à connaître, un accès au dossier médical de la personne examinée non automatique, l’accomplissement fréquent de l’expertise présentencielle au stade de la garde à vue… ».
Leurs propositions s’attachent ainsi à revoir également le statut des auxiliaires de justice tout en réformant l’irresponsabilité pénale afin d’inscrire que « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique, issu d’un état pathologique ou des effets involontairement subis d’une substance psychoactive, et ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. »
Présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM), Céline Parisot abonde dans le sens des sénateurs concernant les conditions de travail des experts : « Les expertises psy sont effectivement sous-payées et payées avec énormément de retard. C’est un domaine où on n’évolue pas, au contraire. En 2012, nous avions déjà fait un rapport sur les expertises ».
En revanche, la présidente de l’USM s’oppose à la réforme de l’irresponsabilité pénale. « On ne peut pas avoir une réglementation aussi nette. Il y a une zone grise où vous pouvez prendre des produits toxiques et avoir un terrain pathologique », prévient Céline Parisot. Une telle réforme posera de nombreuses questions : « L’auto-intoxication est-elle délibérée ? Est-ce qu’elle vient sur un terrain pathologique ? Est-ce un déclencheur ou un facilitateur du passage à l’acte ? »
Professeure de droit privé et de sciences criminelles, Morgane Daury se dit, elle aussi, contre cette réforme. « Je ne suis pas favorable à faire rentrer dans la sphère pénale des gens qui n’ont rien à y faire. Les gens dont on parle sont ceux dont l’état mental est la cause exclusive du passage à l’acte ce qui n’était pas le cas dans l’affaire Halimi », soulève-t-elle en rappelant le caractère antisémite du meurtre.