Etude contre étude. En voyant la semaine dernière le rapport du comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital, mise en place par le gouvernement et placé sous l’égide de France Stratégie, le président PS de la commission des finances du Sénat, Vincent Eblé s’est fâché. Il a peu apprécié que le comité ait eu accès aux données qu’il demandait à Bercy depuis des mois… en vain. Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, avait dû faire face à son coup de sang (voir notre article).
L’épisode n’a pas privé la Haute assemblée de travailler sur ce sujet très politique. Ce mardi 9 octobre, c’était au tour de la commission des finances de révéler les conclusions de son évaluation de la suppression de l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et de la création du prélèvement forfaitaire unique (PFU, ou « flat tax ») (voir le rapport sur le site du Sénat). Une évaluation lancée il y a un an, alors que les gilets jaunes, mobilisés contre « le Président des riches », réclamaient le retour de l’ISF, transformé par Emmanuel Macron en impôt sur la fortune immobilière (IFI). Une étude qui s’appuie sur un rapport commandé à l’Institut des politiques publiques, organisme universitaire indépendant.
Ça rapporte beaucoup (aux plus riches) mais ça ne ruisselle pas
Conclusion : on cherche encore les signes de « ruissellement » sur l’économie, mais ça rapporte aux plus riches. Il y a deux ans, lors de la suppression de l’ISF, la commission des finances du Sénat avait évalué à 1,5 million d’euros le gain pour chacun des 100 contribuables les plus riches (1 million d’euros par la fin de l’ISF et 500.000 par la flat tax). En réalité, c’est plus. Car le gain pour les 100 premiers contribuables est de 1,7 million d’euros chacun (1,2 million pour l’ISF et toujours 500.000 pour la flat tax). Autre chiffre : sur l’ensemble des contribuables qui payaient l’ISF, le gain est en moyenne de 8.338 euros par personne.
Quant à l’IFI, il n’a pas empêché l’un des aspects, souvent critiqué, de l’ISF. Car 18 % des redevables de l’IFI ont un revenu fiscal de référence inférieur à 60.000 euros par an. Autrement dit, ce ne sont pas les grandes fortunes mais des « petits riches ».
Le coût de la réforme est proche de celui estimé par l’exécutif. 2,9 milliards d’euros contre 3,2 estimés. Mais selon les sénateurs, c’est en réalité plus. Si on prend en compte l’ISF qui aurait été payé en 2018, c’est plutôt 3,45 milliards d’euros. « Il est inexact de dire que la réforme a moins coûté que prévu » note Vincent Eblé.
Moins de départs pour exil fiscal et plus de recettes fiscales
Point positif, que souligne Albéric de Montgolfier, rapporteur LR de la commission des finances : la réforme a freiné les départs à l’étranger des riches contribuables pour exil fiscal, de 632 en 2016 à 376 en 2017. « Mais ce n’est pas 250 départs en moins qui vont compenser le coût de la réforme » tempère le président de la commission.
Le prélèvement forfaitaire unique a permis un autre effet bénéfique. Il a rapporté 600 millions d’euros d’impôts de plus que prévu, soit un total de 3,5 milliards d’euros, en raison de l’augmentation de la distribution de dividendes, qui augmentent les recettes fiscales.
« Trop tôt » pour voir tous les effets ?
Reste la question fondamentale, qui a justifié la suppression de l’ISF : l’argent est-il réinvesti dans l’économie ? Comme le rapport du comité d’évaluation, celui du Sénat estime qu’on manque de recul. « Il est encore trop tôt » souligne Albéric de Montgolfier, favorable à l’origine à la suppression de l’ISF. Mais deux ans après le vote de la réforme, le sénateur LR d’Eure-et-Loir fait ce constat : « Aujourd’hui, on ne voit pas particulièrement de ruissellement à ce stade. Et au contraire, on voit dans l’IFI des inconvénients car ça taxe des actifs qui contribuent à l’économie réelle » (voir la vidéo ci-dessous, images de Samia Dechir). Il souligne en revanche qu’une partie des gains liés à la suppression de l’ISF « va à la consommation ». Autrement dit, le gain fiscal est dépensé par les plus riches. A défaut d’investir dans les PME, certains n’hésitent pas à se faire plaisir.
Albéric de Montgolfier (LR) : "Aujourd’hui, on ne voit pas particulièrement de ruissellement à ce stade" après la suppression de l'ISF
Sur ce point, le socialiste Vincent Eblé est plus affirmatif, au regard des données. « Il y a très peu de liens entre les dispositifs fiscaux et la capacité des entreprises à orienter une épargne disponible vers les investissements. Les choses sont déconnectées. Et quand le patrimoine détenu par les riches de catégorie supérieure est investi, il l’est majoritairement à l’international. (…) Je ne crois pas du tout qu’on aille vers ce prétendu ruissellement » affirme le président de la commission des finances (voir la première vidéo). Pour lui, le temps ne fera « rien à l’affaire ». « Quand on dit qu’il est trop tôt, c’est qu’on attend des effets qu’on ne constate pas. La seule solution, politiquement, c’est alors d’attendre » estime le sénateur du Val-de-Marne. Vincent Eblé conclut :
« Il n’y a pas d’effet aujourd’hui, il n’y en aura pas demain »
Les préconisations des deux sénateurs, de bords politiques opposés, diffèrent. Pour Albéric de Montgolfier, « l’ISF n’était pas un bon impôt », « le rétablir serait contre-productif ». Il préconise en revanche une réforme de l’IFI en le renommant « impôt sur la fortune improductive ». Il s’agirait, dans son esprit, de taxer plutôt les liquidités ou « les placements exotiques » comme le bitcoin ou les voitures de luxe. De quoi rapporter « 75 milliards d’euros ». « Et là, ça fera ruisseler l’argent placé en investissements productifs » imagine Albéric de Montgolfier. Vincent Eblé rêverait lui plutôt de rétablir un impôt de solidarité sur la fortune. Mais il exempterait les 40% de contribuables en bas de l’échelle de l’ancienne version. Suite du débat, lors de l’examen du budget 2020. Leur rapport devrait inspirer aux sénateurs quelques amendements sur le sujet.