Comment réformer l'Islam de France ? Les précédents gouvernements ont bien essayé d'échafauder des organisations, mais ces dernières ne sont pas parvenues à créer une adhésion. Contrairement aux catholiques, les Français de confession musulmane – majoritairement sunnites - ne disposent pas d'un clergé hiérarchisé. En outre, il convient davantage de parler de communautés au pluriel puisque les musulmans de France ne représentent pas un bloc homogène. Aussi, les polémiques sur l'Islam ont créé une forme de défiance quant à toute « structuration » venue d'en haut. Autant de problématiques que l'exécutif devra prendre en compte pour accompagner une « structuration » de l'Islam en France.
Emmanuel Macron avance « touche par touche »
« Avancer touche par touche », une méthode qui « permet de ne pas faire de raccourcis ». C'est ainsi que le président de la République a esquissé le travail de « structuration » de l'Islam de France qu'il veut accompagner. Le chef de l'État n'a pas été très prolixe sur ce thème depuis son élection. Néanmoins, sa parole s'est opposée à « une radicalisation de la laïcité ». Une formule, tenue lors de ses vœux aux autorités religieuses, qui a créé la polémique. Durant ce discours, il avait aussi annoncé « un discours sur la laïcité (…) dépassionné, direct et exigeant ». Un discours très attendu.
Dans les colonnes du Journal du dimanche, Emmanuel Macron précise l'agenda : « les jalons de toute l'organisation de l'Islam de France » seront posés au premier semestre 2018. Touche par touche donc, la stratégie d'Emmanuel Macron se dessine. Le candidat Macron assurait qu’il n’y aurait pas de révision de la loi de 1905. Une position réaffirmée depuis. Par la voix de son ministre de l'Intérieur, la volonté de former les imams sur le territoire français a également été soulignée. En outre, le financement du culte musulman et le renouvellement des instances représentatives sont sur la table de travail de l'exécutif.
Comment financer le culte musulman ?
Leurs travaux comptent parmi les plus exhaustifs concernant l'organisation du culte musulman en France. La sénatrice centriste Nathalie Goulet, son collègue André Reichardt et la socialiste Corinne Féret ont déposé leur rapport d’information en juillet 2016 : « De l'Islam en France à un Islam de France, établir la transparence et lever les ambiguïtés ». Ce document de près de 600 pages avance des pistes dont le gouvernement pourrait s’inspirer.
D’après les informations du rapport sénatorial, le culte musulman est essentiellement financé par ses fidèles. D’autres fonds proviennent de pays étrangers, au premier rang desquels : le Maroc, l’Algérie et la Turquie. Des revenus qui ne suffisent pas aujourd’hui à assurer la prise en charge de tous les lieux de cultes ou même d'une éventuelle formation des imams en France. Comme le relèvent les journalistes du JDD, quelque 700 000 m² et 150 à 200 millions d'euros supplémentaires seraient nécessaires pour répondre aux besoins des Français de confession musulmane, d'après une étude de Hakim El Karoui pour l'Institut Montaigne.
La création d’une redevance sur le marché du halal est l’une des options les plus discutées pour subvenir à ces besoins. Un système de financement qui existe déjà dans la communauté juive.
Si cette recommandation est plébiscitée par la sénatrice centriste Nathalie Goulet, elle y pose néanmoins un préalable : la transparence des filières du marché des produits halal. Actuellement, trois institutions religieuses – les Grandes mosquées de Paris, d’Évry et de Lyon – distribuent les licences. La sénatrice souhaiterait que ces mosquées et les communautés concernées « mettent de l’ordre » dans ce secteur en créant notamment « une norme commune du halal ».
Sur la possibilité d’un « nouveau concordat » évoquée ici et là, la sénatrice Nathalie Goulet rappelle que l’Islam « n’est pas une religion concordataire ». Le concordat, en vigueur en Alsace et en Moselle, date de 1801, du fait de son ancienneté il ne concerne pas la religion musulmane. Aujourd'hui ce statut, seule exception à la loi de 1905, régule les relations entre différents cultes et l'État et permet de salarier les ministres des cultes. Étendre le concordat à l'Islam permettrait donc à l’État d’intervenir dans le financement du culte musulman, notamment dans le domaine de la formation des imams. Mais, un « nouveau concordat » supposerait une éventuelle modification de la loi de 1905. Une ligne rouge pour Nathalie Goulet qui insiste sur le fait que la loi de séparation des Églises et de l'État ne doit pas être modifiée.
La formation des imams
Il s’agit là du point le plus sensible. Dimanche, Gérard Collomb se déclarait favorable à une intervention de l’État dans la formation des imams via l'instauration de « diplômes universitaires » dédiés. Une position qui rejoint celle du président de la fondation de l’Islam de France, Jean-Pierre Chevènement. Au micro de Public Sénat, ce dernier faisait la promotion de « la formation profane des imams » (revoir l’émission).
Nathalie Goulet abonde dans ce sens : « il faut arrêter d’envoyer des imams se former à l’étranger ». Selon son rapport, 301 « imams détachés » officient en France et les « imams français » disposent de deux formations en France et d’une à l’institut Mohammed VI à Rabat. Ce dernier établissement qui fait figure de modèle de formation a été inauguré il y a un an. Voir le sujet de Quentin Calmet tourné les 25 et 26 avril 2016 à Rabat. Les rédacteurs de la mission d'information sur l'organisation de l'Islam de France s'étaient rendus sur place pour observer le fonctionnement de cet institut et s'en inspirer.
Réorganiser les instances représentatives
« Les communautés doivent s’organiser elles-mêmes », affirme Nathalie Goulet qui n’exclut pas cependant une « impulsion » venant de l’État. Le Conseil français du culte musulman, fondé en 2003 sous l’égide de Nicolas Sarkozy souffre d’un manque de visibilité. Selon une enquête de l’Ifop pour l’Institut Montaigne, publiée en 2016, moins d’un tiers des musulmans connaissent l’existence de cet organe pourtant censé représenter les musulmans de France et réguler les activités religieuses.
Face à ce constat, les sénateurs recommandent de prendre « davantage en compte les exigences de représentativité » exprimées par les Français de confession musulmane. L’ancien ministre de la Ville, Patrick Kanner, plaide, lui, pour « un consistoire central de l’islam de France » et la nomination « d’un grand imam de France », à l’instar du fonctionnement du consistoire central de la communauté juive de France créé en 1808 par Napoléon (revoir l’interview).
Patrick Kanner favorable à un « consistoire central de l'islam de France »
Dans son programme, le président propose de créer une Fédération nationale de l’Islam de France regroupant des associations cultuelles locales créées dans le cadre posé par la loi de 1905. Si les suggestions émanent de tous bords, le président de la République affirme au JDD qu’il ne « dévoilera une proposition que quand le travail sera abouti ». Les grandes lignes « de la structuration de l’islam de France » seront donc précisées et présentées au cours du premier semestre 2018.
Pour approfondir : Organisation de l'Islam de France : vraies pistes ou « fausses bonnes idées » ? (AFP)