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IVG dans la Constitution : l’annonce d’Emmanuel Macron accueillie avec « prudence » au Sénat

Le chef de l’Etat a annoncé la présentation avant la fin de l’année d’un projet de loi constitutionnelle visant à inscrire l’IVG dans le texte fondamental de la Ve République. Une révision qui nécessite un vote du Parlement réuni en Congrès, après un vote conforme des deux chambres. Au Sénat, l’adoption du texte n’est pas encore acquis.
Simon Barbarit

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Neuf mois après l’adoption au Sénat d’une proposition de loi visant à inscrire dans la Constitution « la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse », Emmanuel Macron annonce un projet de loi constitutionnelle. Le texte va être envoyé au Conseil d’Etat cette semaine avant d’être présenté d’ici la fin de l’année en Conseil des ministres. « En 2024, la liberté des femmes de recourir à l’IVG sera irréversible », a annoncé le chef de l’Etat.

Le 4 octobre dernier, devant le Conseil constitutionnel, le président de la République avait affirmé vouloir « trouver un texte accordant les points de vue entre l’Assemblée nationale et le Sénat et permettant de convoquer un Congrès à Versailles ». La phrase qui pourrait être ajoutée à l’article 34 de la Constitution serait : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme, qui lui est garantie, d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». Soit une version proche de celle adoptée au Sénat en février dernier qui prévoyait d’inscrire à l’article 34 : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse » (lire notre article).

« L’hypothèse d’une révision repose sur un vote au Sénat »

« C’est une victoire des féministes qui demandent depuis 15 mois cette révision. Mais en choisissant la voie du projet de loi, l’hypothèse d’une révision repose sur un vote au Sénat, donc je suis quand même prudente », tempère Laurence Rossignol, sénatrice socialiste ancienne ministre aux droits des Femmes. En effet, en quatre mois d’intervalle, la Haute assemblée avait d’abord rejeté une proposition de loi portée par la gauche du Sénat visant à inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution avant d’adopter par un vote serré (166 voix pour et 152 voix contre), une proposition de loi des députés LFI amendée par le sénateur LR, Philippe Bas, mentionnant la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse et non un droit à l’IVG. Le texte tel qu’amendé par le Sénat devait être inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le 30 novembre, dans la niche parlementaire des députés Insoumis. La présidente du groupe, Mathilde Panot, s’est dite prête à retirer sa proposition de loi si l’exécutif dépose son texte. Rappelons ici qu’une révision constitutionnelle initiée par une proposition de loi (le Parlement) ne peut être approuvée que par un référendum. Après le vote du Sénat, un vote conforme des députés, le 30 novembre, conduirait le chef de l’Etat à convoquer un référendum.

« Le monde entier nous regarde »

En reprenant la main via un projet de loi, l’exécutif veut exclure le recours à un référendum et ambitionne de voir adopter la révision constitutionnelle par la majorité des 3/5e des suffrages exprimés de l’Assemblée nationale et du Sénat réunis en Congrès. Le processus de révision nécessite au préalable un vote conforme des deux chambres. « La proposition de loi Panot-Bas a de grandes chances d’être adoptée le 30 novembre. Le principe de précaution voudrait qu’elle soit maintenue. Si c’est le seul moyen d’y arriver, je n’ai pas peur du référendum même si la campagne surexposerait les opposants à l’IVG. Un projet de loi, c’est très bien, mais il y a un risque qu’il ne soit pas adopté au Sénat. Le gouvernement va devoir s’assurer de son vote », s’inquiète Laurence Rossignol.

« Notre travail va être de maintenir la pression pour la rédaction du meilleur texte possible. C’est-à-dire un texte qui protège les femmes, mais qui a aussi des chances d’être adopté en Congrès. Dans l’année qui vient de s’écouler, les parlementaires et les féministes ont fait le travail pour relayer une préoccupation de la société : mieux protéger le droit à l’IVG. Le monde entier nous regarde », abonde la sénatrice écologiste, Mélanie Vogel, qui était à l’initiative de la proposition de loi rejetée par le Sénat en novembre dernier.

« J’espère que ce n’est pas une diversion pour occuper l’espace public »

En pleine crise internationale, à quelques mois des élections européennes et au moment ou la droite sénatoriale bataille avec le gouvernement sur le projet de loi immigration, le timing de l’annonce d’Emmanuel Macron a de quoi surprendre. Le sénateur LR, Jacques Grosperrin, l’un des 16 élus LR sur 145 qui avait voté en faveur de la proposition de loi en février s’interroge. « Nous avons un président qui est à bout de souffle, en difficulté sur le plan national et international. J’espère que ce n’est pas une diversion pour occuper l’espace public ». Sur le fond, Jacques Grosperrin reste favorable à l’inscription dans la Constitution de la liberté des femmes à avoir recours à l’IVG. « Ce serait un symbole envoyé au monde entier », estime-t-il avant de rappeler qu’au sein du groupe Les Républicains, « il n’y avait pas eu de consignes de vote. C’est un sujet qui relève de l’intime de chacun. Le Sénat n’est pas conservateur, ceux qui ont voté contre, ne sont pas anti-IVG, leur vote avait des raisons légistiques ».

Loïc Hervé, sénateur centriste, est de ceux-là. « J’ai voté contre la dernière fois et je suis bien partie pour le refaire. Je ne vois pas pourquoi un juge constitutionnel serait plus protecteur que le législateur. On a bien vu aux Etats-Unis qu’une Cour Suprême pouvait remettre en cause le droit à l’IVG. Après, j’ai bien conscience que dans l’opinion dominante, le débat se résume à pour ou contre l’IVG », se désole-t-il.

Dominique Vérien, sénatrice centriste, présidente de la délégation aux droits des femmes estime pour sa part, que le véhicule législatif, un projet de loi plutôt qu’une proposition de loi, pourrait changer les équilibres au sein de sein groupe qui avait voté à majorité contre le texte amendé par Philippe Bas. « Nous allons avoir plus de temps pour en discuter de façon apaisée. En excluant la question du référendum, avec un avis du Conseil d’Etat, je pense que certains de mes collègues qui s’étaient abstenus vont changer de position. J’avais voté pour la proposition de loi tout souhaitant qu’elle n’aboutisse pas et qu’elle soit reprise dans un projet de loi ».

« Il va falloir surveiller l’ambiance entre le gouvernement et Les Républicains après l’examen de la loi immigration »

« C’est toujours difficile de savoir avant le vote, mais quand on regarde le dernier renouvellement sénatorial, on a plutôt un affaiblissement des Républicains et un renforcement de la gauche », veut croire Mélanie Vogel.

« Je pense que ça va passer, au Sénat mais il va falloir quand même surveiller l’ambiance entre le gouvernement et Les Républicains après l’examen de la loi immigration », met en garde un élu centriste. D’autant que le président du groupe LR, Bruno Retailleau a déposé une proposition de loi constitutionnelle sur l’immigration examinée le 12 décembre et dont on voit mal, à ce stade, l’exécutif reprendre à son compte, n’y soutenir.

Reste qu’Emmanuel Macron s’est aussi engagé en faveur d’une révision constitutionnelle destinée à inscrire un nouveau statut de la Corse dans la Constitution. « C’est la raison pour laquelle, j’attends avec de vrais points de vigilance, le texte que va présenter le gouvernement. Concernera-t-il uniquement l’IVG ou est ce que sera une révision globale ? Je n’imagine pas le gouvernement réunir le Congrès pour chaque projet de révision constitutionnelle. Je salue l’annonce du Président hier. Mais je reste très prudente sur le processus qui va se dessiner », confie Elsa Schalck qui fut l’une des rares au sein des Républicains du Sénat à avoir voté à la fois la proposition de loi de Mélanie Vogel et celle de Mathilde Panot amendée par Philippe Bas.

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