« J’ai été effarée de la situation de la sûreté et de la sécurité du Louvre à mon arrivée » : la présidente du musée se défend au Sénat, après le vol des joyaux

Pour sa première prise de parole publique depuis le vol spectaculaire des joyaux de la couronne au Louvre, sa présidente Laurence des Cars a mis en cause notamment la protection sur la voie publique, et notamment la vidéosurveillance sur les abords extérieurs du plus grand musée du monde.
Guillaume Jacquot

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« Dimanche, s’est produit ce que tous les professionnels des musées redoutent matin, midi et soir. » Restée en retrait depuis le cambriolage spectaculaire dont a été victime il y a trois jours l’établissement qu’elle dirige depuis septembre 2021, la présidente-directrice du Louvre s’est expliquée pour la première fois en public ce 22 octobre.

Durant plus de deux heures, elle a répondu aux nombreuses questions des sénateurs de la commission de la culture, sur les circonstances de ce « choc immense, qui nous ébranle tous », selon ses propres mots. Laurence des Cars a évoqué une « blessure profonde » avec la perte de huit pièces de la collection des joyaux de la Couronne. « Je suis aujourd’hui évidemment immensément meurtrie, en tant que présidente-directrice, de me rendre compte que d’un certain point de vue des alertes que je lançais se sont atrocement concrétisées dimanche dernier », a-t-elle témoigné face à la représentation nationale.

« Le protocole de sécurité est suivi à la lettre »

Reconnaissant un « échec terrible », « dont [elle] prend [sa] part de responsabilité », Laurence des Cars a confirmé avoir présenté sa démission à la ministre de la Culture – qui l’a refusée – tout en affirmant que la sécurisation des collections du Louvre était « au cœur de [ses] priorités ». « J’ai été effarée de la situation de la sûreté et de la sécurité du Louvre à mon arrivée », en 2021, a-t-elle lâché.

L’audition a débuté par un récit détaillé des faits qui se sont produits en moins de dix minutes, que certains parlementaires appellent déjà le « casse du siècle ». Dimanche 19 octobre, peu après l’ouverture du musée, un camion-nacelle s’est positionné à 9 h 30 le long de la galerie d’Apollon, le long du quai de Seine. Laurence des Cars a notamment souligné que toutes les alarmes ont fonctionné, celle présente sur la porte-fenêtre, mais aussi sur les deux vitrines attaquées par les malfrats, dans les deux cas avec une disqueuse.

Selon la présidente, un agent posté en salle a pris contact avec le poste de commandement pour signaler l’intrusion, détectée à 9 h 34. À 9 h 35, passées de quelques secondes, le chef d’exploitation du musée alerte le commissariat du 1er arrondissement. Le système de sécurité Ramsès, qui relie Le Louvre au ministère de l’Intérieur, est activé depuis le poste de commandement central par un chef d’équipe à 9 h 36, ajoute-t-elle. « Le protocole de sécurité est suivi à la lettre », a-t-elle assuré face aux sénateurs. Dominique Buffin, directrice de la Direction de l’accueil du public et de la surveillance, précise que d’autres agents des services de surveillance sont sortis sur le quai, pour rejoindre le véhicule, ce qui a précipité la fuite des quatre hommes impliqués dans le braquage.

Des caméras externes « qui ne couvrent pas l’ensemble des façades du Louvre »

Juste avant cette audition, la ministre de la Culture Rachida Dati avait elle aussi affirmé, devant l’hémicycle du Sénat, que les « dispositifs de sécurité internes au Louvre » avaient « fonctionné ». Laurence des Cars a cependant considéré que le musée n’avait pas « repéré suffisamment à l’avance l’arrivée des voleurs ». « Les faiblesses de notre protection périmétrique sont connues […] C’est là que le bât blesse, depuis longtemps. » La dirigeante évoque en particulier le caractère « vieillissant » de caméras périphériques, et surtout, l’insuffisance du parc, « qui ne couvre pas l’ensemble des façades du Louvre ».

Elle précise que le renforcement de la protection périmétrique est « prévu dans le cadre du schéma directeur des équipements de sûreté », dont l’élaboration a été lancée après son arrivée en septembre 2021. « Face à la situation préoccupante des installations de sûreté du musée, que j’ai découverte plusieurs mois après mon arrivée, j’ai accéléré l’élaboration d’un schéma directeur de modernisation des équipements de sûreté », a-t-elle relaté aux sénateurs.

En janvier, elle a de nouveau alerté sa ministre de tutelle, Rachida Dati, pointant un « niveau d’obsolescence inquiétant » et une « multiplication d’avaries ». Un grand plan de modernisation, le projet « Nouvelle renaissance », est ensuite annoncé par Emmanuel Macron pour remettre à niveau le musée le plus visité au monde. « Je le remercie à nouveau de sa confiance et de l’élan qu’il a redonné au Louvre », a salué Laurence des Cars.

Les études préalables au schéma directeur de modernisation des équipements de sûreté ont été menées de 2022 à 2024 par la maîtrise d’œuvre. Francis Steinbock, administrateur général adjoint, évoque « l’effarement » de la nouvelle direction installée fin 2021 au vu des défis de « l’infrastructure vieillissante ». La carence en vidéoprotection est également insuffisante entre les murs. Des éléments d’un pré-rapport de la Cour des comptes, sortis dans la presse, donnent le vertige sur la hauteur des besoins. 60 % des salles de l’aile Sully, et 75 % pour l’aile Richelieu, ne sont pas protégées selon ces données. Laurence des Cars ne livrera pour sa part aucun chiffre sensible en public, dénonçant les « fuites » sur ce rapport provisoire, « qui constituent une grave mise en danger pour la sécurité du musée ».

« Je n’ai pas arbitré en faveur d’une priorité plutôt qu’une autre »

Les difficultés de la remise à niveau sont aussi techniques qu’administratives. Son administrateur adjoint souligne, en particulier, que le renforcement des moyens de vidéosurveillance sur les 37 hectares du domaine du Louvre va nécessiter la pose d’un nouveau câblage électrique de 60 kilomètres. Les entreprises sont actuellement en train d’être sélectionnées. « Nous accélérons autant que nous pouvons, dans le cadre extrêmement contraint et lent, des marchés publics, pour que, si possible, avant la fin de cette année, au regard évidemment, de l’actualité tragique, nous puissions notifier ces marchés et entrer en phase active de travaux au début de l’année 2026 », a fait savoir la présidente-directrice.

Interrogée par la sénatrice apparentée LR Sabine Drexler sur le « retard persistant » pointé dans le pré-rapport de la Cour des comptes sur ce programme de modernisation, Laurence des Cars s’est inscrite en faux. « Je tiens à le dire, il n’y a pas de retard dans la mise en œuvre du schéma directeur de sûreté du Louvre. » Et d’ajouter : « Je n’ai pas abrité en faveur d’une priorité plutôt qu’une autre. J’ai fait de la sécurité, une urgence absolue. »

La dirigeante du Louvre en a profité pour dénoncer plusieurs « dérives dans la presse » ces derniers jours, mettant en cause certains projets de réaménagement, comme celui de la salle Lefeuil, épinglé par le Canard Enchaîné, pour son coût de près de 500 000 euros. « Elle n’est pas réservée à l’usage exclusif de la présidence du Louvre, elle n’est en aucun cas, ma salle à manger personnelle », s’est défendue la présidente.

« Les vitrines installées en décembre 2019 représentaient un progrès considérable en termes de sécurité »

Laurence des Cars a également dû répondre aux doutes relayés dans l’hebdomadaire satirique sur la solidité des deux vitrines visées par les cambrioleurs, présentées comme « apparemment plus fragiles que les anciennes » remplacées en 2019, sous la précédente direction du Louvre. « Nous réaffirmons que les vitrines installées en décembre 2019, représentaient un progrès considérable en termes de sécurité, tant le degré d’obsolescence des anciens équipements était avéré », a-t-elle justifié. Ces vitrines « de haute joaillerie », « hautement sécurisées » n’ont pas résisté à la disqueuse des malfaiteurs puisqu’elles ont été conçues pour résister au mode opératoire en vogue à l’époque : les attaques par balle. « Ce qui est très frappant lorsque l’on est sur place, c’est qu’en fait les verres n’ont pas été brisés. Ils ont été fendus. Et en fait, les voleurs ont passé leurs mains, mais le verre a résisté et on voit bien que ce sont des vitrines de très haute qualité », a-t-elle détaillé. Les nouveaux modes opératoires, comme l’utilisation d’une disqueuse, n’avaient « pas été envisagés » au moment de leur installation, a-t-elle relaté.

Interrogée sur l’état de la couronne de l’impératrice Eugénie, retrouvée endommagée, la présidente a expliqué que l’objet a été endommagé durant l’extraction, « écrasé » par l’ouverture « très limitée ». Elle a affirmé qu’une restauration de cette œuvre serait « délicate » mais « possible ».

Les effectifs de la sécurité sont repartis à la hausse sous sa présidence

La responsable du Louvre a également apporté une autre lecture à la critique faite par plusieurs organisations syndicales, sur la trajectoire des effectifs dédiés à la sécurité au sein du musée, ces derniers s’appuyant selon elle sur des chiffres de 2023. « La réduction des effectifs entre 2014 et 2024 est de 50, passant de 838 ETPT (équivalents temps pleins travaillés) à 788 ETPT, soit -6 %. À mon arrivée [en 2021], ils étaient de 747. En 2024, ils sont de 788 ETPT. C’est donc, mon action et notamment, l’organisation d’un concours exceptionnel de recrutement avec le soutien du ministère de la Culture, qui a permis cette amélioration sensible de 5,5 % ».

À la suite d’une question sur l’armement des agents, Dominique Buffin, directrice de la Direction de l’accueil du public et de la surveillance, a souligné que les agents relèvent du Code du Patrimoine, et non du Code de la Sécurité intérieure. « La possibilité d’armement n’est pas envisageable ». Quant à la possibilité de recourir à une sécurité privée armée, elle a appelé à s’appuyer sur des « renforts d’effectifs de police ». Plus tôt dans l’audition, Laurence des Cars a fait savoir qu’elle solliciterait le ministère de l’Intérieur pour étudier la possibilité d’une installation d’un commissariat de police au sein du musée. « Cette présence serait de nature à nous permettre d’intervenir avec plus d’efficacité, et peut-être aussi avec une forme de dissuasion. » Parmi les actions à mettre en œuvre rapidement, la direction demande d’abord la « sécurisation immédiate des abords immédiats du Louvre », pour empêcher le stationnement d’un véhicule au pied des murs.

Alors que le Parlement a donné le coup d’envoi de l’examen du budget, plusieurs sénateurs, notamment à gauche, se sont inquiétés d’une possible baisse de la dotation budgétaire de l’État au Louvre en 2026. Selon Francis Steinbock, administrateur général adjoint, le musée n’a reçu aucune notification et prépare son prochain budget « sur la base d’estimations ». Ce matin, Emmanuel Macron a demandé en Conseil des ministres une accélération du plan de déploiement du schéma des équipements de sûreté du Louvre.

« On retient que, pour reprendre vos termes, c’est un échec, dont il faudra tirer tous les enseignements et bien sûr prendre les mesures nécessaires », a conclu le président Laurent Lafon (Union centriste). Le socialiste Yan Chantrel a appelé la commission à poursuivre les travaux en auditionnant Rachida Dati.

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