-Cette crise sanitaire dramatique a débouché sur l’arrêt quasi-complet de l’activité des pays industrialisés. Si nous devions y voir un côté positif, faut-il aller regarder du côté du climat ? Cet arrêt freine-t-il le réchauffement climatique ?
Du côté du climat, peut-être pas. De façon temporaire, les statistiques en Chine montrent que les émissions de gaz carbonique pour le mois de février ont diminué de presque 25%, mais dans le long terme, ça ne changera pas beaucoup l’évolution du climat. Si on regarde ce qui s’est passé après la crise de 2008, il y a eu une baisse des émissions et puis l’année suivante, c’est reparti de plus belle. Donc il ne faut pas être trop optimiste par rapport au climat. Il y a quand même un point qui a été noté par mon collègue François Gemenne, c’est que la diminution de la pollution ces dernières semaines en Chine, a probablement sauvé plus de vies que le coronavirus n’en a prises. La disparition quasi complète de l’activité industrielle se traduit par une baisse de la pollution atmosphérique, elle-même à l’origine de conséquences sanitaires. Ce n’est pas du tout une bonne nouvelle, mais c’est un constat que la pollution qui est éliminée provisoirement sauve aussi des vies.
-Vous nous dites que l’arrêt de l’activité industrielle a finalement assez peu d’effets sur le réchauffement climatique à long terme, combien de temps faudrait-il alors tout arrêter pour que cela inverse la tendance ?
Même si on arrêtait tout, on n’inverserait pas la tendance, c’est ça qui est terrible ! C’est ce qu’on dit depuis trente ans, donc on ne va pas changer de discours. Même si on arrêtait d’émettre, on aurait de toutes façons pris presque un demi-degré supplémentaire. Même en arrêtant tout, tout le temps, le réchauffement climatique serait là. On irait bien sûr vers une stabilisation puis peut-être vers un retour à d’autres conditions, mais il faut relire les chiffres : on est à 54 milliards de tonnes d’émissions de gaz à effet de serre chaque année, 44 milliards de CO2, 10 milliards d’autres gaz. On est vraiment au pied du mur ! La crise sanitaire est là et elle est terrible, mais l’urgence climatique est tout aussi présente et terrible ! L’action doit être là. Il y a des chiffres qu’on peut comparer. Par exemple pour réussir la transition énergétique, il faudrait investir pratiquement 20 milliards supplémentaires chaque année d’ici à 2030 pour que la France tienne ses objectifs. On voit bien qu’on ne le fait pas. Et ces chiffres ne sont pas énormes par rapport à ceux qu’on met, à juste titre bien sûr, pour faire face à cette crise sanitaire pour laquelle on parle de 35 milliards. Au niveau de la France, les chiffres qui seraient nécessaires pour entamer la lutte contre le réchauffement climatique ne sont absolument pas astronomiques par rapport à ceux qu’on met en place - et je le redis, à juste titre - pour cette crise sanitaire. Ce qu’on aimerait à l’issue de cette crise, c’est voir repartir une économie plus sobre en carbone.
-Les responsables politiques, jusqu’au plus haut niveau de l’Etat, commencent à évoquer des relocalisations. Cela irait dans le bon sens ?
Oui, je le dis depuis longtemps. J’ai très souvent dit que les règles de l’OMC (ndlr : Organisation Mondiale du Commerce) qui sont les règles d’or de la mondialisation, ne sont pas du tout compatibles avec la lutte contre le réchauffement climatique. Une économie plus verte, plus sobre en carbone, plus à même de nous aider à respecter ces objectifs, une telle économie est synonyme de relocalisation des activités. Donc il y a effectivement quelque chose de commun dans les solutions aux deux crises (sanitaire et climatique) et c’est peut-être pour cela qu’Emmanuel Macron a parlé de l’après. Disons qu’il y a une certaine synergie qui pourrait se mettre en place entre la lutte contre le réchauffement climatique et les enseignements qu’on tirera de cette crise sanitaire.
-A l’issue de cette crise du Covid-19, et puisque l’état d’urgence sanitaire a été décrété, vous semblerait-il ensuite nécessaire de pousser les autorités à décréter l’état d’urgence climatique ?
Nous employons souvent le terme. Oui ! En France, la « loi climat énergie » est tout à fait ambitieuse, elle fixe pour objectif d’avoir une neutralité carbone en 2050, donc il y a une vraie mobilisation, dans les textes, c’est parfait en France ! En Europe, il y a aussi une ambition exprimée par Ursula Von der Leyen : diminuer les émissions de CO2 à horizon 2050. Là où le bât blesse, c’est que les objectifs ne sont jamais respectés.
-Craignez-vous que les ambitions françaises et européennes en matière de lutte contre le réchauffement climatique pâtissent de la crise sanitaire que nous vivons et des milliards d’euros qu’elle coûtera ?
On peut prendre deux types de raisonnements. Il y a celui d’un économiste normal qui nous dira qu’on a consacré beaucoup d’argent à cette crise sanitaire et qu’on n’a donc plus d’argent pour l’urgence climatique. Ça, c’est une première attitude possible. La deuxième attitude possible, qui est la mienne ainsi que celle de Pierre Larrouturou (ndlr : député européen) avec le projet de pacte Finance-Climat, c’est de dire : on met les 300 milliards pour sauver l’économie en France, comme on a mis 1000 milliards pour sauver les banques en 2008, alors on peut mettre 1000 milliards pour sauver le climat. On l’a fait pour la crise sanitaire, on est capable de le faire pour l’urgence climatique, c’est-à-dire sortir de ces carcans des 3% et aller de l’avant en investissant. C’est un peu faire tourner la planche à billets mais c’est ce qu’on fait actuellement, et c’est ce qu’on a fait pour les banques en 2008. Un économiste orthodoxe sera contre bien sûr, ce n’est pas notre ligne. Investir 20 milliards en France pour le climat, ce n’est pas extraordinaire par rapport aux chiffres qu’on évoque aujourd’hui pour la crise sanitaire.
-Pour en revenir précisément à ce virus, le covid-19, on a beaucoup dit qu’il touchait surtout les pays au climat tempéré, et moins les pays chauds. Qu’en pensez-vous ?
Il y a une équipe chinoise qui a analysé de façon très intéressante la propagation de l’épidémie en Chine, et qui montre quand même que des températures plus élevées et des humidités plus élevées sont clairement défavorables à la propagation du virus. Cet article tend à dire qu’on pourrait peut-être avoir une épidémie qui se répand moins rapidement dans les pays plus chauds. C’est une étude sérieuse, mais il faut rester prudent et voir ce que disent plusieurs groupes de recherches.
-On parle beaucoup de la chloroquine, un antipaludique qui pourrait être une piste de traitement face au Covid-19. Le sujet fait débat. Quel est votre regard ?
C’est un point de vue externe, mais j’ai une grande confiance dans le travail de la communauté scientifique surtout lorsqu’il est collectif. Et je vois qu’il y a une certaine prudence du côté du conseil scientifique qui nous dit : n’allons pas trop vite ! Je n’ai aucune expertise personnelle mais j’ai vécu l’expérience des rapports du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) et je crois à la force de l’expertise collective. Réserver ce traitement aux cas les plus graves me semble être une mesure sage. Je souhaite que les gens respectent et aient une conscience de notre communauté scientifique. Je suis assez confiant sur ce point.*