Jean-Marie Le Pen est mort

Jean-Marie Le Pen, fondateur du Front national, est mort à 96 ans

Jean-Marie Le Pen, co-fondateur du Front national et père de Marine Le Pen, est mort à 96 ans ce mardi 7 janvier 2025. Retour sur une carrière politique d’une exceptionnelle longévité, rythmée par cinq candidatures à l’élection présidentielle, mais aussi marquée par les règlements de comptes et les provocations en tout genre.
Romain David

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Pour ses soutiens, il était « le Menhir », référence à ses racines bretonnes, à sa carrure de fort-à-bras et à la longévité de sa carrière politique démarrée sous la Quatrième République. Pour ses détracteurs – nombreux -, il était le « diable de la République », habitué aux polémiques et aux diatribes racistes, antisémites et homophobes, principal artisan du retour sur le devant de la scène politique d’une extrême droite qui semblait définitivement compromise depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Jean-Marie Le Pen, le co-fondateur du Front National, est mort ce 7 janvier 2025 à l’âge de 96 ans, annonce sa famille dans un communiqué.

En retrait de la vie politique depuis sa mise à l’écart du parti en 2015, il avait été affaibli par un accident cardiaque survenu en avril 2023, avant d’être placé en février 2024 « sous régime de protection juridique », l’équivalent d’une mise sous tutelle, par ses trois filles, Marie-Caroline, Yann et Marine Le Pen.

Une jeunesse mouvementée

Fils de marin-pêcheur, Jean-Marie Le Pen a quatorze ans lorsqu’il devient pupille de la nation, son père ayant trouvé la mort après avoir remonté une mine dans ses filets. À l’issue d’une scolarité marquée par plusieurs renvois pour indiscipline, il entame, à la fin des années 1940, des études de droit à Paris. Elu président de la « Corpo », l’Association corporative des étudiants en droit, il exerce ses talents d’orateur lors de divers assemblées et congrès. Les capacités de bretteur de Jean-Marie Le Pen attirent rapidement l’attention, elles en feront un orateur particulièrement redouté tout au long de sa carrière politique.

En parallèle de son parcours universitaire, et pour financer ses études, il aurait exercé les métiers de vendeur à la criée, de marin-pêcheur ou encore de mineur de fond.

L’Algérie et la torture

À 25 ans, il fait le choix des armes et devient parachutiste. Il participe à la guerre d’Indochine, au cours de laquelle il fait la connaissance d’Alain Delon, qui ne fera jamais mystère de sa sympathie pour Jean-Marie Le Pen.

Mais c’est son passage en Algérie comme officier de renseignement qui lui vaut, quelques années plus tard, ses premières controverses médiatiques : Jean-Marie Le Pen assume avoir pratiqué la torture. « Nous avons torturé parce qu’il fallait le faire », explique-t-il en 1962 dans les colonnes du journal Combat. Et d’ajouter : « C’est celui qui s’y refuse qui est le criminel, car il a sur les mains le sang de dizaines de victimes dont la mort aurait pu être évitée ». Il reviendra toutefois sur ses déclarations, préférant parler de « méthodes de contraintes ».

Jean-Marie Le Pen
Crédits photo : Jean-Marie Le Pen photographié en Indochine en 1954.

Premiers pas en politique

C’est par les amitiés liées lors de la guerre d’Indochine que Jean-Marie le Pen fait la connaissance de Pierre Poujade. Passé notamment par le parti populaire français de Jacques Doriot et les jeunesses vichystes, ce papetier est alors à la tête d’un mouvement politico-syndical de défense des commerçants et des artisans. À seulement 27 ans, et bien qu’il soit totalement inconnu du grand public, Jean-Marie Le Pen parvient à se faire élire comme député poujadiste de la Seine en 1956. C’est à cette époque qu’il brade son patronyme « Jean » pour celui de « Jean-Marie », un ajout destiné à séduire l’électorat catholique.

Jean-Marie Le Pen nourrit et exprime dans l’hémicycle sa vive inimitée contre ceux qu’il accuse d’avoir participé au rabougrissement de la France en bradant son vaste empire colonial : Pierre Mendès France, ancien président du Conseil des ministres, vis-à-vis duquel il va jusqu’à parler de « répulsion physique ». Et surtout Charles de Gaulle. Une rencontre furtive avec le général, au lendemain de la Libération, lui a laissé un souvenir désabusé. Il est reçu à l’Elysée en 1958, avec d’autres parlementaires, sans plus d’enthousiasme. « Lui le mainteneur, bradait l’empire, lui le national, rapetissait la France, lui le rassembleur, divisait les Français […] un faux grand homme dont le destin fut d’aider la France à devenir petite », écrit-il dans le premier tome de ses mémoires. Jean-Marie Le Pen affiche également ses sympathies pour les partisans de l’Algérie française et les membres de l’OAS.

Après avoir perdu son siège de député, il devient le directeur de campagne de Jean-Louis Tixier-Vignancour, candidat d’extrême-droite à l’élection présidentielle de 1965. Mais il s’en éloigne rapidement, lui reprochant d’avoir appelé à voter pour François Mitterrand au second tour.

La naissance du Front national

Au début des années 1970, les dirigeants du mouvement néofasciste Ordre nouveau font appel à lui pour se doter d’une vitrine politique, destinée à élargir leur audience. Sa bonne connaissance des rouages parlementaires et ses capacités de bretteur en font une tête d’affiche toute désignée. Les statuts du Front national sont déposés le 27 octobre 1972 à la préfecture de Paris par Jean-Marie Le Pen, qui en prend la présidence, et l’ancien Waffen-SS Pierre Bousquet.

Jean-Marie Le Pen opère alors un laborieux travail de fédération des différentes chapelles d’extrême droite. Les premiers scores électoraux du FN sont anecdotiques. En 1974, il se présente à sa première élection présidentielle. Quatre autres suivront. Le 2 novembre 1976, lui et sa famille échappent de justesse à l’attentat à la bombe qui détruit leur domicile parisien. Sa fille Marine, alors âgée de 8 ans, évoquera cet évènement traumatique comme un moment majeur de sa « propre construction » politique.

Le tournant des années 1980

Paradoxalement, l’arrivée de la gauche au pouvoir marque le début d’une période faste pour les ambitions politiques de Jean-Marie Le Pen. Il s’émeut auprès du nouveau président de la République du manque de considération des médias à son égard, et obtient de François Mitterrand un appui inattendu, « calculé » diront certains commentateurs, alors que la droite menace de détrôner la gauche aux législatives de 1986.

Le passage de Jean-Marie Le Pen dans l’émission « L’Heure de vérité », le 13 février 1984, fait date. Le politicien a déjà opéré sa mue médiatique : chevelure peroxydée, visage poupon barré d’un large sourire carnassier. Il a renoncé au bandeau avec lequel il masque, depuis 1965, la perte de son œil gauche suite à un décollement de la rétine, pour une prothèse oculaire bien plus télégénique. « Je ne suis ni raciste, ni fasciste, ni extrémiste », clame le patron du FN, qui se définit comme un « démocrate churchillien ». En pleine émission, il réclame une minute de silence pour les victimes des dictatures communistes. Trois ans plus tard, il assure à nouveau le show au micro de François-Henri de Virieu en qualifiant les malades du Sida de « lépreux » et exige leur mise en quarantaine.

Mort de Jean-Marie Le Pen
Crédits photo : Jean-Marie Le Pen en 1988, lors d'un passage dans l'émission "L'Heure de Vérité".

En 1986, à la faveur du retour du scrutin proportionnel pour les législatives, le Front national fait entrer 35 députés à l’Assemblée nationale. Jacques Chirac, le patron du RPR, impose alors aux élus de son groupe un « cordon sanitaire » avec ceux du FN. Il n’empêche, le discours incessant de Jean-Marie Le Pen sur l’insécurité et l’immigration infuse progressivement au sein de la classe politique, notamment à droite où ces thématiques étaient encore assez peu traitées. À la fin des années 1990, l’ancien garde des Sceaux Robert Badinter déplore une « lepénisation des esprits ».

L’essor du FN est freiné par la scission de 1998 : son numéro deux, Bruno Mégret, prend le large après avoir tenté de récupérer la direction du parti, dénonçant à la fois l’autoritarisme et la stratégie antisystème de Jean-Marie Le Pen.

Le choc de 2002

20 heures, le 21 avril 2002, le visage des finalistes pour le second tour de la présidentielle apparaît sur les téléviseurs des Français. Coup de tonnerre : face au sortant Jacques Chirac, Jean-Marie Le Pen s’impose en deuxième position et évince le socialiste Lionel Jospin. La campagne très offensive du « Menhir », axée sur la montée de l’insécurité, qui a su jouer de plusieurs faits divers, a fait mouche. Si le FN se nourrit encore très largement d’un vote de protestation, la qualification de Jean-Marie Le Pen démontre que son parti est devenu au fil des années un poids lourd de la vie politique française, avec lequel il faudra désormais compter.

Deux semaines plus tard, les 82,21 % glanés par Jacques Chirac, qui a refusé le débat de l’entre-deux tours avec le leader frontiste, illustre néanmoins la permanence d’un certain plafond de verre face à l’essor de l’extrême droite.

Le père évincé par la fille

À partir des années 2010, Jean-Marie Le Pen, qui a passé le cap des 80 ans, amorce sa succession. Sa fille Marine, présente depuis plusieurs années sur les plateaux télévisés avec un discours aussi offensif que celui du père, s’impose comme unique héritière.

Elle prend la présidence du FN en 2011, et entame un long travail de dédiabolisation du parti : mise en place d’une nouvelle génération au sein des instances dirigeantes, discours plus policé, renforcement des implantations locales… Mais Jean-Marie Le Pen voit d’un mauvais œil l’effacement progressif de la stratégie antisystème qu’il a longtemps défendu et la mise à l’écart de ses anciens lieutenants. Il multiplie les critiques, en privé et publiquement.

La rupture éclate le 2 avril 2015, lorsqu’il réitère sur BFM TV des propos déjà tenus en 1987, qualifiant de « détail de l’histoire » les chambres à gaz utilisées par les nazis. Quelques jours plus tard, il explique à l’AFP ne pas considérer le maréchal Pétain comme « un traître » à la France. Marine Le Pen se désolidarise des propos du père, elle qui clamait quatre ans plus tôt, en arrivant à la tête du parti : « Je prends tout et croyez-moi très honnêtement, j’ai raison de tout prendre ! ». C’est également le début d’une longue bataille judiciaire pour évincer Jean-Marie Le Pen des fonctions qu’il exerce encore au sein de parti. Leur brouille, largement médiatisée, exhume aussi la vie de famille relativement compliquée du tribun.

« Papa ne s’occupait pas trop de nous »

En décalage avec la figure du patriarche catholique, la vie privée de Jean-Marie Le Pen a connu de nombreux soubresauts, régulièrement étalés en Une des gazettes. Il épouse en 1960 Pierrette Le Pen, mère de ses trois filles. Mais le mariage vole en éclat lorsqu’elle quitte brusquement le domicile conjugal en 1984 pour le journaliste Jean Marcilly.

Leur séparation s’invite sur les plateaux télé, et les invectives fusent par médias interposés jusqu’à friser le mauvais vaudeville. Pierrette Le Pen pose en soubrette pour le magazine Playboy, manière de répondre à son époux qui avait lancé au détour d’une interview : « Si elle a besoin d’argent, elle n’a qu’à faire des ménages ! ».

Jean-Marie Le Pen semble avoir davantage été préoccupé par sa carrière politique que par sa vie de famille. « Papa ne s’occupait pas trop de nous. Il ne savait pas trop que nous étions là. Moi, je faisais les pâtes au gruyère pour Marine. On pique-niquait entre filles », a expliqué Yann Le Pen à Libération. À la fin des années 1980, le président du FN se met en couple avec Jany Paschos, la fille d’un marchand d’art grec. Elle est un temps pressentie comme tête de liste pour les élections européennes, Jean-Marie Le Pen ayant été frappé d’inéligibilité à la fin des années 1990, après une altercation physique avec la socialiste Annette Peulvast-Bergeal. Le couple attendra 2021 pour se marier religieusement.

Outre sa brouille avec Marine Le Pen, Jean-Marie Le Pen est longtemps resté en froid avec son aînée Marie-Caroline, qui avait osé rallier Bruno Mégret en 1998.

Incitation à la haine, antisémitisme, soupçon d’emploi fictif… La valse des affaires

À partir de 1976, le train de vie de Jean-Marie Le Pen a pris un virage à 180 degrés : il hérite de la fortune d’Hubert Lambert, propriétaire des cimenteries Lambert. La succession comprend l’hôtel particulier et le parc de Montretout, à Saint Cloud, qui devient dans les années 1980 le centre névralgique et mondain de l’extrême-droite française, à la fois état-major du FN et domicile familial des Le Pen dans un truculent mélange des genres. Les soirées s’y succèdent, Jean-Marie Le Pen, métamorphosé en châtelain, s’affiche en complet-veston bleu marine, cravate et pochette criardes, généralement flanqué de ses deux dobermans, ou bien posant au milieu du jardin avec ses filles.

Jean-Marie Le Pen chez lui en famille
Crédits photo : Jean-Marie Le Pen en famille chez lui dans sa propriété de Montretout en 1986. Derriere Jean-Marie Le Pen et sa femme Pierrette de gauche a droite : Yann Le Pen, Marine Le Pen, et Marie Caroline Le Pen.

Mais cette image de magazine, que n’aurait pas reniée un Donald Trump, menace de partir en fumée lorsque la famille Lambert conteste le testament qui a fait la fortune de Jean-Marie Le Pen. Le litige est finalement réglé à l’amiable.

La liste des affaires et condamnations judiciaires qui ont frappé Jean-Marie Le Pen en marge de son parcours politique est particulièrement fournie. Il a été condamné à plusieurs reprises à verser des dommages et intérêt à différentes associations pour ses propos révisionnistes, et à une amende de 30 000 euros en 2018 pour ses déclarations sur les chambres à gaz. Il est notamment condamné le 16 février 2012 à trois mois de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende pour contestation de crimes contre l’humanité, ayant déclaré dans Rivarol que « l’Occupation allemande n’a pas été particulièrement inhumaine ».

La justice l’a également reconnu coupable « d’antisémitisme insidieux », lorsqu’il a qualifié en 1985 plusieurs journalistes d’origine juive de « menteurs ». À cette condamnation s’ajoutent également celles pour provocation à la haine et à la discrimination après des propos tenus en 2004 et en 2013 sur les musulmans et les Roms.

Il avait été mis en examen en 2019 dans l’affaire des assistants parlementaires du Front national au Parlement européen, portant sur des soupçons d’emplois fictifs. Il était accusé, avec 27 autres personnes dont sa fille Marine Le Pen, d’avoir utilisé des fonds publics pour rémunérer des assistants qui travaillaient en réalité pour le FN, mais la justice a estimé en septembre dernier qu’il n’était « pas apte » à assister au procès. Ultime provocation du « Menhir » : il était apparu quelques jours plus tard dans une vidéo prise à son domicile, en train de chanter avec un groupe de rock affilié à un groupuscule néonazi.

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