JO 2024 : le Sénat adopte la vidéosurveillance par algorithme, la gauche dénonce un nouveau « big brother »

JO 2024 : le Sénat adopte la vidéosurveillance par algorithme, la gauche dénonce un nouveau « big brother »

Les sénateurs de droite et du centre ont autorisé la mise en place de la vidéoprotection par intelligence artificielle, en vue des JO, afin de prévenir les mouvements de foule ou le risque d’attentat. La gauche et les écologistes dénoncent un changement profond, dangereux pour les libertés publiques. Ils accusent le gouvernement de profiter des Jeux olympiques pour avancer vers une « société de surveillance ».
François Vignal

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549 jours. C’est le temps qu’il reste avant la cérémonie d’ouverture, le long de la Seine, des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. « Nous sommes face à un compte à rebours implacable », prévient la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, en ouverture de l’examen au Sénat du projet de loi sur les Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Un texte de préparation à cet événement planétaire.

Les chiffres donnent une idée de l’ampleur de ce qui attend la France, pays organisateur. « 10.500 athlètes », « 549 épreuves », « plus de 40.000 bénévoles », « 13,5 millions de spectateurs, 20.000 journalistes accrédités et 4 milliards de téléspectateurs », énumère la sénatrice du groupe LR, Agnès Canayer, rapporteure du texte au Sénat.

Un projet de loi fourre-tout

Le projet de loi est pour le moins fourre-tout. Pour renforcer la lutte contre le dopage, le texte prévoit d’autoriser les tests génétiques sur les sportifs pour détecter les transfusions sanguines ou l’EPO. Les sénateurs en ont fait en commission une expérimentation. Outre des dérogations à l’encadrement de la publicité le long du parcours de la flamme olympique, au repos dominical, l’autorisation pour des médecins étrangers d’exercer dans le village olympique, le projet de loi comporte aussi des dispositions sécuritaires. Tirant les enseignements des événements du Stade de France, l’introduction dans une enceinte sportive sans billet devient un nouveau délit. Par ailleurs, les « strakers », qui pénètrent sur les stades nus, ainsi que les militants (écologistes en général) qui rentrent sur le terrain avec un message, seront aussi sanctionnés. En commission, le sénateur centriste Claude Kern a porté l’amende de 1.500 à 3.750 euros.

Lire aussi » Vidéosurveillance, tests antidopage, délit d’intrusion dans un stade : les principales dispositions de la loi sur les JO 2024

Mais sur le plan sécuritaire, le cœur du débat, « le cœur du réacteur », comme l’a dit la socialiste Sylvie Robert, porte sur l’autorisation, à titre expérimental et jusqu’au 30 juin 2025, soit après les JO, de la vidéoprotection « augmentée ». On parle ici du recours à l’intelligence artificielle, ou plutôt aux d’algorithmes, pour détecter en temps réel les comportements jugés « anormaux », comme des mouvements de foule, une personne qui court, un attroupement, dans les transports mais aussi les gares. Les forces de l’ordre sont alors alertées. L’idée est d’en faire un outil d’aide à la décision.

Détecter des mouvements de foules, des colis suspects, un rassemblement « intempestif »

Jeudi soir, le Sénat a adopté l’article 7 qui porte cette nouveauté, que la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) qualifie de « tournant », par 243 voix contre 27 et 73 abstentions. Si les défenseurs des libertés publiques, on va le voir, pointent un sérieux danger, côté gouvernement, la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, défend la mesure. Elle assure avoir « entendu » les questionnements. Mais elle insiste sur « les très nombreuses garanties mises en place » et défend l’équilibre entre la nécessité d’« être au rendez-vous de la sécurité, tout en préservant les droits et libertés de nos concitoyens ». Le gouvernement a de plus écarté le recours à la reconnaissance faciale. Ce que regrette le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse, auteur d’une proposition de loi pour l’instaurer.

Concrètement, ces algorithmes vont apprendre à détecter « des mouvements de foules, des colis suspects, un goulet d’étranglement dans les transports », précise la ministre. Sonia Backès, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Intérieur, cite aussi « les colis abandonnés et éventuellement des armes longues ». Autre exemple donné par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, présent dans la soirée au banc des ministres : « Un rassemblement extrêmement intempestif, la casse d’abris bus, un sac déposé par terre ». Autre cas : « Imaginons que nous ayons à gérer une alerte à la bombe, si elle est sérieuse ou pas », il s’agit de savoir « dans quelles conditions. Est-ce un oubli ou est-ce fait de manière volontaire ? ». « Il ne s’agit pas de regarder des données personnelles. Ce sont des situations », résume le locataire de la Place Beauvau.

Le contrôle de la Cnil renforcé par les sénateurs en commission

En commission, la majorité de droite et du centre a renforcé les pouvoirs de contrôle de la Cnil, en amont, durant la phase d’élaboration de l’algorithme. Des garanties que la rapporteure juge suffisantes. « L’article 7 met en place certes, une innovation majeure, mais qui permettra d’aider la sécurisation des grandes manifestations sportives, culturelles et récréatives, et a fortiori dans la perspective des Jeux olympiques », soutient Agnès Canayer, qui ajoute que le système « est utile au regard du risque terroriste, encore extrêmement fort dans notre pays » (voir la première vidéo).

La sénatrice de Seine-Maritime continue : « Ce dispositif est encadré par de nombreuses garanties, instaurées suite à l’avis du Conseil d’Etat et de la Cnil. Et à la commission des lois, nous les avons renforcées par un contrôle plein et entier de la Cnil, notamment lors de la création des algorithmes, dans les fameux « bacs à sable » ». La rapporteure l’assure, « le contrôle humain reste permanent ».

« La surveillance à la chinoise, ce n’est vraiment pas notre tasse de thé »

Des garanties qui ne rassurent pas les opposants à la réforme, tant celle-ci « nous fait changer de monde », dénonce le sénateur EELV, Thomas Dossus, « c’est un changement radical dans notre approche de l’espace public ». Il craint un « grand saut dans la société de surveillance ». De plus, pour le sénateur du Rhône (voir la vidéo ci-dessous), « nous sommes ici face à un cavalier, ou un cheval de Troie législatif », car « les JO sont un prétexte pour jouer aux apprentis sorciers de la vidéo surveillance », lance l’écologiste, et pérenniser ensuite le système. Thomas Dossus ajoute :

C’est une loi d’exception qui met un coup de canif supplémentaire dans nos libertés publiques.

« C’est un vrai problème de vision de la société qui se pose. De vision sécuritaire, de vision contrôlée par des intelligences artificielles, de big brother is watching you », lance son collègue écologiste, Guy Benarroche.

« La devise olympique est ici détournée pour un plus vite, plus haut, plus fort… de sécurité », raille Eliane Assassi, présidente du groupe communiste, selon qui les « Jeux olympiques de 2024 seront un accélérateur de surveillance ». Sa crainte : que « l’Etat d’exception créé par les JO permette de faire passer des lois sécuritaires qui resteront par la suite ». « La surveillance à la chinoise, ce n’est vraiment pas notre tasse de thé. Et si on met le doigt dedans, on ne sait pas où on s’arrête », alerte aussi son collègue communiste, Pierre Ouzoulias.

« Avons-nous collectivement conscience des implications d’un tel renversement ? »

« Avons-nous collectivement conscience des implications d’un tel renversement ? » interroge la socialiste Sylvie Robert. Le groupe socialiste n’a cependant pas voté contre, comme les écologistes et communistes, mais s’est abstenu. « Il existe un risque de développement rampant, à bas bruit, d’un certain nombre de technologies », met en garde le sénateur PS Jérôme Durain. Mais il préfère bien encadrer ces mesures avec « un périmètre clair, une durée fixée », pour les accompagner, plutôt que les rejeter. De quoi « avancer ensemble, dans la confiance, vers l’usage de ces technologies », a défendu le socialiste, auteur d’un rapport avec Marc-Philippe Daubresse (LR) et Arnaud de Belenet (UC) sur la reconnaissance biométrique dans l’espace public. L’un des amendements de Jérôme Durain, pour la prévention des conflits d’intérêts des entreprises proposant les systèmes, a été adopté.

Ceux de Thomas Dossus pour rendre « accessible à tous » le code source des algorithmes et empêcher la vente de données d’apprentissage des intelligences artificielles, avec le risque ensuite que ces systèmes soient un jour utilisés dans des « régimes moins précautionneux des libertés publiques », n’ont pas bénéficié du même sort favorable. « Il n’y a aucune cession de données. Elles ne seront revendues à personne » a tenté de le convaincre Gérald Darmanin. Quant aux algorithmes qui seront développés, « c’est d’abord une propriété industrielle », a répondu le ministre, qui voit dans leur publication un risque sécuritaire. Le débat n’est certainement pas épuisé.

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