Justice : le Sénat encadre les nouveaux pouvoirs d’enquête du parquet

Justice : le Sénat encadre les nouveaux pouvoirs d’enquête du parquet

C’est l’un des points clés du projet de loi de la réforme de la justice : les pouvoirs d’enquête renforcés du procureur de la République (écoutes, géolocalisation..). Des atteintes à la vie privée que le Sénat a choisi de mieux encadrer.
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Habituellement calme depuis le début de l’examen du projet de loi de réforme de la justice, Nicole Belloubet a cette fois-ci élevé la voix pour défendre la version du gouvernement correspondant à une série d’articles relatifs à la procédure pénale. Ces articles ont en effet été sensiblement réécrits par la commission des lois.

Dans le cadre des enquêtes préliminaires et de flagrance, le gouvernement souhaite permettre au procureur de la République d’avoir recours à des techniques d’intrusion, jusque-là utilisées par les services de renseignements et dans le cadre de l‘Etat d’urgence.

Dans le cadre de délits punis d’au moins 3 ans d’emprisonnement, le parquet pourrait autoriser les enquêteurs à procéder à des écoutes, de la géolocalisation, avoir accès à des données électroniques ou encore correspondre sous pseudonyme avec un suspect sur Internet. Des techniques autorisées par le parquet sous le contrôle du juge de la détention et de la liberté (JLD). Sauf en cas d’urgence, où l’autorisation du JLD ne serait qu’a posteriori, dans la limite des 24 heures.

Dans la version votée par le Sénat, le seuil du délit engendrant de telles techniques d’investigation est élevé à 5 ans. Et quant à l’urgence qui peut motiver a posteriori le contrôle du JLD il est restreint « en cas d’atteinte grave aux personnes ».

Un vote qui n’a pas satisfait la ministre de la justice. Le changement de seuil ne permet plus de réaliser des écoutes lors d’infractions « telles que la soustraction d’un mineur par un parent, des vols ou des abus de confiance portant sur des sommes importantes » « mais nécessitera d’ouvrir une information judiciaire qui viendra inutilement encombrer les cabinets des juges d’instruction » a-t-elle estimé.

« J’ai été choquée que M. le président Bas évoque l’absence de contrôle utile du JLD. Comment peut-on dire ça ? »

Nicole Belloubet n’a pas non plus apprécié les critiques des sénateurs concernant le contrôle « formel » du JLD. « J’ai été choquée que M. le président Bas évoque l’absence de contrôle utile du JLD. Comment peut-on dire ça ? (…) Alors que le JLD est un juge statutaire exclusivement centré sur ces questions-là de contrôle de la liberté et de la détention, qui a donc le temps et les moyens d’opérer les vérifications nécessaires » s’est-elle emportée avant de rappeler que le contrôle du procureur était effectif. « L’article 39-3 de la procédure pénale dit clairement que le procureur instruit à charge et à décharge » a-t-elle cité.

« Aujourd’hui, on nous propose de faire un saut considérable »

Pouvoirs renforcés du procureur: "on nous propose de faire un saut considérable" s'inquète Philippe Bas
01:20

Le président LR de la commission des lois, Philippe Bas a effectivement émis de fortes réserves sur le texte dans sa version gouvernementale. « Le Sénat a été aux avant-postes pour que les moyens donnés à la police soient aussi donnés à la justice. Mais il s’agissait de terrorisme et de grande criminalité » a-t-il martelé en référence la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité. « Et aujourd’hui, on nous propose de faire un saut considérable (…) Il se trouve que nos rapporteurs ont très longuement discuté avec les représentants des juges des libertés et de la détention. Ils en ont retiré la conviction absolue qu’ils ne seraient pas en mesure d’exercer un contrôle utile sur l’exercice par les procureurs des pouvoirs que vous voulez leur donner » a-t-il poursuivi.

Le vice président socialiste de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur a également observé que le seuil de 3 ans d’emprisonnement déclenchant ces nouvelles techniques d’enquête dans la version du gouvernement, « inclut la presque totalité des délits de droit commun à l’exception des infractions routières, des dégradations légères et des délits d’outrage et de rébellion » raison pour laquelle le Sénat est passé à un seuil de 5 ans.

En ce qui concerne les enquêtes sous pseudonyme, le Sénat a également fixé un seuil correspondant à une peine de prison de 3 ans alors que le projet initial prévoit de l'élargir à tous les délits punis d’une peine d’emprisonnement. Un retour en arrière dangereux, selon Nicole Belloubet, qui a pris l’exemple d’affaires d’acquisition ou consultation d’image pédopornographique, délit puni d’une peine de 2 ans d’emprisonnement. « J'en appelle à votre responsabilité (...) Nous avons à prendre en charge des crimes de nature pédopornographique. Nous ne pourrons plus le faire avec l'amendement de la commission des lois » a-t-elle regretté.

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