Justice : le Sénat entame l’examen du projet de loi destiné « à tourner la page de la clochardisation de la justice française »

Ce mardi 6 juin, le Sénat a démarré l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation de la Justice pour la période 2023-2027. Les sénateurs ont voté les premiers articles sur la hausse des moyens budgétaires alloués à l’institution judiciaire et l’habilitation donnée au gouvernement à réformer le code de procédure pénale.
Simon Barbarit

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« Tourner la page du délabrement et de la clochardisation de la justice française », c’est par ces mots, pris à l’un de ses prédécesseurs, Jean-Jacques Urvoas, que le garde des Sceaux a présenté au Sénat le projet de loi de programmation et d’orientation de la Justice pour la période 2023 à 2027.
L’examen du projet de loi assez technique et dont le rapport annexé comporte bon nombre de mesures réglementaires, prévoit de faire passer le budget du ministère de 9,6 milliards d’euros en 2023 à près de 11 milliards d’ici quatre ans. Il entérine notamment l’embauche de 10 000 personnels, la construction de 15 000 places de prisons supplémentaires, d’ici la fin du quinquennat. Le projet de loi prévoit précisément le recrutement de 1500 magistrats et 1500 greffiers sur le quinquennat. L’article 1 tel que modifié en commission des lois et adopté cet après-midi met l’accent sur l’importance des greffiers pour un bon fonctionnement de la justice et fait passer leur recrutement à 1800. Les élus ont également ajouté l’embauche de 600 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP).

Si l’ensemble des sénateurs saluent l’augmentation des moyens conséquents, « censés diviser par deux l’ensemble des délais de justice d’ici 2027 », plusieurs points sur la modernisation de l’institution judiciaire ont été débattus.

« Nous n’aimons pas les habilitations au Sénat »

L’article 2, l’un des points forts du projet de loi, donne habilitation au gouvernement à réécrire, dans un délai de deux ans, par voie d’ordonnance le code de procédure pénale afin d’en « clarifier la rédaction et le plan ». En commission, les élus ont rajouté un délai. L’ordonnance ne pourra entrer en vigueur qu’après un an « au plus tôt » à compter de sa publication. Les sénateurs craignent que le gouvernement se passe d’un retour devant le Parlement pour ratifier l’ordonnance. C’est pourquoi, ils ont également ajouté que le projet de loi de ratification devra être déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance.
« Nous n’aimons pas les habilitations au Sénat. Nous n’aimons pas transmettre notre compétence à légiférer au gouvernement. Néanmoins les travaux de codifications sont toujours fastidieux », a rappelé la co-rapporteure du texte, Agnès Canayer (app-LR) rappelant que ce travail serait effectué par un comité scientifique et suivi par un comité composé de parlementaires de chaque groupe politique.
« La confiance n’exclut pas le contrôle », a rassuré le ministre interpellé sur la notion « d’une codification à droit constant, soit une réforme du code de procédure pénale sans modification juridique. Il a par ailleurs confirmé que le nouveau code « clarifié » « n’entrera pas en vigueur » avant la ratification de l’ordonnance. « Je m’y engage. Il ne s’agit pas de changer les règles ou de bouleverser les équilibres ». L’article 2, tel que modifié par la commission, a été adopté en fin de journée.
Plus tôt dans l’après-midi, les débats se sont concentrés autour du rapport annexé définissant les orientations et la programmation des moyens du ministère de la justice jusqu’en 2027. Sorte de feuille route du gouvernement sur laquelle il s’est engagé mais qui ne dispose pas de portée normative.
Qu’à cela ne tienne. La gauche du Sénat a défendu plusieurs séries d’amendements notamment sur la lutte contre les violences faites aux femmes. Pour mémoire, Éric Dupond-Moretti s’est engagé à reprendre plusieurs dispositions du rapport de la sénatrice centriste, Dominique Vérien sur la lutte contre les violences intrafamiliales : comme la création dans chaque juridiction « d’une chambre spécialisée » et « d’un parquet spécialisé » en matière de violences intrafamiliales ou la mise en place de « comités de pilotage » au sein desquels se réuniraient une fois par mois, magistrats, associations, policiers, gendarmes…

« Nous légiférons n’importe comment »

Insuffisant pour la sénatrice socialiste, Laurence Rossignol qui souhaite la mise en place de juridictions spécialisées sur les violences intrafamiliales selon le modèle espagnol. « La promesse du président de la République, c’était des juridictions spécialisées […] Nous légiférons n’importe comment », s’est-elle agacée à la tribune, regrettant la superposition des propositions de loi en la matière comme celle visant à renforcer les ordonnances de protection et dont l’examen n’est prévu à la rentrée. « Je ne comprends pas votre rapport au temps. Quand il s’agit de faire travailler les gens deux ans de plus, c’est tout de suite. Quand il s’agit de lutter contre les violences faites aux femmes, un autre projet viendra et on ne sait pas trop quand ».

En séance, la sénatrice écologiste, Mélanie Vogel a fait passer un amendement qui précise l’entrée en vigueur des pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales au plus tard au 1er janvier 2024. En revanche, son amendement visant à expérimenter des Centres d’aide aux victimes de violences intrafamiliales n’a pas été adopté.

« Je veux assumer une réponse pénale ferme »

Un autre thème a occupé les débats, celui de la surpopulation carcérale. S’appuyant sur les travaux des Etats généraux de la justice, le sénateur écologiste, Guy Benarroche a défendu de nombreux amendements pour la résorber comme le développement des prisons en milieu ouvert, la dépénalisation de la consommation de stupéfiants, la création d’un « seuil de criticité » à partir duquel un établissement pénitentiaire, ne serait plus en mesure de fonctionner sans affecter durablement la qualité de la prise en charge des personnes détenues, ce qui entraînerait la libération anticipée des détenus susceptibles de faire l’objet d’un aménagement de peine.

Éric Dupond-Moretti a insisté sur l’importance de la création de 15 000 places de prison pour « mettre un terme aux conditions indignes ». « Il y a 60 000 places et 73 000 détenus. Je ne vais pas libérer 13 000 détenus. Je veux assumer une réponse pénale ferme ».

L’examen du projet de loi se poursuit demain, mercredi 7 juin, avec l’article 3 portant sur des simplifications des cadres d’enquête, comme la possibilité pour les enquêteurs de faire des perquisitions de nuit, la possibilité pour le juge de la détention et des libertés de modifier un contrôle judiciaire, ou encore l’autorisation de procéder l’activation à distance d’un téléphone à l’insu ou sans le consentement de son propriétaire pour le géolocaliser.

 

 

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