Justice : les annonces d’Éric Dupond-Moretti « cohérentes », mais « brouillonnes » pour les sénateurs
Un budget de la justice qui passerait de 9,6 à 11 milliards d’ici la fin du quinquennat, une réforme du code de procédure pénale et civile, un plan de transformation numérique du ministère… Lors d’une conférence de presse fleuve, Éric Dupond-Moretti a présenté son plan pour remédier à « 30 ans d’abandon politique » de la justice. Au Sénat, on salue l’intention, mais on s’interroge sur la méthode.

Justice : les annonces d’Éric Dupond-Moretti « cohérentes », mais « brouillonnes » pour les sénateurs

Un budget de la justice qui passerait de 9,6 à 11 milliards d’ici la fin du quinquennat, une réforme du code de procédure pénale et civile, un plan de transformation numérique du ministère… Lors d’une conférence de presse fleuve, Éric Dupond-Moretti a présenté son plan pour remédier à « 30 ans d’abandon politique » de la justice. Au Sénat, on salue l’intention, mais on s’interroge sur la méthode.
Simon Barbarit

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Le ministre aura beaucoup parlé mercredi matin. Deux heures de conférence de presse, il fallait bien ça pour présenter des « moyens supplémentaires historiques », et une soixantaine de mesures destinées à restaurer la place de la justice (voir notre article). La parution d’une tribune signée par 3 000 magistrats et une centaine de greffiers pour alerter sur la dégradation de leurs conditions de travail avait donné lieu à la mise en place des Etats généraux de la justice. Plus d’un an après leur lancement, Éric Dupond-Moretti a présenté son plan d’action.

« On ne sait pas comment vont s’organiser tous ces chantiers »

« Je reconnais la volonté réformatrice du ministre. Mais le reproche permanent qu’on peut lui faire, c’est cette méthode peu claire, un peu brouillonne avec une absence de priorisation. La première des annonces, ça reste l’augmentation du budget qui passera de 9,6 milliards cette année à 11 milliards à la fin du quinquennat. Mais on ne sait pas comment vont s’organiser tous ces chantiers », relève la rapporteure LR du budget au Sénat, Agnès Canayer.

Les moyens financiers destinés à financer l’embauche de 10 000 fonctionnaires de justice, dont 1 500 et 1 500 greffiers, d’ici 2027, seront inscrits dans une loi de programmation et d’orientation pour la justice, présentée au Parlement « au printemps » a simplement précisé le garde des Sceaux. Les élus devront également donner leur habilitation à la réécriture à « droit constant », et par voie d’ordonnance, du code de procédure pénale « complexe et illisible ». La tâche sera confiée à un comité scientifique composé de professionnel du droit. « Les parlementaires représentant des deux assemblées et seront étroitement associés afin de suivre et valider les travaux et de préparer le débat parlementaire nécessaire à la ratification de l’ordonnance », a-t-il assuré.

Éric Dupond-Moretti a également appelé à « un changement de logiciel pour la justice civile » qui représente 60 % des décisions rendues par les tribunaux. L’ancien avocat ambitionne de « diviser par deux » les délais de traitement au civil grâce à deux mécanismes, « la césure » et la création du règlement à l’amiable » conférer au juge un « rôle de conciliateur » en descendant de « son imperium ». La refonte du code de procédure civile se fera par voie réglementaire.

« Une cohérence dans les propositions présentées »

Philippe Bonnecarrère, sénateur centriste, vice-président de la commission des lois du Sénat confie avoir une impression « positive » de ce qu’il a entendu. « J’ai la perception, à dire vrai peu fréquente dans le passé en matière de justice, d’une cohérence dans les propositions présentées. Je retiens plus cette cohérence que l’ampleur du chèque annoncé pour 2027 ».

Chez certains de ces collègues l’accueil de ce plan d’action est pourtant plus mitigé. « C’est difficile d’aborder tous les sujets d’un seul coup. Lors du précédent quinquennat, Nous avons réformé la justice pénale des mineurs mais nous n’avons pas procédé à son évaluation. C’est la même chose pour les Cours criminelles départementales. Après deux ans d’expérimentation, le ministère les généralise au 1er janvier sans prendre en compte leur évaluation », regrette Agnès Canayer.

Cour criminelle départementale : « Les résultats ne sont pas ceux avancés par le ministre »

Le sénateur écologiste Guy Benarroche qui faisait partie avec Agnès Canayer du comité d’évaluation des Cours criminelles départementales, abonde. « La vocation de cette nouvelle juridiction, c’était là aussi d’aller plus vite. Or, les résultats ne sont pas ceux avancés par le ministre. Rien ne permet d’affirmer que ces Cours criminelles départementales ont mis un terme aux correctionnalisations. Le ministère n’a pas anticipé les besoins en immobilier et en ressources humaines. Il faut 5 magistrats pour faire fonctionner ces Cours. Pour que ça marche, il faut mettre les moyens. On veut tous que la justice soit plus rapide mais pas si ça passe par la réduction de la collégialité et ou par le remplacement des décisions de justice par des amendes forfaitaires (voté dans le cadre de la loi Lopmi NDLR) », soutient le sénateur. Guy Benarroche interrogera d’ailleurs le ministre de la justice sur les moyens alloués pour la généralisation des Cours criminelles départementales, lors des prochaines questions d’actualité.

Maintes fois réclamé au Sénat, Éric Dupond-Moretti a annoncé un plan de transformation numérique. Il fixe l’objectif ambitieux d’atteindre « zéro papier » d’ici 2027. « Cet objectif me semble indispensable par son caractère global afin de sortir de tel ou tel programme ou de telle ou telle chaîne judiciaire », salue Philippe Bonnecarrère.

Sur le volet pénitentiaire, outre le rappel de la création de 15 000 places de prison à la fin du quinquennat, l’ancien ténor du barreau a réaffirmé son souhait de faire du travail en détention « une priorité » de son action. « Plus de travail, c’est plus de réinsertion, et moins de récidives », a-t-il appuyé. Il a également loué le Travail d’Intérêt Général (TIG) comme moyen pour lutter contre la surpopulation carcérale, « à chaque fois que possible au regard de la faible gravité des faits ».

« On a vu lors de l’examen de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire que le travail en prison, ça ne marchait pas. Les TIG, nous n’avons rien contre, mais il n’y a pas assez de moyens pour l’exécution des peines », constate Agnès Canayer.

Éric Dupond-Moretti a répondu à ces critiques ce matin. « J’adorerais avoir une baguette magique, j’adorerais aller plus vite […] On ne peut pas à la fois dire qu’il y a 30 ans, on a tout abandonné et tout vouloir tout de suite ».

 

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