Elle se souvient de ces images à jamais. Et pour la première fois témoigne devant les caméras. En découvrant les photos de l'autopsie de son père, Fabienne Boulin prend conscience des circonstances de la mort de son père : « On voit cet homme qui a été tapé, cogné, abîmé. Il est mort sous les coups. Ces photos sont terribles. C'est une prise de conscience pour mon frère et moi. Ma mère a toujours su qu'on l'avait assassiné, mais nous… (on voulait), on voulait encore croire au système et à la République bienveillante. Pour tout ce qu'il avait pu faire pour ce pays, on ne pensait pas quand même que cela se terminerait aussi tragiquement ». Quatre ans plus tard, la famille obtiendra l'autorisation d'exhumer le corps, et procédera à de nouvelles expertises médicales qui prouveront l'incohérence de la thèse du suicide.
Pendant quinze ans, Benoît Collombat et Bernard Nicolas ont enquêté, accumulant des milliers de documents et des centaines d'heures d'enregistrements. Leur film, riche d'archives et de témoignages dément la thèse officielle du suicide. Comment l'ancien ministre est-il mort ? Qui en est le véritable responsable ? Pourquoi ? Pour la première fois des médecins, et des responsables politiques, qui se sont longtemps réfugiés dans le silence, livrent leurs versions des faits et leurs ultimes secrets concernant cette affaire d'État.
Robert Boulin, un homme politique aux services des autres à la vie à la mort
Avant d'être le ministre du Travail sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, Robert Boulin est un homme à la carrière impressionnante. Ancien résistant, avocat, député-maire de Libourne (Gironde), cette grande figure politique a connu tous les ministères. La force de ce gaulliste membre du RPR, réside dans son intégrité et ses nombreux secrets : au fil des années, il a accumulé beaucoup de petits secrets sur les différents gouvernements dans lesquels il a travaillé.
Le mardi 30 octobre à 8 h 40, le corps de Robert Boulin est découvert dans un étang peu profond des Yvelines par les gendarmes. Les dents rompues, le visage tuméfié, le corps à moitié hors de l'eau, Robert Boulin est mort. Mais que lui est-il arrivé ? À quelques mètres de la berge, sa voiture est retrouvée verrouillée avec pour seul indice apparent un mot d'adieu écrit sur un bristol et déposé sur le pare-brise. Avant même l'autopsie du corps, la thèse du suicide semble ne faire aucun doute, en apparence seulement. Pour le médecin du Samu, arrivé en même temps que les pompiers sur les lieux du drame l'apparence du corps et la thèse du suicide ne coïncide pas : « C'est ici qu'on a retrouvé le corps, à 7 mètres du rivage. Le corps flottait, le visage était aux deux tiers hors de l'eau, pleins d'ecchymoses et d'hématomes très traumatisés. On ne voyait qu'un bras, l'autre on ne le voyait pas […] Son corps était tout recroquevillé et l'un des pompiers a même déclaré je m'en souviens, ''en dirait qu'il sort d'une malle'' ». Pour lui il est évident, la noyade n'est pas à l'origine des marques sur son visage.
Des incohérences médicales liées à la mort
L'enquête journalistique menée par Benoit Collombat et Bernard Nicolas démontre de manière incontestable que le ministre du Travail de Valéry Giscard d´Estaing a été tué et ne s´est donc pas suicidé, en témoignent les nombreuses incohérences du dossier. À commencer par la première autopsie qui s’arrête, à la demande du juge, à la description du visage tuméfié de Robert Boullin, sans analyser les fractures du crâne. Pourtant, pour Jean-Pierre Courtel, ancien inspecteur de police SRPJ de Versailles 1978-198 un examen approfondi du crâne aurait permis de connaître rapidement les raisons de la mort : « Qu'un premier substitut se déplace lui-même pour intervenir au cours d'une autopsie et pour demander à un médecin de ne pas faire tel ou tel acte, je ne l'avais jamais vu. Il a simplement déclaré, ''Non, pas la tête, la famille s'y oppose'' ». De même, les médecins ne pourront examiner les poumons du défunt ministre, seul moyen pourtant de prouver par la présence d'eau qu'il s'agit d'une mort par noyade.
Autopsie incomplète, disparition de toutes les pièces à conviction (organes, collecte de sang…), pour la famille Boulin, il ne fait plus aucun doute qu'il s'agit d'un sabotage.
Un crime politique ?
Pour comprendre comment le destin de Robert Boulin a tragiquement basculé, il faut selon les deux journalistes remonter à quelques années avant sa mort.
En août 1976, il rejoint le gouvernement de Raymond Barre, mais au sein de la droite française, la guerre fait rage : d'un côté il y a les centristes derrière Valéry Giscard d'Estaing et de l'autre il y a les héritiers du gaullisme sous la bannière de Chirac, récemment démissionnaire de Matignon et qui n'a qu'un seul objectif la présidentielle de 1981. Pour Bernard Pons, ancien secrétaire général du RPR de 1979 à 1984 et témoin clé de cette tension politique interne, « la rupture avec Giscard a provoqué la naissance d'une haine presque ovarienne, c'est-à-dire viscérale et profonde. Nous avions le sentiment que Giscard nous avait dérobé, volé le pouvoir ». Dès lors, tiraillé entre sa loyauté envers Valéry Giscard d'Estaing et son appartenance à la famille gaulliste, Robert Boulin va devenir une cible et en 1979 son destin va basculer. Accusé et menacé de toutes parts, y compris de sa propre famille politique, le ministre se sait en danger et déclare à son entourage que « le grand veut ma peau ». Jean Lalande, beau-frère de Robert Boulin va l'apprendre aussi par un responsable des services d'écoutes téléphoniques de Gironde : « Il m'a dit le contrat est pour mardi. Il m'a dit d'avertir Robert Boulin qu'il y avait un contrat sur lui. Il m'a donc donné le temps et la date ».