L’Algérie célèbre le 60e anniversaire de son indépendance, une indépendance qui n’a pas rempli toutes ses promesses
Alger fête en grande pompe le 60e anniversaire de son indépendance. Pour Luis Martinez, politiste et spécialiste du Maghreb à Sciences Po Paris, l’Algérie a connu depuis 1962, une « transformation spectaculaire. »

L’Algérie célèbre le 60e anniversaire de son indépendance, une indépendance qui n’a pas rempli toutes ses promesses

Alger fête en grande pompe le 60e anniversaire de son indépendance. Pour Luis Martinez, politiste et spécialiste du Maghreb à Sciences Po Paris, l’Algérie a connu depuis 1962, une « transformation spectaculaire. »
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Le 5 juillet 1962, l’Algérie accédait à l’indépendance, un événement programmé à la suite des accords d’Evian, signés cinq mois plus tôt entre les représentants du gouvernement provisoire de la République algérienne et du gouvernement français. Cet événement historique met un terme à une présence coloniale française vieille de 132 ans. Pour Luis Martinez, politiste et spécialiste du Maghreb et directeur au Centre de recherches internationales (CERI), l’Algérie a connu depuis l’été 62 des transformations socio-économiques considérables, mais l’indépendance n’a pas rempli toutes ses promesses de lendemains qui chantent.

Ce 5 juillet 2022, l’Algérie fête le 60e anniversaire de son indépendance, quel bilan tire la société algérienne de cette période ?

Tout d'abord, pour un pays qui a accédé à l’indépendance après une période coloniale longue de 132 ans, l’Algérie n’a pas sombré comme d’autres pays africains comme le Congo. Pour les Algériens d’Algérie, ils sont satisfaits d’avoir un pays indépendant, de vivre libres, et de ne pas obéir à un régime colonial ou au code de l’indigénat. Il y a d’un côté les félicitations, et la critique des usages faits de cette indépendance, une indépendance acquise après une guerre de libération de huit longues années. Il existe également une fierté d’avoir chassé la France et d’être indépendant après ce combat asymétrique entre le Front de Libération Nationale (FLN) et l’armée française, cette réussite militaire est constitutive depuis l’indépendance de l’identité algérienne qu’importe la sensibilité politique ou religieuse : nationaliste, démocratique, socialiste ou islamiste. L’Algérie n’a pas réussi à devenir la puissance économique qu’elle espérait, elle est plus proche d’autres économies africaines comme le Nigeria, un pays riche en pétrole, mais avec une économie encore pauvre.

C’est une société qui a considérablement évolué depuis les accords d’Evian et l’indépendance du 5 juillet 1962. L’Algérie s’est transformée d’une société rurale marquée par l’analphabétisme à une société urbaine, éduquée et confrontée au boom démographique de sa population. Toujours sur le plan social et religieux, il ne faut pas oublier que l’Algérie contemporaine n’est pas forcément à l’image d’Alger, la capitale. Le pays connaît un élan conservateur en se transformant en une société religieuse. Il ne faut pas occulter les récents succès électoraux des islamistes [du Mouvement de la société pour la paix (MSP) qui a terminé à la seconde place des élections législatives de 2021, derrière le FLN ; ndlr], qui traduisent une vraie dynamique observée dans la région. Ces transformations algériennes sont à l’image de celles opérées dans une grande partie du monde musulman. L’Algérie n’y échappe pas.

Sur le plan politique, l’Algérie est au même niveau que les autres pays arabes du Maghreb, des pays marqués par l’absence de démocratie et des régimes autoritaires. Seule, la Tunisie voisine a connu une euphorie démocratique à la suite du Printemps arabe. Mais ce mouvement politique qui a abouti au départ de Ben Ali, n’a pas trouvé les conditions politiques pour se pérenniser. Si on descend vers le sud, l’Algérie est toujours à l’image de son environnement régional proche. Toutefois, il ne faut pas juger le régime politique et l’avancée démocratique algérienne en fonction de nos critères et à l’aune de notre histoire. Il faut rappeler que la France a laissé un héritage démocratique quasi-nul.

Que reste-t-il du Hirak, le mouvement de protestation né en 2019, qui avait secoué la société algérienne et le système politique national ?

Ce mouvement populaire et pacifiste du Hirak a surgi après l’annonce de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika pour un cinquième mandat. Le Hirak a su remobiliser une jeunesse algérienne peu visible, disposant d’un rôle politique quasi inexistant. Ce mouvement témoigne également d’un renouveau de la société civile et des corps intermédiaires. Mais le Hirak comme d’autres mouvements de protestations qui l’ont précédé dans l’histoire politique algérienne – le Printemps Berbère, les mouvements socialistes ou islamistes dans les années 90 – porte une radicalité, un caractère révolutionnaire qui se heurte aux agendas d’autres acteurs politiques comme l’armée. Il existe une incapacité du Hirak à transformer cet élan populaire en des gains politiques durables, à s’adapter à la réalité politique. Cela s’explique par le caractère contraignant du mouvement qui n’envisage aucune compromission avec l’Etat ou tout autre acteur politique. Ces mouvements de protestation se définissent à chaque fois comme les représentants du peuple algérien. Depuis 1962, ils rejouent la même guerre de libération.

Dans une lettre adressée à son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune, à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance, Emmanuel Macron a appelé au « renforcement des liens déjà forts » entre la France et l’Algérie. Le même Emmanuel Macron avait affirmé que le pays s’était construit après son indépendance sur une « rente mémorielle », comment expliquer que cette réconciliation des mémoires entre Paris et Alger tarde à se réaliser, soixante ans après les accords d’Evian ?

Du point de vue algérien, on a le sentiment que les problèmes de mémoire de la France ne sont pas ceux de l’Algérie. La politique mémorielle de Paris est centrée sur la guerre entre 1954 et 1962 et sur les conséquences de ce conflit sur la société française, comme le rapatriement en métropole des pieds-noirs et des harkis, le recours à la torture par les militaires français en Algérie, l’OAS ou le massacre du 17 octobre 1961 de manifestants algériens à Paris, un massacre imputé au préfet de police, Maurice Papon. Cette période n’a pas la même importance pour les Algériens et ne constitue pas un traumatisme pour Alger. La guerre d’Algérie est une guerre de libération, il fallait chasser la puissance coloniale. Dans l’opinion publique algérienne, c’est la période coloniale qui est vécue comme un traumatisme national. Finalement, la France fait tout pour ne pas évoquer cette période marquée par les déplacements de populations, les destructions de villages, les massacres et des actes d’une violence inouïe perpétrés par les Français à l’encontre des Algériens. Ces faits sont totalement absents de nos mémoires, des médias et du débat public français.

Quand le Président de la république, Emmanuel Macron, évoque une politique de réconciliations des mémoires entre Paris et Alger, il veut tout d’abord réconcilier la société française, apaiser les tensions et les mémoires des cinq millions de personnes issues des communautés harkis ou algériennes. La politique de réconciliation des mémoires évoquée par le chef de l’Etat est une réconciliation mémorielle franco-française, présentée comme une réconciliation franco-algérienne entre les deux rives de la Méditerranée. C’est pour cette raison qu’on assiste à ce dialogue de sourd mémoriel.

 

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