A peine déposé, déjà mort-né ? L’amendement polémique du gouvernement qui vise à instaurer la possibilité d’un vote par anticipation pour la présidentielle pourrait ne pas aller au bout. Il a été déposé au dernier moment dans le cadre de l’examen du projet de loi organique sur la présidentielle. Une partie de l’opposition, comme Bruno Retailleau, dénonce une « magouille » politique de l’Elysée (lire ici).
Risques sur le plan constitutionnel
La mesure semble par ailleurs très incertaine sur le plan du droit. Le risque de censure par le Conseil constitutionnel est élevé (lire notre article sur le sujet). « Le Conseil doit être fou furieux. C’est le juge de l’élection, et il n’a pas été consulté » glisse un spécialiste du droit.
Le gouvernement pourrait en réalité vite arrêter les frais. « Le gouvernement ouvre le débat et n’imposera rien. C’est l’Assemblée et le Sénat qui voteront et décideront » a semblé dégoupiller ce matin sur France 2 Christophe Castaner, président du groupe LREM de l’Assemblée. « Je pense qu’on ne va pas s’acharner sur le sujet. Le Sénat va dire non. Et vue la levée de boucliers, je ne suis pas sûr que ça aille au bout » confie à publicsenat.fr un conseiller ministériel, d’autant « qu’il faudrait faire du gymkhana parlementaire ». Autrement dit, quelques acrobaties périlleuses. « Ça n’ira pas au bout » confirme un responsable de la majorité présidentielle.
L’amendement vient de l’Intérieur mais l’idée de l’Elysée
C’est le ministère de l’Intérieur, qui est chargé des élections, qui a déposé cet amendement. Mais l’idée vient en réalité de l’Elysée, selon plusieurs sources. L’objectif affiché est de répondre à l’abstention grandissante. Des motivations sanitaires sont aussi évoquées, afin de réguler les flux des votants qui ne viendraient ainsi pas tous voter le même jour, si l’épidémie était encore forte en 2022.
L’amendement a été déposé par le gouvernement au tout dernier moment, mardi, soit après l’examen du rapport de la commission. Le rapporteur du texte au Sénat, Stéphane Le Rudulier, en a juste été informé de manière informelle, lundi soir, par le ministère de l’Intérieur. On fait mieux, en termes de consultation politique, dont Beauvau était semble-t-il chargé. Certains observateurs y voient une volonté de l’Intérieur de traîner des pieds sur une mesure difficile à défendre et à mettre en œuvre au dernier moment.
Le vote électronique, une promesse de campagne d’Emmanuel Macron
Pourquoi cette mesure arrive maintenant, comme « un cheveu sur la soupe », selon l’expression du président du groupe centriste, Hervé Marseille ? « Tout ça a été décidé et validé lors d’une réunion interministérielle, la semaine dernière » explique-t-on du côté du ministère de l’Intérieur, où on souligne que certains, notamment au Modem, demandaient une modernisation du scrutin depuis un moment. Surtout, « le vote électronique est une promesse de campagne du Président Macron » rappelle-t-on. Ce n’est certainement pas la promesse la plus connue, mais c’est vrai. « Plus d’efficacité, c’est aussi plus de numérique : nous avons besoin de numériser notre démocratie, en instituant un vote électronique qui élargira la participation, réduira les coûts des élections et modernisera l’image de la politique » peut-on lire dans le programme de 2017. En revanche, le vote anticipé n’y figure pas.
Si la mesure était adoptée, il faudrait plancher sur de nouvelles machines à voter, sur lesquelles un moratoire existe depuis 2007. « Ça fait partie des sujets » reconnaît-on à l’Intérieur, qui, pour la suite, attend de voir ce que donneront les débats parlementaires. C’est Marlène Schiappa qui siégera au banc des ministres demain à la Haute assemblée pour défendre le texte. Sans trahir de suspens, la mesure sera rejetée par la majorité de droite et du centre du Sénat, qui a déjà donné un avis défavorable ce matin en commission, après 50 minutes de débats sur le sujet. Une répétition avant la séance…
Le gouvernement s’est mis « dans la main » du Sénat
Mais pour compliquer l’affaire, le gouvernement s’est mis tout seul dans le pétrin, comme un grand. « Ils sortent ça à l’arrache. Mais ce qui me surprend, c’est qu’ils ne l’aient pas proposé à l’Assemblée. Car sur le plan de la technique parlementaire, ils se mettent dans la main du Sénat. Si le Sénat n’adopte pas l’amendement, c’est fini » souligne un observateur avisé. La faute à la « règle de l’entonnoir ». Dans la procédure parlementaire, on ne peut pas aborder en deuxième lecture ou en nouvelle lecture, après la commission mixte paritaire, des points qui n’ont pas été adoptés en première lecture. D’où l’image de l’entonnoir.
Selon une décision du Conseil constitutionnel de 2006, les amendements déposés par les parlementaires ou le gouvernement après la première lecture « doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion » dans le texte, sauf certaines exceptions. Or l’amendement du gouvernement sur le vote anticipé concerne l’article 2, qui porte sur les comptes de campagne, le vote à distance des détenus ou les parrainages. Le vote par anticipation sur des machines à voter n’a donc pas de « relation directe » avec l’objet de l’article.
Une mesure ne peut arriver ni par enchantement, ni par la volonté de Jupiter
Un vote conforme de l’article, c’est-à-dire à l’identique des députés, aurait aussi rendu impossible toute modification. Ce ne sera pas le cas ici, après les modifications des sénateurs en commission. Mais ça ne change rien, toujours en raison de l’entonnoir législatif.
Si l’amendement avait en revanche été présenté et adopté à l’Assemblée – hypothèse probable grâce à la majorité LREM/Modem – le gouvernement aurait les mains libres. Il pourrait réintroduire sa mesure, même après un rejet des sénateurs. C’est le fameux « dernier mot » des députés. Mais une mesure ne peut pas arriver comme par enchantement, ni même par la volonté de Jupiter, au dernier moment.
« S’ils osent ça, c’est vraiment qu’ils osent tout »
Reste une autre solution, si l’exécutif tient vraiment au vote anticipé : présenter un nouveau texte dédié à cette mesure, ou qui du moins l’inclura. Mais entre le rejet de l’opposition et le calendrier parlementaire chargé, cela semble difficile voire impossible. Et si le gouvernement tentait malgré tout de redéposer l’amendement, arguant d’un lien avec le projet de loi ? « S’ils osent ça, c’est vraiment qu’ils osent tout » lâche un observateur du Parlement. Les débats au Sénat ce jeudi pourraient donner une indication plus précise sur la volonté du gouvernement, qui a déjà connu position plus facile. Comme résume un conseiller ministériel, « on s’est tiré une balle dans le pied ». Ça pique un peu quand même.