On les surnomme parfois la « colonne vertébrale de l’Etat ». Le profil des vertèbres républicaines pourrait changer dans les prochaines années. Lors d’une visioconférence, le 6 mai, face à des centaines de préfets et sous-préfets, le Premier ministre Jean Castex a confirmé que le gouvernement voulait mettre fin au statut particulier qui régit la carrière préfectorale. Ce projet, annoncé un mois après la volonté exprimée par Emmanuel Macron de mettre fin à l’Ecole nationale d’administration (ENA), s’inscrit dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique. La fonction préfectorale serait transformée en un emploi sur lequel on serait détaché, et sa base de recrutement élargie et diversifiée.
Le projet n’a pas seulement provoqué un trouble au sein de ce corps préfectoral appelé à disparaître, beaucoup de réactions politiques dans l’opposition se sont fait entendre ces derniers jours, à commencer par la droite sénatoriale. Le 12 mai, le sujet a été abordé lors des questions d’actualité au gouvernement au Sénat. « En touchant au pilier de l’Etat, vous prenez le risque de fragiliser tout l’édifice », s’est inquiétée la sénatrice LR Agnès Canayer, craignant la naissance d’une « fonction publique inféodée ». Chose assez rare quand l’orateur n’est pas président de groupe, Jean Castex lui a répondu directement. Pour le Premier ministre, la réforme envisagée est « loin de vouloir porter atteinte à ces éminentes fonctions », mais vise plutôt à les « conforter » et à « en accroître l’attractivité ».
« Un gadget », selon le sénateur LR Philippe Dallier
Les sénateurs sont plus que réservés sur le projet. Le sénateur (LR) Philippe Bas, ancien président de la commission des lois, s’y oppose formellement. « Nous avons déjà expérimenté hélas les députés et les ministres hors sol. Ne fabriquons pas des préfets hors sol », s’était-il écrié. Le président de groupe Bruno Retailleau, s’était lui aussi insurgé contre le projet. « On ne s’improvise pas préfet : l’ordre public, la relation avec les élus, la coordination des services de l’Etat : c’est un métier », avait-il rappelé. Interrogé ce mardi, le sénateur (LR) Philippe Dallier se dit « consterné » par cette proposition « démagogique ». « Qui peut penser que l’on n’a pas besoin d’un corps préfectoral formé pour ces missions ? On a besoin de gens pointus sur tous ces sujets-là. Tout cela, c’est du gadget. »
Présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, Françoise Gatel ne ferme pas la porte à une « évolution » du corps préfectoral, mais s’inquiète de la façon dont le débat a été posé, où la pensée est « réduite au rejet de symboles ». « Il faut faire attention à ne pas laisser croire aux gens qu’en bouleversant la formation des préfets, on va sauver la France […] Il faut sans doute plus de porosité entre le monde des collectivités et la haute fonction publique, mais je ne pense pas qu’aujourd’hui on ait des préfets hors-sol », met en garde la sénatrice d’Ille-et-Vilaine. Toute réflexion devrait être conduite dans le « respect et l’intelligence », mais surtout en prenant « le temps », insiste-t-elle. A ce titre, elle aimerait un retour d’expérience sur les sous-préfets à la relance, déployés l’an dernier dans les départements. Une partie d’entre eux, nommés dans l’urgence, venait du secteur privé. « J’aimerais bien que l’on évalue », espère la sénatrice.
Comme d’autres de ses collègues, la sénatrice communiste Cécile Cukierman voit d’un mauvais œil l’arrivée de nouveaux profils dans les préfectures, redoutant qu’une forme d’ « allégeance » prenne le pas sur la « loyauté ». « On n’administre pas un pays de la même façon qu’une entreprise. La République française n’est pas une start-up », s’exclame-t-elle. La sénatrice de la Loire, qui a étudié le volet administration de l’Etat dans le dernier projet de loi de finances, peine à comprendre la logique à l’œuvre. « Je suis assez surprise, alors que l’on vient de connaître une crise sanitaire, de remettre en cause le corps préfectoral. »
« Comment former des gens efficaces quand le préfet n’a pas d’autorité sur l’ARS »
La menace sur le corps préfectoral tel qu’on le connaît actuellement n’arrive dans n’importe quel contexte. Le Parlement, à commencer par le Sénat, va débattre à partir du début du mois de juillet d’un projet de loi sur la décentralisation et la déconcentration. Le 11 mai, le président du Sénat n’avait pas manqué d’évoquer le sort de la préfectorale, lors de son point presse. « Le Sénat propose de restaurer l’autorité du préfet de département. C’est un choix fort, à l’instant où, paradoxalement, le gouvernement nous annonce qu’il veut mettre fin au corps préfectoral », avait-il annoncé. Il pourrait s’agir de l’un des combats du Sénat sur ce texte. Pour Françoise Gatel, le réel sujet devrait être la définition et les missions du préfet. « Dans le projet de loi 4D, on a demandé que les agences régionales de santé soient rattachées aux régions, que le préfet ait autorité sur toutes les agences de l’Etat. On ne le fait pas. Comment former des gens efficaces quand le préfet n’a pas d’autorité sur l’ARS, la direction des finances publiques ou la Dreal (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) », s’interroge la sénatrice.
Au sein du RDPI (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants), groupe de la majorité présidentielle au Sénat, le projet est vu au contraire comme une façon de « moderniser » la haute fonction publique. « On est en train de répondre aux citoyens d’un corps préfectoral plus proche, avec des formations de terrain », soutient la sénatrice du Haut-Rhin Patricia Schillinger, peu surprise des polémiques sur cette réforme.
A un an de la présidentielle, la réforme de la haute fonction publique s’invite plus que jamais dans le débat politique. La candidate du Rassemblement national, Marine Le Pen, a d’ailleurs écrit à tous les préfets pour faire connaître son opposition à la réforme.