L’attentat de Strasbourg relance la question de la surveillance des personnes radicalisées
L’attentat du marché de Noël de Strasbourg relance la polémique sur la surveillance des personnes fichées pour radicalisation par les services de renseignement.

L’attentat de Strasbourg relance la question de la surveillance des personnes radicalisées

L’attentat du marché de Noël de Strasbourg relance la polémique sur la surveillance des personnes fichées pour radicalisation par les services de renseignement.
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Par Guillaume Jacquot (Sujet vidéo : Mickael Spitzberg)

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C’est une question qui revient après chaque attentat : quelle stratégie adopter vis-à-vis des personnes fichées pour radicalisation ? Elle se posait à Paris (attentat du 12 mai 2018 dans le quartier de l’Opéra) ou à Carcassonne et Trèbes (attentat du 23 mars 2018). Elle se pose aussi à Strasbourg, après la fusillade mardi soir à proximité du marché de Noël, dans laquelle deux personnes sont décédées, et 12 autres blessées. Le profil de l’homme recherché par les forces de l’ordre, radicalisé, et fiché S (sûreté de l’État) par les autorités, a fait réagir plusieurs personnalités politiques, notamment à droite.

Le président des Républicains, Laurent Wauquiez, trois heures après l’attaque terroriste survenue en Alsace, pointe une accumulation. « Combien d’attentats commis par des fichés S devons-nous encore subir avant d’adapter notre droit à la lutte contre le terrorisme ? » a-t-il demandé.

Des élus de droite demandent une expulsion des personnes radicalisées étrangères

« Colère de ne pas être écouté depuis des années sur le traitement des fichés S dangereux », réagit à son tour le sénateur Roger Karoutchi (LR). « Ils nous font la guerre. Et nous ? » La présidente de la région Île-de-France, proche du sénateur des Hauts-de-Seine, appelle le gouvernement à ne plus « tergiverser » et à adapter le Code pénal. « Les fichés S pour radicalisation doivent être déférés devant la justice pour « intelligence avec l’ennemi » et mis hors d’état de nuire », a réclamé l’ancienne ministre.

Ce matin, le député Éric Ciotti demandait la mise en place d’une « rétention de sûreté » pour les « 500 personnes radicalisées islamistes » sur le point de sortir de prison. Il a également appelé à « expulser immédiatement » les « 4.000 étrangers » fichés pour radicalisation, inscrit sur le Fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Une proposition également portée par Marine Le Pen, la dirigeant du Rassemblement national, qui estime que cela permettrait de dégager des « moyens supplémentaires » pour « pouvoir surveiller ceux qui ont la nationalité française ».

La détention préventive impossible dans l’état actuel du droit

Les propositions d’une détention préventive rappellent celles qui ont été défendues il y a neuf mois. « C’est extrêmement délicat sur un plan juridique. Aujourd’hui, on n’en a pas les moyens », admettait ce matin sur notre antenne, le sénateur (LR), Jean Bizet, favorable à cette disposition, à condition qu’elle soit encadrée. En septembre 2016, le procureur de Paris de l’époque, François Molins, rappelait qu’une détention « préventive » était « absolument impossible ». « Il ne peut y avoir de détention préventive en dehors d’une procédure pénale. C’est le socle de l’état de droit. On ne peut pas détenir quelqu’un avant qu’il ait commis une infraction. »

D’autres estiment que l’arsenal existant est suffisant. « Les outils juridiques nous les avons, la question est peut-être de savoir s’il faut évoluer notre organisation simplement », a réagi le sénateur (LR) François-Noël Buffet, dans Sénat 360. Membre de la commission des Lois, il a estimé que l’on pouvait « légitimement s’interroger ».

Lutte antiterroriste : « Les outils juridiques nous les avons », réagit François-Noël Buffet
01:18

Propos recueillis par Tâm Tran Huy

Rapporteur de la mission de contrôle et de suivi de la mise en œuvre de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme de 2017, Marc-Philippe Daubresse (LR) juge aussi les outils actuels « adaptés », tout en considérant qu’ils supposent des moyens « supplémentaires » pour les forces de l’ordre et les services de renseignement. Il estime néanmoins qu’ « améliorer » certains articles de la Constitution permettrait d’être « plus efficient » dans la lutte antiterroriste.

Sur TV5 Monde, le sénateur du Bas-Rhin, André Reichardt, se montre plus pragmatique et conseille de réduire l’envergure des fichiers  de suivi. « Peut-être faut-il réduire le nombre de fichés S pour être plus efficace dans le suivi », a suggéré le parlementaire, qui rappelle son département comptait en septembre 273 fichiers S, dont « 40 à Strasbourg prêts à passer à l’acte ».

« Il faudrait le réserver exclusivement à ceux qui sont identifiés comme étant les plus dangereux », appuie François-Noël Buffet.

Actuellement, 20.000 personnes font l’objet d’un signalement de type fiche S, un fichier large qui porte sur des profils divers, pas forcément liés au terrorisme. Parmi elles, 12.000 y figurent pour  une radicalisation religieuse. Le FSTRP contient lui, un peu moins de 20.000 noms. L’an dernier, Laurent Nuñez, alors à la tête de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), indiquait que 4.000 d’entre eux étaient « suivis » par ses services.

Des maires informés de la présence des individus les plus dangereux sur leur commune ?

L’attentat de Strasbourg fait aussi ressurgir la question de l’implication des élus locaux dans la lutte antiterroriste. Le 13 novembre, le ministère de l’Intérieur a rédigé une circulaire pour mieux informer les maires des menaces de radicalisation qui pèsent sur leurs communes. Diffusée auprès des préfets, la circulaire a pour but d’accroître les échanges d’informations de l’État vers les élus locaux. Il s’agit notamment de porter à la connaissance des maires la présence de personnes fichées pour radicalisation  les plus à risque.

Il s’agit d’une revendication qui était portée depuis longtemps par les maires. Emmanuel Macron, le 22 mai, en dévoilant devant les élus locaux ses orientations pour la politique de la ville, avait promis de répondre à cette préoccupation. Quelques jours auparavant, le maire de Strasbourg, Roland Ries, sonnait l’alerte, en indiquant que 10% des fichés S en France « vivraient dans l’Eurométropole », et s’indignait d’apprendre « tout par la presse ».

La situation a-t-elle changé depuis ? « Je ne suis pas davantage informé dans le détail des fichés S », répondait ce matin sur France Info le maire de la capitale alsacienne, tout en admettant que des informations étaient redescendues de la police nationale. « Mes services travaillent avec la police nationale et d’après ce que j’ai pu comprendre hier soir, sous réserve de vérification, cet individu était effectivement dans le collimateur de la police nationale, et la police municipale en était informée », a-t-il expliqué.

Au Sénat, l’implication des collectivités locales en matière de prévention de la radicalisation fait partie depuis longtemps des préoccupations. Plusieurs rapports ont été remis au fil des années. Et le sénateur de l'Eure, Hervé Maurey (Union centriste), a proposé dès 2016 que les maires soient informés de la présence de fichés S dans leur commune. « Rien n’a été fait, il y a eu juste une circulaire extrêmement restrictive », dénonce le centriste.

Informer les maires sur les fichés S : « Rien n’a été fait », regrette le sénateur Hervé Maurey
03:21

Propos recueillis par Tâm Tran Huy

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