Alors qu’Emmanuel Macron organise un nouveau cycle de consultations avant de nommer un Premier ministre, Olivier Faure ouvre la porte à des négociations avec les macronistes. Néanmoins, pour les autres composantes du Nouveau Front Populaire la non remise en question de la réforme des retraites n’est pas envisageable.
L’enfouissement des déchets nucléaires à Bure : un sujet toujours inflammable
Par Romain David
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« Défendons notre territoire ». La banderole a été tendue mercredi matin, entre deux colonnes du petit péristyle de l’hôtel de ville de Montiers-sur-Saulx dans la Meuse. C’est dans ce bâtiment du XIXe que se tenait ce 15 septembre la première permanence de l’enquête publique organisée dans le cadre de la demande de déclaration d’utilité publique (DUP) de Cigéo, un projet de centre de stockage des déchets radioactifs en profondeur, au cœur de vives polémiques depuis la fin des années 1990. Les opposants avaient pris date pour « une occupation festive autour de la mairie » : ils étaient « une centaine » à s’être rassemblés, selon le décompte de l’un des organisateurs, même si la foule semblait bien plus clairsemée sur une vidéo postée par Le Journal de la Haute-Marne. La gendarmerie était présente pour s’assurer que les membres de cette commission indépendante nommés par le tribunal administratif de Nancy puissent accéder sans encombre à leur permanence.
Ces derniers auront à charge durant un peu plus de 5 semaines – jusqu’au 23 octobre – de recueillir les avis des riverains et des différents acteurs du projet, via des permanences organisées sur six des onze communes concernées par le site d’enfouissement (Bonnet, Bure, Cirfontaines-en‐Ornois, Gillaumé, Gondrecourt‐le‐Château, Houdelaincourt, Horville-en-Ornois, Mandres-en-Barrois, Ribeaucourt, Saint-Joire et Saudron), par téléphone, ou encore à travers un site internet dédié. Ils rendront fin novembre un avis favorable ou défavorable à ce projet.
À 500 mètres sous terre
Cigéo vise à enfouir à partir de 2035 quelque 83.000 m3 de déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue, majoritairement issus de la production d’électricité d’origine nucléaire, à 500 mètres sous terre, dans une zone à la limite de la Meuse et de la Haute-Marne. Depuis le début des années 2000, un laboratoire souterrain installé à Bure est chargé d’étudier la faisabilité du projet. Adoptée le 26 juin 2006, la loi relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs a confié son pilotage à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactif (Andra). Le texte conditionnait toutefois la création du site à l’adoption d’une loi fixant les conditions de « réversibilité » du stockage. Le 17 mai 2016 cette étape a été franchie avec l’adoption d’une proposition de loi déposée par le sénateur LR de la Meuse Gérard Longuet, défenseur historique du projet. Durant un siècle « les colis » de déchets pourront être récupérés pour offrir aux générations futures la possibilité de reconsidérer leur traitement. « Bien sûr, on n’a pas envie de les ressortir puisque l’on pense que c’est une bonne solution. Mais si dans l’avenir, on trouve par exemple le moyen de transformer ces déchets en matière combustible, il ne faudrait pas s’en priver », détaille l’élu.
L’ancien ministre de la Défense de Nicolas Sarkozy attend désormais la reconnaissance d’utilité publique, « une étape importante qui consolidera l’irrévocabilité du projet, même si l’on sait grâce à Notre-Dame-des-Landes que celle-ci n’a pas d’importance », raille-t-il en référence à l’abandon du projet d’aéroport du Grand Ouest en janvier 2018, malgré la déclaration d’utilité publique et la tenue d’une consultation locale. « Mais je ne suis pas inquiet, sur le fond le dossier Cigéo est solide et ancien », ajoute Gérard Longuet. Moins toutefois que celui de Notre-Dame-des-Landes, dont les premières évocations remontaient… au début des années 1960.
Le découragement des opposants
L’enquête publique « marque un point de bascule important dans la concrétisation du projet : une déclaration d’utilité publique permettrait à l’Andra de réaliser des expropriations pour acquérir le foncier nécessaire pour la construction de Cigéo et de tous les ouvrages qui l’accompagnent », alerte le réseau Sortir du nucléaire dans un communiqué. La déclaration d’utilité publique est en effet une procédure nécessaire lorsque l’aménagement du territoire nécessite l’appropriation de terrains déjà occupés.
« On sait très bien ce qui va se passer. La commission va rendre un avis positif, et derrière ils pourront commencer à réquisitionner des terrains. On ouvre des enquêtes, on invite le citoyen à des débats publics, mais on ne l’écoute pas », soupire Jean-Marc Fleury, président de l’Association des élus opposés à l’enfouissement des déchets radioactifs (EODRA), et qui appelle au boycott de l’enquête qui vient de s’ouvrir. Mobilisé mercredi devant l’hôtel de ville de Montiers-sur-Saulx, cet ancien édile milite depuis 26 ans contre la création du site d’enfouissement. Aujourd’hui il ne cache pas son découragement devant l’irrésistible avancée du projet, mais aussi devant la difficulté de sensibiliser les riverains. « Le nucléaire est un sujet complexe pour une population rurale. Les habitants ont du mal à s’en saisir, ils sont dépassés », explique-t-il. « La région est moins peuplée que la moyenne nationale, c’est pour ça que l’on nous demande de devenir la poubelle nucléaire du pays ! », ajoute Jean-Marc Fleury. Mais il l’assure « tous les recours juridiques possibles seront lancés ».
De son côté Gérard Longuet balaye l’hypothèse d’un enkystement des oppositions, avec une éventuelle occupation de la zone comme à Notre-Dame-des-Landes. « Le plateau burois n’est pas d’un séjour touristique facile. Toutes les tentatives d’installation ont échoué. »
Les points d’inquiétude soulevés par l’Autorité environnementale
Même s’il obtient la déclaration d’utilité publique - qui n’équivaut pas encore à un feu vert -, le projet Cigéo aura d’autres obstacles administratifs à surmonter. Notamment une instruction technique détaillée réalisée par l’Autorité de sûreté nucléaire et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Le projet doit également lever les points d’inquiétude soulevés le 13 janvier dernier par l’Autorité environnementale dans un avis prudent, également venu alimenter le dossier de demande d’utilité public. Elle appelle à des études plus poussées pour démontrer le caractère asismique de la zone, mais aussi l’impact potentiel sur les eaux et le milieu aquatique.
« Une assemblée de fonctionnaires qui émet des critiques sans proposer de solutions », fustige l’un des soutiens du projet. « On se situe dans une logique d’évaluation environnementale, c’est le rôle de l’Autorité environnementale de regarder les améliorations possibles », commente dans un communiqué Sébastien Crombez, directeur sûreté et environnement à l’Andra, évoquant une volonté « d’optimiser en permanence le projet ».
Le sénateur Longuet tient quant à lui à démonter certains fantasmes. « On parle souvent d’'enfouissement', mais c’est un terme équivoque parce qu’il donne l’impression qu’on se débarrasse des déchets nucléaires dans un coin. En vérité, il s’agit bien de 'stockage' dans un espace sécurisé de haute technologie avec une surveillance permanente. Je rappelle que deux-tiers des déchets qui iront à Bure ont déjà été produits », fait-il valoir. Il évoque encore les retombées économiques pour la région, avec l’installation d’entreprises sous-traitantes et des créations d’emplois. « Mais aussi le développement d’une compétence mondiale dans ce domaine, qui intéresse jusqu’à Fukushima. »
La réversibilité du projet en question
Autre élément d’inquiétude qu’avait soulevé l’Autorité environnementale : la durée de la réversibilité, jugée « assez courte au regard de la longue durée de vie et la nocivité des déchets ». L’Andra rappelle que la récupérabilité des colis ne pourrait avoir lieu que dans le cadre d’un changement « de la gestion globale des déchets radioactifs ». En clair, les déchets n’ont pas vocation à être récupérés à moins que les décideurs politiques n’optent pour une nouvelle stratégie. Jean-Marc Fleury appelle à ce que cette reconsidération se fasse dès à présent : « Évidemment, on ne les récupérera pas. On nous dira qu’il est impossible d’aller les chercher. La réversibilité ne peut être que politique ! »