L’Etat peut-il vraiment contraindre les fournisseurs d’électricité à renégocier leurs contrats ?

L’Etat peut-il vraiment contraindre les fournisseurs d’électricité à renégocier leurs contrats ?

Le 5 janvier, lors de la cérémonie de la galette de l’Epiphanie devant les boulangers qui grognent depuis quelques jours sur l’augmentation de leurs factures d’électricité, Emmanuel Macron a annoncé qu’ils pourraient renégocier leur contrat auprès de leur fournisseur. Le lendemain de cette annonce, les fournisseurs doivent être reçus à Bercy pour échanger avec les ministres. Quelques heures avant le rendez-vous, TotalEnergies annonce qu’il est prêt à « engager des révisions de tarifs avec les TPE ayant signé un contrat […] entre le 1er août et le 30 novembre 2022 », pour ramener le prix annuel moyen du Mégawattheure à 320 € HT. Cette décision a été prise sur la base du volontariat. Mais l’Etat peut-il vraiment contraindre le reste des fournisseurs d’électricité à renégocier les contrats des TPE ? Eclairage.
Mathilde Nutarelli

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La crise de l’énergie est sur toutes les lèvres en ce début d’année 2023. Elle a entraîné notamment une augmentation considérable des factures d’électricité des boulangers, qui l’ont fait savoir, ainsi que d’autres toutes petites entreprises (TPE) comme les bouchers. Pour calmer la grogne qui monte, Emmanuel Macron a précisé, lors de la cérémonie de la galette de l’Epiphanie à l’Elysée le 5 janvier, les annonces faites par son ministre de l’Economie la veille. Les TPE qui paient un prix de l’électricité dépassant le prix de référence de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) pourront renégocier les contrats avec leur fournisseur d’électricité, pour les « remettre dans le lit de la rivière », d’après les mots du Président.

Après l’annonce du Président, les sénateurs avaient signifié leur scepticisme quant à la capacité de l’Etat de la mettre à exécution. Le lendemain de cette annonce, ce vendredi les fournisseurs doivent être reçus à Bercy pour échanger avec les ministres. Quelques heures avant le rendez-vous, dans un communiqué de presse, TotalEnergies annonce qu’il est prêt à « engager des révisions de tarifs avec les TPE ayant signé un contrat […] entre le 1er août et le 30 novembre 2022 », pour ramener le prix annuel moyen du Mégawattheure à 320 € HT. Cette décision a été prise sur la base du volontariat. Mais l’Etat peut-il vraiment contraindre le reste des fournisseurs d’électricité à renégocier les contrats des TPE ?

Comment marche un contrat de fourniture d’électricité ?

Les fournisseurs d’électricité sont ceux qui font l’intermédiaire entre le marché de gros de l’électricité, où les producteurs d’électricité vendent le fruit de leur production, et les consommateurs finaux que sont les particuliers et les entreprises. Parmi eux, on compte EDF, Engie, TotalEnergies, mais aussi de plus petits comme Enercoop. Ils concluent des contrats avec leurs clients afin de les approvisionner en électricité. Celle-ci peut être soit produite par eux soit achetée sur les marchés de gros.

En termes de contrat d’électricité, il existe deux tarifs. Le tarif de marché, fixé par le fournisseur en fonction des prix de l’électricité sur le marché de gros, et le tarif réglementé, fixé par les pouvoirs publics, proposés uniquement par les fournisseurs historiques comme EDF. Seules les petites entreprises (employant moins de 10 salariés et dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas 2 millions d’euros) peuvent bénéficier des tarifs réglementés pour leur contrat d’électricité.

Depuis 2022, et pour contenir la hausse des factures d’énergie, les TPE bénéficient du bouclier tarifaire mis en place par l’Etat. En 2022, il limitait à 4 % la hausse des prix de l’électricité. A partir du 1er février 2023, cette hausse ne sera plus limitée qu’à 15 %. Les TPE bénéficient également de l’amortisseur électricité, qui leur permet de se faire prendre en charge le surcoût de l’électricité par l’Etat, c’est-à-dire le coût de leur facture quand elle dépasse un certain seuil.

Quel est le problème avec les contrats conclus récemment ?

Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine et les sanctions concernant l’importation de gaz russe et les difficultés que connaît le parc nucléaire français, les prix de gros de l’électricité ont augmenté de façon inédite. Cette augmentation se répercute sur les entreprises au moment où leur contrat d’électricité touche à sa fin et où elles doivent en négocier un nouveau. Ces derniers sont conclus pour une durée allant d’un à trois ans en général. Le montant proposé par le fournisseur prend en compte le prix de l’électricité sur le marché au moment de la négociation et tente d’anticiper ses évolutions sur la durée du contrat. C’est pour cette raison que les contrats conclus à l’été 2022, période où les prix de gros ont été les plus hauts, ont atteint des montants inimaginables.
Depuis le début de l’année 2023, les prix de gros ont connu une baisse. Ils n’ont cependant pas atteint leur niveau d’avant crise et demeurent inhabituellement élevés. Pour autant, une renégociation des contrats aujourd’hui serait plus favorable au consommateur qu’en juillet.

L’Etat peut-il forcer les fournisseurs d’électricité à renégocier les contrats ?

Nous avons posé la question à Maria Eugenia Sanin, économiste spécialiste des questions énergétiques et maîtresse de conférences à l’Université Paris Saclay. « La réponse est non. Avec la réglementation actuelle, l’Etat ne peut faire que de l’exhortation, comme il a fait avec les Français en leur demandant de réduire leur consommation d’électricité », explique-t-elle.
Pour rentrer plus dans le détail, si les entreprises se fournissent au prix de marché, « l’Etat ne peut imposer ni une renégociation ni une limite de prix dans les contrats » détaille Maria Eugenia Sanin. En effet, la puissance publique n’a pas le pouvoir de s’immiscer dans une relation contractuelle entre deux instances privées.
Si les entreprises souscrivent à un tarif réglementé, la situation est un peu différente. Même si l’Etat ne peut pas provoquer la renégociation, « il peut décider d’agir sur le niveau du tarif réglementé », précise l’économiste, comme il l’a fait avec le bouclier tarifaire. « Mais dans ce cas-là, c’est le contribuable qui paie », car la puissance publique doit amortir la différence de prix entre les tarifs réglementés et les prix de gros de l’électricité.

Quelle solution apporter à la situation actuelle ?

Si la renégociation est impossible à imposer, que faire alors pour faire baisser les prix de l’électricité ?

Certains parlementaires de gauche, notamment le groupe communiste au Sénat, proposent pour cela de « sortir le système électrique des mécanismes concurrentiels » en permettant à toutes les entreprises de souscrire aux tarifs réglementés.

« La bonne solution, ce n’est pas de sortir de l’économie de marché. On est dans une tendance de moyen et long terme où les prix sont très élevés, la tendance dans les prix de gros de l’électricité va rester élevée dans l’année 2023 », explique Maria Eugenia Sanin, « on sait que même si la guerre en Ukraine s’arrête, on ne va pas retourner se fournir en gaz auprès de la Russie, parce qu’il faut changer de modèle. Cela fait que dans le moyen et long terme, les prix de l’énergie en Europe seront en moyenne plus élevés ». Pour elle, « la seule chose que l’on peut faire, c’est agir sur le marché de gros au niveau européen, tout le reste, ce sont des aménagements plus ou moins efficaces ». « Dans le court terme, il faut baisser la demande d’électricité, avec des mesures d’efficacité énergétique, comme la rénovation énergétique des bâtiments, par exemple. Dans le plus long terme, il faut augmenter l’offre d’électricité. On commence une ère d’énergies fossiles chères en Europe, il faut donc augmenter les renouvelables, améliorer le réseau de distribution. Tout »

Il faut donc engager une transformation globale de notre modèle énergétique au niveau européen si l’on veut sortir de cette crise. « Le problème, souligne la chercheuse, c’est qu’en temps de crise, changer la façon dont un marché fonctionne risque de nous faire prendre de mauvaises décisions ». Tout ne fait que commencer.

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