La tension ne retombe pas entre Paris et Londres. Le décès de plus d’une vingtaine de migrants au large de Calais, mercredi 24 novembre, a créé une onde de choc. Ce naufrage est le plus meurtrier connu depuis la hausse en 2018 des traversées par les migrants, pour contourner le verrouillage renforcé du port français de Calais et du tunnel sous la Manche.
Dans une lettre publiée sur Twitter au lendemain du drame, le Premier ministre britannique, Boris Johnson, a demandé « un accord bilatéral de réadmission pour permettre le retour de tous les migrants illégaux qui traversent la Manche ». Une missive jugée « indigente sur le fond et totalement déplacée sur la forme », par le porte-parole du gouvernement français, Gabriel Attal.
En conséquence, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a choisi d’annuler la visite de son homologue britannique, Priti Patel, à une réunion internationale consacrée aux migrants.
En marge d’une visite au Vatican, le président de la République a, lui, dénoncé les méthodes « pas sérieuses » de Boris Johnson. Face aux critiques de ce dernier laissant entendre que la France n’était pas à la hauteur de la situation, Emmanuel Macron a invité les Britanniques à ce « qu’ils coopèrent pleinement et s’abstiennent d’instrumentaliser une situation dramatique à des fins politiques ».
« Au Royaume-Uni en particulier, la question migratoire est très forte politiquement », souligne Matthieu Tardis, chercheur au centre migrations et citoyennetés de l’Ifri. Outre-Manche on assiste effectivement à « un concours Lépine des moyens pour empêcher les migrants de venir au Royaume-Uni ». Parmi les plus polémiques, celle visant à criminaliser les traversées illégales de la Manche. Des mesures jugées contraires au droit international et aux conventions de Genève, selon le HCR, nous précise Matthieu Tardis.
Si d’autres dossiers cristallisent les tensions entre les deux pays, comme le dossier de la pêche, la question migratoire reste un sujet de tensions depuis des années. « L’enjeu humain est important et il n’est pas nouveau », affirme Matthieu Tardis. Le chercheur avait travaillé avec des députés de tous bords sur le sujet et l’assure : « Tout le monde était d’accord pour dire qu’il fallait qu’on ait des discussions avec les Britanniques ». Il avait été envisagé des passages par voie légale pour le regroupement familial ou les mineurs non accompagnés. « Pourtant il n’y a jamais eu de retour de la part du ministère de l’Intérieur ou des Affaires étrangères », déplore-t-il.
Ce drame était prévisible reconnaît-on également au Sénat. « A la SNSM (Société nationale de sauvetage en mer) de Berck, j’ai vu des embarcations qui étaient faites pour 4 personnes, mais empruntées par une vingtaine de migrants. Avec l’arrivée de l’hiver, ce drame peut se reproduire si rien n’est fait », prévenait le sénateur LR du Pas-de-Calais, Jean-François Rapin, sur Public Sénat.
Les causes et les solutions préconisées divergent fortement. Suite à ce drame, le ministre de l‘Intérieur dépêché sur place a directement mis en cause les passeurs. « On ne peut pas tout mettre sur le dos des passeurs et des Britanniques. La réponse française est aussi en cause », pointe Matthieu Tardis. Depuis des années, la politique de la France est essentiellement répressive. Pour le chercheur, il faut aussi poser la question de l’accueil des demandeurs d’asile en France.
« Il y a des migrants qui ont des proches Outre-Manche, mais il y en a d’autres qui sont dans une fuite en avant et qui sont confrontés à l’impossibilité de déposer une demande d’asile à cause du règlement Dublin », explique Matthieu Tardis. Le règlement Dublin fixe, sauf exceptions, que la demande d’asile doit être déposée dans le pays d’entrée.
Depuis ce drame, des politiques – comme Xavier Bertrand (LR) ou Adrien Quatennens (LFI) - appellent à ce que la France dénonce les accords du Touquet pour faire pression sur le Royaume-Uni. En 2016, le vote du Brexit avait posé dans le débat public la proposition d’une renégociation des accords du Touquet de 2003. En vertu du traité, signé entre la France et la Grande-Bretagne après la fermeture de Sangatte (le centre d’hébergement d’urgence humanitaire géré par la Croix Rouge), le contrôle aux frontières britanniques se fait sur le territoire français avant la traversée vers l’Angleterre.
D’autres politiques appellent également à ce que les moyens de Frontex (l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes) soient renforcés et à ce que la France pose le sujet lors de la renégociation sur le Pacte européen sur la migration et l’asile. Des propositions qui ne convainquent pas Matthieu Tardis. « Qu’est-ce que pourrait Frontex ? Cela fait 20 ans qu’ils sont en méditerranée ça n’empêche pas les naufrages », observe-t-il. Idem pour les accords du Touquet qui sont dénoncés depuis des années sans que des propositions alternatives soient mises sur la table, selon lui. Concernant la réforme du pacte asile et immigration, Matthieu Tardis souligne que « ce n’est pas l’enjeu de ce pacte ». Ce texte traite du régime d’asile européen commun, dont l’un des enjeux forts reste le règlement Dublin.
La seule certitude à ce stade est que la solution ne pourra être trouvée sans une coopération entre la France et le Royaume-Uni.