Le Président ukrainien, Volodymyr Zelensky, s’est « adressé » lundi 28 février dernier à l’Union européenne « en ce qui concerne une intégration sans délai de l’Ukraine via une nouvelle procédure spéciale. » Ursula von der Leyen avait évoqué cette possibilité en disant à la chaîne Euronews ce dimanche soir que les Ukrainiens « étaient des nôtres. » Depuis, la Moldavie et la Géorgie ont emboîté le pas de l’Ukraine en faisant officiellement état de leur candidature jeudi 3 mars. Zelensky se dit « sûr que c’est juste, sûr que c’est possible. » Cela paraît tout de même un petit peu plus compliqué.
Quels critères d’adhésion ?
C’est l’article 49 du Traité sur l’Union européenne (TUE) qui codifie les conditions d’adhésion d’un État à l’Union. L’article fixe tout d’abord un critère géographique, en mentionnant les « États européens », ce qui est le cas de l’Ukraine, et renvoie ensuite aux critères dits « de Copenhague » validés en 1993 :
- Le respect de l’État de droit et la garantie d’une démocratie « stable »
- Une économie de marché capable de s’intégrer dans la concurrence européenne
- L’acquis communautaire : l’État en question doit accepter de transposer le droit européen dans son droit national.
Autant de critères qui pourraient a priori être considérés comme relativement satisfaits dans le cas de l’Ukraine, comme semblent l’indiquer les déclarations d’Ursula von der Leyen par exemple. Pour Jean-François Rapin, président (LR) de la commission des Affaires européennes au Sénat, c’est plutôt une façon pour la Commission européenne « de rassurer l’Ukraine et de montrer que l’Europe est à ses côtés. Et peut-être plutôt de dire que si demain l’Ukraine fait une demande d’adhésion, il ne sera pas question de l’écarter d’un revers de main. »
Élargissement de l’UE : « Une question de moyen-long terme »
La déclaration de candidature n’est qu’une première étape parmi de nombreuses autres autrement plus complexes du processus d’adhésion. Cela ne suffit d’ailleurs pas à devenir un « État-candidat officiel. » C’est ce qui fait dire à Jean-François Rapin que l’adhésion de l’Ukraine, ainsi que de la Moldavie et de la Géorgie à l’Union européenne reste une question « de long ou de moyen terme » : « des pays sont en procédure d’adhésion depuis des années [l’Albanie, la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Turquie et la Serbie, ndlr]. » Même si les États membres arrivaient à vite dégager un consensus sur le sujet – ce qui est déjà relativement difficile à imaginer – il est en l’état actuel du droit européen impossible d’intégrer l’Ukraine à l’UE à court terme, tant la procédure serait déjà, à elle seule, chronophage :
- La Commission européenne et le Parlement doivent valider le statut d’État-candidat, et celui-ci doit être ensuite accordé par le Conseil de l’Union européenne
- Une stratégie de pré-adhésion est mise en place, notamment avec des aides financières qui servent à aligner l’économie des États-candidats avec les économies européennes
- Des négociations d’adhésion ont lieu pour transposer le droit européen et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans le droit national
- L’ensemble des États membres doit ratifier l’adhésion, par traité ou par référendum
La première étape vient donc d’être enclenchée ce lundi 7 mars : la Commission va devoir valider la demande de l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie, avant que les 27 ne se prononcent – au sein du Conseil de l’Union européenne actuellement présidé par la France – sur le statut d’État-membre officiel de ces trois pays. Dans le cas de la Roumanie par exemple, cette seule étape avait duré 2 ans. La situation pourrait conduire l’UE à avancer plus vite, mais même avec une volonté politique forte, difficile d’imaginer une procédure d’adhésion qui ne dure pas au moins plusieurs années. D’autant plus que la faible « stabilité » des institutions économiques et politiques de pays en guerre comme l’Ukraine, pourrait rendre plus complexe la satisfaction de certains critères d’intégration.
« Certains sont favorables à des intégrations très rapides et d’autres sont plus frugaux »
Par conséquent, à moins de modifier les traités européens – une procédure d’ailleurs toute aussi lourde – l’Ukraine ne peut adhérer « sans délai » à l’Union européenne comme l’a demandé son président, même si l’ensemble des États membres l’acceptaient. Or, même à ce niveau-là, la situation est plus complexe que ça, comme le rappelle Jean-François Rapin : « Les Russes contestaient un rapprochement de l’OTAN et de l’Ukraine pour ne pas avoir l’OTAN à leur porte, on rentrerait peut-être dans le même processus avec une adhésion à l’UE… Il faut savoir raison garder, même si l’on a un devoir de soutien envers l’Ukraine et un devoir de ne rien concéder aux Russes. » Le président de la commission des Affaires européennes rappelle que, même au sein de l’Union européenne, « le processus d’adhésion est source de discussions, certains sont favorables à des intégrations très rapides et d’autres sont plus frugaux. » Bref, comme souvent au sein de l’UE, toute évolution devra être négociée pas à pas : « C’est resté dans les gênes de l’UE d’avoir à travailler pour forger un consensus entre les 27. »
Pour autant, Jean-François Rapin ne veut pas minimiser les évolutions récentes au sein de l’Union européenne : « Aujourd’hui l’Europe va réapprendre à fonctionner différemment, peut-être avec moins d’inertie. La crise sanitaire a montré qu’il faut une capacité de réaction face à une situation technocratique difficile. Face à une guerre qui se déclenche à ses frontières, l’UE fait ses armes sur le sujet. » À plus court terme, la priorité est « que les combats s’arrêtent », pour le sénateur du Pas-de-Calais, qui en fait « le premier chantier diplomatique » de l’Union européenne, et pas l’adhésion de l’Ukraine. De même, Jean-Yves Le Drian a annoncé lundi 28 février dernier la création d’un « hub humanitaire » en Pologne, pour « coordonner l’aide humanitaire et l’accueil des réfugiés en Europe. » Une urgence autrement plus pressante qu’une éventuelle l’adhésion de l’Ukraine à l’UE pour Jean-François Rapin, qui juge sobrement que « l’exode actuel ne sera pas un petit exode. » Alors qu’Emmanuel Macron avait fait de la politique migratoire l’une des priorités de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, le sujet semble plus que jamais à l’agenda de l’UE.