La CNIL s’inquiète que le fichier des dépistages covid devienne un fichier policier

La CNIL s’inquiète que le fichier des dépistages covid devienne un fichier policier

Si la CNIL ne s’oppose pas à l’extension du passe sanitaire, sa présidente, Marie-Laure Denis, a alerté hier, les sénateurs de la commission des lois. Elle a demandé aux parlementaires de fixer des garde-fous à un texte qui « porte une atteinte forte » aux libertés. Parmi ses inquiétudes, le fichier sanitaire SI-DEP, celui des tests covid-19 qui pourrait être utilisé par les forces de l’ordre.
Public Sénat

Par Audrey Vuetaz

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La CNIL, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés n’a pas été saisie par le gouvernement pour évaluer son projet de loi. Elle n’a donc pas d’avis officiel à rendre, mais les sénateurs avaient besoin d’entendre sa présidente pour connaître ses impressions sur le texte afin de rédiger d’éventuels amendements. Et il y a un point, qui a alerté les sénateurs de la Commission des lois, toutes couleurs politiques confondues. Il porte le nom de fichier SI-DEP (Système d’Informations de DEPistage).

Le fichier SI-DEP, c’est un fichier sanitaire. A chaque fois que quelqu’un se fait tester pour un dépistage covid-19, les résultats sont consignés par les laboratoires sur cette plateforme sécurisée. « C’est ce qui permet d’envoyer un SMS à la personne testée, pour lui annoncer si elle est positive ou négative au covid-19 », explique Loïc Hervé, sénateur centriste de la Haute-Savoie. C’est ce qui permet aussi de s’assurer que tous les cas positifs sont pris en charge.

« On change complètement la finalité d’un fichier »

Pour l’instant, d’après une loi de mai 2020, seuls les médecins, pharmaciens, biologistes des laboratoires de dépistage covid-19, et les professionnels habilités par la CNAM (Caisse Nationale d’Assurance Maladie), SPF (Santé publique France) et des ARS (Agences Régionales de Santé), peuvent accéder à ce dossier. Tous exercent des missions sanitaires, tous aussi sont soumis au secret médical.

Mais cela pourrait changer, avec le nouveau texte du gouvernement et c’est ce qui inquiète la CNIL et désormais les sénateurs. « L’article 3 du projet de loi vient compléter les finalités du « SI-DEP », ainsi que les personnes ayant accès à ce fichier pour permettre le contrôle des mesures de quarantaine et d’isolement notamment par les agents de police judiciaire et les agents de contrôle. C’est la philosophie même du traitement de données qui s’en trouve modifiée, » a alerté la présidente de la CNIL. En clair, les forces de l’ordre auront accès à ce fichier, pour connaître les personnes testées positives au covid et leur faire respecter l’obligation de dix jours d’isolement à domicile, l’autre nouveauté du projet de loi.

« On change complètement la finalité d’un fichier. On l’a créé pour qu’il soit médical et il devient finalement un fichier policier, ça fait réfléchir, » dénonce Loïc Hervé qui prévoit déjà de déposer un amendement de suppression. Jean-Yves Leconte, sénateur PS représentant les Français de l’étranger est aussi inquiet. « Il va y avoir d’incroyables phénomènes de contournement. Le gouvernement est en train de casser son thermomètre. Les gens n’iront plus se faire tester gratuitement et librement de peur d’être placés sous surveillance. Résultat dans quelques semaines, nous n’aurons plus de tableau de bord de l’épidémie avec des chiffres corrects. J’ai peur aussi qu’à cause de ce fichier, les gens attendent le dernier moment avant d’être pris en charge » et le sénateur d’ajouter : « Et puis on ne va pas mettre la moitié des policiers de France à la surveillance des cas positifs au covid, il faut plutôt essayer de nourrir une éthique de responsabilité. »

« Il faut prendre toutes les précautions »

A l’issue de son audition, la présidente de la CNIL a appelé les sénateurs à inscrire toutes les précautions nécessaires dans la loi. « Dans l’hypothèse où la nécessité d’un tel traitement serait démontrée, la CNIL s’interroge sur la nécessité de créer un fichier distinct ou de réfléchir à des modalités permettant de cloisonner hermétiquement ces traitements de nature très différente, afin que les services préfectoraux n’aient pas accès à l’ensemble des données que peut consulter le médecin ou l’enquêteur sanitaire. »

D’après les participants, Philippe Bas, le rapporteur (LR) du texte a été très attentif à ces préconisations « indispensables » d’après lui. « La divulgation de données de santé à des personnels de police et de gendarmerie ne peut être envisagée que dans des cas tout à fait exceptionnels et avec de grandes précautions dans ce cas, » a-t-il conclu avant d’expliquer qu’il allait travailler à des propositions allant dans ce sens qui permettent tout de même de « préserver les chances de réussite du dispositif sanitaire » proposé par le gouvernement.

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