Une commission d’enquête pour éclaircir des points encore flous
Après l’urgence qui a agité le gouvernement et la sphère médiatique immédiatement à la suite de l’incendie de l’usine Lubrizol le 26 septembre dernier, l’heure est aujourd’hui au bilan. Un bilan auquel se propose de participer la commission d’enquête constituée par le Sénat le 10 octobre dans le but « d'évaluer l'intervention des services de l'État dans la gestion des conséquences environnementales, sanitaires et économiques de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen. » En clair, les sénateurs veulent inaugurer un travail d’enquête à court terme, mais aussi de propositions à long terme.
La communication du gouvernement en question : une « cacophonie médiatique »
Le premier volet du travail de la commission d’enquête sera de déterminer les conditions précises de « gestion par les services de l’État des conséquences de cette catastrophe » et d’évaluer les réactions qu’ont eues les autorités compétentes ainsi les conséquences associées.
Ainsi, plusieurs interrogations subsistent, notamment quant à la réaction des services de l’État. Le préfet de Seine-Maritime, Pierre-André Durand a choisi de déclencher uniquement les sirènes à proximité du site et quelques heures après le début de l’incendie pour ne pas provoquer de panique. Cette décision a fait débat, si bien que le préfet a finalement concédé que le système d’alerte reposait sur « des outils datés, qui devront évoluer ».
Au-delà de la gestion de crise même, c’est la coordination de la communication entre les différents services de l’État qui interroge la commission d’enquête : « Le Premier ministre a indiqué que les odeurs étaient « gênantes » mais « pas nocives », alors même que la ministre de la santé annonçait quelques jours plus tard que personne ne savait « ce que donnent ces produits mélangés quand ils brûlent. »
La commission pointe aussi du doigt des communications « parfois contradictoires », voire une circulation défaillante de l’information, aux élus locaux ou aux professionnels scolaires par exemple. Des élèves, des professeurs, voire des directeurs d’école se sont présentés dans leurs établissements car ils n’avaient pas été prévenus de la fermeture. Des élus locaux ont aussi dénoncé le retard avec lequel ils avaient été informés, ce qui les a placés dans une position difficile vis-à-vis de leurs administrés, n’ayant pas d’informations plus fiables à transmettre que celles des chaînes d’information ou des réseaux sociaux. Finalement, la commission conclut : « À la catastrophe industrielle a donc succédé une cacophonie médiatique. »
Évaluer les « conséquences environnementales, sanitaires et économiques de cette catastrophe »
L’autre question qui anime la démarche des sénateurs est celle de l’évaluation des conséquences immédiates de l’incendie, au premier rang desquelles les conséquences environnementales : « les fumées ainsi que les retombées de suie ont sans doute pollué l’air, les sols et l’eau » précise la commission, sans que de mesures précises puissent aujourd’hui être avancées.
De même pour les conséquences sanitaires, plusieurs sources rapportent que des pompiers, des gendarmes ou même des riverains se seraient plaints de maux de tête ou de nausées, sans qu’une évaluation précise soit à ce jour présentée. D’autant plus qu’il existe aussi des conséquences sanitaires indirectes, puisqu’au-delà de la contamination directe par le nuage de fumée et ses retombées, la contamination des produits agricoles pourrait avoir des répercussions sur la santé des consommateurs. L’Anses a donc été saisie par le ministère de l’Agriculture le 2 octobre pour évaluer les « risques alimentaires » et suite à ces analyses effectuées sur des produits de la région, le ministère a levé les restrictions sur les produits laitiers le 14 octobre et sur le reste des produits alimentaires le 18 octobre. L’Anses invite tout de même à la prudence et à la mise en place « d’un plan de surveillance adapté » afin de contrôler l’évolution des risques sanitaires.
Ainsi, les conséquences sanitaires sont liées aux conséquences économiques de l’incendie : les restrictions sur les produits agricoles ont touché, entre autres, 20% des terres agricoles de Seine-Maritime et représentent donc un coût important pour les agriculteurs. D’autres secteurs ont été particulièrement touchés, notamment l’hôtellerie-restauration ou bien les sous-traitants de Lubrizol : 67 entreprises ont sollicité des mesures de chômage partiel, a indiqué la préfecture.
Des fonds d’indemnisation ont déjà été mis en place par la région ou le ministère de l’Agriculture, en revanche Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture, a assuré que « les avances seront faites, mais à l’arrivée, les pollueurs seront les payeurs. »
Ce travail d’évaluation démarre cette semaine pour la commission d’enquête
Justement, la commission d’enquête du Sénat auditionnera demain Eric Schnur, PDG du groupe Lubrizol. Un des points cruciaux du questionnement des sénateurs devrait être cette indemnisation des différentes victimes des conséquences environnementales, sanitaires et économiques de l’incendie par le groupe américain au nom du fameux principe du pollueur-payeur. Eric Schnur a déjà indiqué que Lubrizol mettrait en place un dispositif de dédommagement des victimes de l’incendie (« Lubrizol solidarité »), sans préciser le montant qui sera investi dans ce dispositif. La commission d’enquête devrait donc essayer de faire préciser les contours de ce fonds de dédommagement à Eric Schnur pendant son audition demain. Jeudi, les sénateurs de la commission se rendront sur le site de l’usine pour prendre contact avec les acteurs concernés.
Au-delà de l’incendie de l’usine Lubrizol, la commission d’enquête veut faire un état des lieux du contrôle des installations classées par les services de l’État
Le rôle de la commission d’enquête n’étant pas judiciaire, celle-ci affirme que l’évaluation des conséquences immédiates de l’incendie et leur gestion « doivent se doubler d’une enquête sur les règles relatives aux installations classées et sur leur contrôle par les services de l’État. » Cette commission d’enquête se saisit donc d’un enjeu de plus long terme sur les politiques de prévention et de contrôle des sites industriels à risque, afin de « tirer des enseignements » de cet incident. Le but est ainsi d’élargir le point de vue et d’apporter des éléments de réponse à la question suivante sur les sites classés Seveso : « une telle catastrophe pourrait-elle se produire sur un autre de ces sites ? »
Plusieurs pistes sont déjà soulignées par la commission d’enquête pour améliorer la situation. Hervé Maurey, président de l’aménagement du territoire et du développement durable, a ainsi déclaré lors de la constitution de la commission d’enquête que « nous sommes très mauvais sur la culture du risque ». Pascal Martin, sénateur (UC) de la Seine-Maritime a par exemple expliqué que : « Les habitants ne savaient guère à quoi correspondait la sirène qui a été actionnée à 8 h 30. » La commission d’enquête estime ainsi qu’un véritable travail d’information en amont doit améliorer la réaction des habitants à des accidents industriels. De plus, les sénateurs de la commission attirent déjà l’attention sur l’implantation du foncier autour de ces sites industriels classés. Dans le cas de Rouen, la construction d’un éco-quartier était par exemple prévue à 500m de l’usine, ce qui illustre pour la commission la nécessité de prendre en compte l’implantation des sites industriels classés dans les problématiques d’urbanisme.