« La crise a révélé le rôle croissant des régions et des départements »

« La crise a révélé le rôle croissant des régions et des départements »

À l’approche de son plan de déconfinement, l’exécutif multiplie les appels du pied et les consultations auprès des élus et des collectivités, en première ligne depuis le 16 mars. Le Sénat compte se nourrir de leur expérience pour aller vers un nouvel acte de décentralisation.
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Par Jonathan Dupriez

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Le signal envoyé en dit long sur les intentions du chef de l’État à l’approche du déconfinement. Ce 23 avril, pendant quatre heures, Emmanuel Macron tend la main à la vingtaine de maires et de représentants des associations d’élus qui lui font face en visioconférence. Caroline Cayeux, Maire (DVD) de Beauvais et présidente de l’association « Villes de France » est de la partie. « Les élus ont pris la parole en prenant leur temps, les uns après les autres » relate-t-elle. L’échange est largement consacré à répondre aux inquiétudes des élus et des collectivités en vue du 11 mai. Sous quelles modalités seront déconfinés les territoires ? Comment se passera cette rentrée scolaire hors norme dans des conditions sanitaires encore très incertaines ? En somme, qui sera responsable de quoi ?

Déconfinement «  adapté aux réalités locales »

Le Président avance quelques pistes de réponses et tente de se montrer rassurant. Le chef de l’État explique notamment aux édiles que la rentrée scolaire sera « progressive, concertée avec les élus locaux et adaptée aux réalités locales » et notamment en fonction de la taille des communes. Durant la réunion, Caroline Cayeux observe un Président « particulièrement à l’écoute et très attentif » aux remontées de terrain. À l’issue de la réunion, tous s’engagent en chœur à adopter « une attitude républicaine » pour le déconfinement. « On mettra en œuvre le programme » confirme sans équivoque Caroline Cayeux. En clair, le message passe, un mariage de raison semble scellé entre l’exécutif et les collectivités.

Changement de paradigme

À l’approche du plan de déconfinement présenté prochainement par Jean Castex, le couple exécutif a, semble-t-il, changé de stratégie en consultant à tour de bras les élus et les collectivités. « Le gouvernement comprend bien que les initiatives pour faire face à la crise jaillissent des territoires » analyse Françoise Gatel, sénatrice centriste d’Ille-Et-Vilaine.

« Il y a peut-être moins de verticalité mais le postulat de base du Président reste faux » tacle cependant Agnès Le Brun, maire de Morlaix et porte-parole de l’Association des maires de France (AMF). L’élue reste perplexe quant à ce principe de « concertation a posteriori » appliqué par l’exécutif qui a acté seul, la date du 11 mai. Selon elle, cette attitude d’Emmanuel Macron, moins jacobine sur la forme, traduit le fait « qu’il sait qu’il ne pourra pas se passer des maires » dans les jours et semaines à venir pour déconfiner le pays. Localement, les maires disposent de nombreuses prérogatives, notamment la gestion des écoles primaires. Et plus généralement, « les maires sont des inventeurs de possibles » selon Françoise Gatel, qui salue leur rôle de « faiseurs de solutions » en pleine tempête.

Maires en première ligne

« Dans les situations d’urgence, les maires sont toujours en première ligne » confirme Agnès Le Brun. Gestion immédiate de la crise sanitaire, distribution de masques, mise en place de mesures de solidarité pour les personnes fragiles ou isolées, ou encore prises d’arrêtés municipaux en tous genres pour le bien-être de ses administrés, l’élue n’a pas cessé d’être au front depuis le 27 février, date à laquelle elle a choisi de déclencher le Plan communal de sauvegarde (PCS). Une présence sur le terrain pour répondre aux multiples demandes des administrés. En témoigne le nombre quotidien d’appels reçus par sa mairie dont le standard téléphonique est assailli par près de 130 appels par jour. Des appels « pas toujours en lien avec la mairie » note-t-elle.

« C’est grâce au terrain que la doctrine présidentielle a évolué »

Pour Jean-Marie Bockel, président centriste de la Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, ces retours des élus en prise directe avec l’épidémie expliquent ce revirement du chef de l’État : « Ce changement d’attitude s’est fait de manière non linéaire, c’est grâce à la pression de la réalité du terrain que la doctrine présidentielle a évolué » remarque-t-il. Caroline Cayeux partage cette analyse : « ça flottait un peu au début de la crise, mais les associations d’élus et les élus eux-mêmes sont montés au créneau pour leur dire : ‘faites-nous confiance’, c’est aussi remonté grâce aux préfets » dit-elle.

L’État doit « donner la partition »

Comme la majorité des maires, Caroline Cayeux espère désormais recevoir rapidement la « doctrine sanitaire » de l’État en vue du 11 mai, car elle seule, « ne peut pas tout décider. » « Il nous faut un schéma national précis de déconfinement » poursuit l’élue, « on souhaite avoir un cahier des charges avec les étapes organisationnelles du déconfinement. »  Jean-Marie Bockel résume la situation avec cette image : « A l’aune de cette crise, tout le monde se rend compte qu’on attend de l’État donne la partition mais qu’il doit laisser jouer aux élus et collectivités leurs instruments respectifs. »

L’exécutif auprès des départements

En plus des maires, l’exécutif multiplie les échanges avec les régions et les départements depuis plusieurs jours. Illustration faite aujourd’hui par Édouard Philippe qui s’est entretenu avec les présidents de départements. Après quelques heures de visioconférence, le Premier ministre a salué une « discussion productive avec l’Assemblée des départements de France (ADF) » dans un tweet. « Ce matin, insertion, handicap, grand âge, protection à l’enfance : les départements sont en première ligne dans ces domaines. Nous avons échangé sur la situation sanitaire et la préparation du déconfinement. »

Les départements se tiennent prêts à agir dans l’après-crise, notamment via le développement d’actions de solidarité mais surtout dans le développement des tests de dépistage, comme l’a spécifié Dominique Bussereau, président de l’ADF, le 16 avril dernier lors d’une table ronde au Sénat. « Les départements ont pu obtenir de l’État la possibilité que les laboratoires départementaux d’analyse produisent ces tests », ajoutant que « 75 laboratoires départementaux sont désormais mobilisés, via des conventions avec les hôpitaux ou le secteur privé » et que « le dépistage dans les Ehpad est désormais lancé ». Ce même jour, le président de l’ADF soulevait toutefois des interrogations quant à la réouverture des collèges, « le retour des élèves dans les collèges fera l’objet d’un groupe de travail entre l’ADF et le Ministre de l’Éducation nationale » a-t-il précisé,  estimant que « la réouverture des collèges nécessitera une coordination entre collectivités, notamment avec les régions compétentes en matière de transport scolaire ».

Les régions cajolées

Hier aussi, Édouard Philippe était à la manœuvre auprès des présidents de régions qui, eux aussi, réclament un « déconfinement différencié » en fonction des situations sur le terrain. Les régions ont de grandes chances d’être exaucées puisque le chef de l’État a publiquement affirmé que le déconfinement par grandes régions en France ne pouvait « correspondre aux réalités des territoires. »

Certains, comme Jean Rottner, ont semble-t-il, noté la marge de manœuvre importante qui leur sera accordée par l’exécutif. « Tout est encore, je crois, ouvert, la discussion se fait au niveau du gouvernement pour avoir une doctrine claire et fixe et, à partir de cela, sur l'ensemble du territoire français, cette doctrine sera déclinée en fonction de la réalité épidémiologique, de la puissance ou pas encore de l'épidémie », a expliqué à l’AFP le président LR de la région Grand-Est, à l’issue de son entrevue dématérialisée avec le Premier ministre.

« Rôle croissant des patrons de régions »

La démarche de l’exécutif est tout à fait logique selon le sénateur centriste du Haut-Rhin, Jean-Marie Bockel : « la crise a révélé le rôle croissant des patrons de régions et des présidents de départements » affirme-t-il, saluant notamment leur coopération pour la gestion des Ehpad, ou de la répartition territoriale des achats de matériel médical.

Pour sûr, les régions, dotées de moyens importants et de dirigeants au poids politique non négligeable, joueront un rôle central dans le déconfinement. Aussi, ont-elle la main sur des dossiers cruciaux comme les lycées, ou encore les transports scolaires. Sur ces questions Hervé Morin, président de la région Normandie, a toutefois appelé à « une vraie discussion entre l'État et les collectivités territoriales car on a le sentiment d'un grand cafouillage entre l'allocution d'Emmanuel Macron, les annonces faites par Jean-Michel Blanquer et les hypothèses présentées aujourd'hui par le Premier ministre. » Le chef de l'État a suscité des interrogations jeudi en insistant sur le fait que le retour à l'école se ferait sur la base du volontariat.

Les associations d’élus appellent à renforcer les pouvoirs des préfets

Dans ce contexte de crise, les associations d’élus pressent le gouvernement de modifier l’organisation du « commandement » pour le déconfinement. C’est ce qu’ont plaidé, le 16 avril dernier devant le Sénat, François Baroin, le président de l’AMF, Dominique Bussereau, président de l’Assemblée des départements de France (ADF) et Renaud Muselier, pour Régions de France (RF).

Principalement en question, les Agences régionales de santé (ARS), dont l’opacité et l’inertie ont été plusieurs fois étrillées pendant la crise. Au cours de cette audition, les trois présidents d’association ont unanimement constaté « les limites du fonctionnement des ARS » jugé « bureaucratique », et plaidé pour « une réforme de leur fonctionnement intégrant mieux les collectivités territoriales à leur gouvernance ». « Beaucoup de maires nous disent qu’ils ne comprennent d’ailleurs pas à quoi servent les ARS » ajoute Agnès Le Brun. « C’est vrai qu’elles incarnent une forme de jacobinisme au niveau régional, une inertie ». Jean-Marie Bockel se dit favorable à ce que les ARS tombent sous l’autorité des préfets mais ne se fait aucune illusion : « ça n’arrivera pas » croit-il savoir, conscient des difficultés à mettre en place un tel mécanisme dans l’immédiat. La question est aussi sur la table pour que les recteurs soient placés sous l’autorité des préfets le temps du déconfinement.

Task-Force

 À l’issue de la table-ronde, les trois présidents d’associations se sont prononcés en faveur de la proposition de Jean-Marie Bockel, de mettre en place une « task force » réunissant, autour du préfet de département, tous les acteurs, élus locaux, administrations, experts,  qui seront en charge du déconfinement. « En temps de crise, ce n’est pas possible qu’il y ait plusieurs commandements » abonde Françoise Gatel, sénatrice centriste d’Ille-Et-Vilaine, favorable à un tel dispositif. « Les préfets doivent être à la manœuvre » poursuit la sénatrice membre délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Jean-Marie Bockel est sur la même ligne. Selon lui, les préfets se sont révélés de « véritables chefs de file pendant la crise. »

Légiférer davantage ?

Faudra-t-il légiférer davantage vers un nouvel acte de décentralisation après la crise ? Les sénateurs s’apprêtent à reprendre du service sur cette thématique. Ils ont d’ores et déjà lancé une consultation en ligne pour recueillir les doléances des élus face à l’épidémie de covid-19. Plus de 1500 contributions ont été recueillies à l’heure où nous publions. Françoise Gatel et Jean-Marie Bockel précisent aussi que les sénateurs réactiveront dès que possible «le groupe de travail transpartisan sur l’organisation du pays » mis en place en janvier dernier par Gérard Larcher.  Ses travaux devraient reprendre dès que le Sénat aura repris une activité proche de la normale, sans doute pas avant la fin mai. Jean-Marie Bockel se projette déjà : « L’idée est d’être force de proposition sur la poursuite de la décentralisation » confirme-t-il, souhaitant donner un coup d’accélérateur à la loi sur laquelle planchaient Sébastien Lecornu et Jacqueline Gourault, aujourd’hui « dans les limbes. » « Nous arriverons avec des propositions extrêmement concrètes nourries par les enseignements de la crise » confirme-t-il.

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