Le chaos. C’est le mot qui revient le plus souvent à la Une des journaux européens après la démission du Premier ministre Sébastien Lecornu, face à l’impossibilité de former son gouvernement. « Le pays s’enfonce dans le chaos », titre le quotidien allemand Die Zeit. « Cette situation française est suivie de plus en plus près par les médias allemands. L’inquiétude monte alors que l’écart entre les taux d’intérêt allemands et français continue de se creuser », explique Daniel Freund, eurodéputé allemand écologiste.
Pour le journal belge De Standaard, « la France naviguait comme un navire à la dérive depuis des mois, changeant de capitaine à plusieurs reprises. Beaucoup espéraient que le nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu, ramènerait le calme. En vain. » « Une France affaiblie c’est l’Europe affaiblie », commente l’ancien Premier ministre belge socialiste Elio di Rupo, désormais eurodéputé. « Vu de l’extérieur, ce que font les acteurs politiques français ne sont pas très sérieux. »
Des partis politiques français incapables de faire des compromis
« Cette crise française est le fruit d’une dégradation du débat public », renchérit Benoît Cassart, eurodéputé belge, membre du groupe Renew au Parlement européen. « Les partis de centre gauche et de centre droit doivent arrêter de courir vers les extrêmes et accepter de travailler ensemble. Le poids des extrêmes en France rend ce pays de plus en ingérable. » « C’est ahurissant de voir que les LR, Renaissance et les socialistes sont incapables de s’entendre », réagit Charles Goerens, eurodéputé luxembourgeois centriste, inquiet de la situation budgétaire hexagonale.
« On a l’impression que tous les partis politiques français pensent uniquement à la présidentielle, ne se font pas confiance et ne veulent pas coopérer », analyse Daniel Freund. « Le problème de la Ve République à la française c’est qu’elle n’est pas faite pour former des coalitions de partis politiques mais pour obtenir une majorité »,
Le journal portugais Publico parle même d’une « crise de régime », « d’un système constitutionnel devenu dysfonctionnel », dénonce un manque de compromis et de culture du dialogue et appelle la France à suivre l’exemple portugais qui marierait « stabilité gouvernementale et vitalité démocratique ».
« Trouver un consensus entre les partis avant de désigner un Premier ministre »
Pour venir à bout de cette équation politique française insoluble, Elio di Rupo n’hésite pas à distiller quelques conseils à ses amis français, alors qu’il a « résolu en 2011 la crise politique la plus longue de l’histoire de la Belgique ». Le pays était resté sans gouvernement pendant 541 jours. « Le problème en France, c’est que le président de la République désigne un Premier ministre avant de lancer les négociations entre les partis. En Belgique, après les élections, le roi désigne un informateur qui va d’abord échanger avec chaque formation politique pour essayer de voir les points de convergence possibles. Ce n’est qu’une fois qu’un compromis est trouvé, que les forces politiques proposent un Premier ministre. »
Un départ d’Emmanuel Macron serait une mauvaise nouvelle pour l’Union européenne
La responsabilité d’Emmanuel Macron dans la gestion de cette crise est aussi pointée du doigt chez les voisins européens. « Hypothèse d’un adieu à l’Elysée », titre le journal italien la Stampa. Pour le quotidien espagnol de centre gauche El Pais, cette situation a été causée par la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par le locataire de l’Elysée « prise hâtivement ». « Les élections de juin 2024 ont engendré une fragmentation parlementaire sans précédent dans le pays. »
Mais les élus européens sont-ils d’accord avec Edouard Philippe qui a appelé ce mardi matin au départ du président de la République et à l’organisation d’une présidentielle anticipée ? « Ce serait un pari très risqué. Même avec une présidentielle l’an prochain, la probabilité d’avoir une Assemblée nationale divisée et des partis qui se battent entre eux est toujours très forte », note l’eurodéputé allemand Daniel Freund. Si Emmanuel Macron s’en allait avant la fin de son mandat « ce serait une grande perte pour l’Europe », estime le Luxembourgeois Charles Goerens. « Son action à l’international a été très positive. Sans Emmanuel Macron, pas de réponse européenne à l’abandon de Donald Trump du partenariat atlantique, pas de coalition pour réarmer l’Europe, pas de reconnaissance de l’Etat de Palestine. » Une présidentielle anticipée, « cela ne va rien résoudre, il faut calmer le jeu », alerte Elio Di Rupo. « Si vous voulez le Rassemblement national au pouvoir continuez comme ça ! »
L’arrivée du parti de Marine Le Pen aux responsabilités semble de plus en plus probable, vu de nos voisins européens. « Ce serait une mauvaise nouvelle pour l’Union européenne et pour le soutien à l’Ukraine », estime Daniel Freund qui observe la multiplication des gouvernements incluant la droite radicale au sein de l’UE (Hongrie, Italie, Pays-Bas, Slovaquie, République tchèque…). Pour La Repubblica en Italie, « sans l’impulsion géopolitique du paradoxal Emmanuel Macron, le continent serait submergé d’ennemis autocratiques. »